Notre étude porte sur le phénomène de la privatisation du stationnement à Montréal. Plus précisément, elle analyse les impacts socio-économiques de l’entente établie en 1994 entre la Ville de Montréal et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) stipulant que cette dernière allait gérer, jusqu’en 2024, l’activité « stationnement » dans la métropole, via la société en commandite Stationnement de Montréal (SDM).
Il s’agit de la deuxième étude de la Chaire traitant de la privatisation du stationnement à Montréal, la première, portant le même titre, avait été publiée en 1994, soit l’an un de l’entente. À cette époque, les auteurs de l’étude avaient fait d’importantes mises en garde au sujet du transfert de gestion de l’activité « stationnement » à la CCMM.
Qu’en est-il 15 ans plus tard? C’est ce que les chercheurs de la Chaire observent dans la présente étude, en tentant de cerner les impacts socio-économiques de l’entente, dite de « partenariat », entre la Ville et la CCMM.
Dans leur étude, les chercheurs constatent qu’en 14 ans, les revenus totaux liés aux stationnements ont fortement augmenté, alors que les dépenses sont restées relativement stables au cours de la même période.
Selon leurs données, ce sont les revenus des parcomètres qui ont explosé, passant de 17 millions $ à 50 millions $, soit un accroissement de 297 % entre 1995 et 2008.
L’augmentation de revenus coïncident avec des ajouts ponctuels de parcomètres, l’allongement des heures de parcomètres les soirs de semaine, la levée de la gratuité le dimanche, ainsi que l’augmentation des tarifs, jusqu’à 3 $/l’heure au centre-ville.
Les revenus provenant d’indemnisations d’espaces tarifés ont également crû en 14 ans, passant de 320 681 $, en 1995, à 1 396 894 $, quadruplant ainsi les recettes.
Par ailleurs, les chercheurs de la Chaire observent que la SDM a installé 5 106 parcomètres de plus en près de 15 ans, passant de 11 931 à 16 881.
L’étude démontre clairement que le projet de privatisation des stationnements n’affiche aucun signe de meilleure productivité et de rentabilité. Au contraire, si la Ville avait poursuivi cette activité et qu’elle avait appliqué la même recette, elle aurait de surcroît empoché 100 % du bénéfice net.
Selon les chercheurs, la métropole se prive, année après année, de sommes non négligeables qui sont versées à SDM, seulement pour gérer des stationnements qui autrefois lui appartenaient en totalité.
Ce sont des recettes de 16 476 777 $ sur 14 ans que la Ville n’a pas encaissées, soit une moyenne d’un peu plus d’un million $ par année, découlant de charges supplémentaires (compensation, frais de gestion, etc.) issues de la privatisation.
De plus, la CCMM a reçu la somme de 5, 6 millions $ pour un projet dans lequel elle n’a assumé aucun risque financier.
Au terme des 30 ans de l’entente, ce sont 12 millions $ qu’elle aura encaissés, et cela est sans compter la rémunération des membres du conseil d’administration de SDM et d’autres frais que la Ville n’avait pas à encourir auparavant.
Ceci dit, les chercheurs constatent que la Ville aurait avantage à reprendre les rennes de la gestion des stationnements puisqu’elle empocherait la totalité des revenus générés par cette activité. Ils suggèrent de mettre fin à l’entente avec la CCMM.
Par ailleurs, selon eux, l’ajout de parcomètres et les hausses des tarifs ont été réalisés à l’encontre des préoccupations des citoyens et des commerçants. D’une part, des parcomètres ont été installés sur des tronçons de rues résidentielles, faisant en sorte que les résidents ont perdu des places de stationnement dans certains quartiers jugés commerciaux de Montréal.
D’autre part, les clients ont tendance à fuir le centre-ville, car le parcomètre y est trop cher. Les chercheurs dénoncent ces pratiques allant à l’encontre des objectifs de la SDM qui, en 1994, souhaitait faciliter la fréquentation des quartiers commerciaux et avoir un impact sur le développement économique de la Ville.
En conclusion, les chercheurs réitèrent qu’aucune preuve n’est faite en ce qui a trait à meilleure gestion des stationnements par le secteur privé.
Au contraire, ils observent que l’évolution de l’entente avec la CCMM a été marquée par plusieurs erreurs issues de mauvais choix d’investissement et de manque de transparence, mais surtout, que des pratiques ont été réalisées au détriment des commerçants, des résidents et des utilisateurs.
Ils s’interrogent sur la légitimité de l’intervention constante du secteur privé dans la sphère publique, notamment dans les activités commerciales, dont la gestion des stationnements?
« Au nom de quel a priori tout ce qui relève du commercial doit absolument relever du privé, alors que ce dernier ne pourrait avoir aucune expérience en la matière, comme c’était le cas ici avec SDM? », questionnent les chercheurs de la Chaire d'études socio-économiques. Selon eux : « il n’y avait aucune raison valable de gérer la portion des stationnements en partenariat avec SDM, et il n’y en a toujours pas 14 ans plus tard, et ce malgré des revenus intéressants qui auraient pu servir en totalité à la Ville et à la collectivité, surtout en pleine période de turbulence économique où chaque dollar compte ».
Source : Chaire d’études socio-économiques, ESG UQAM