Texte d’une intervention faite lors du Colloque organisé par les IPSO (Les Intellectuels pour la Souveraineté) tenu à Montréal, le 6 juin 2009, sur le thème suivant :« Construire une majorité exige que la souveraineté soit rendue concrète par un projet de pays. Mais lequel? »
Le thème du colloque de ce matin reflète une façon de promouvoir la souveraineté qui a été mise de l’avant dans les cercles souverainistes depuis, au moins, une trentaine d’années. Pour mieux faire comprendre les avantages qu’il y aurait à ce que le Québec devienne indépendant, on s’est efforcé d’incarner la souveraineté dans un projet de société auquel une majorité de Québécois pourraient s’identifier. Quoi de mieux, en effet, pour rendre l’indépendance désirable, que de lui donner les traits concrets d’une société concrète, définie aussi précisément que possible afin que tous puissent la visualiser, si possible dans ses moindres détails? Et à chaque fois que l’occasion se présentait, on en a profité pour faire valoir que la souveraineté, si nous l’avions, nous permettrait de mieux régler tel ou tel problème ou d’atteindre tel ou tel objectif.
Cette approche a certainement ses mérites, et je l’ai employé moi-même à plusieurs occasions. Mais avec le temps et après réflexion, j’en suis venu à la conclusion qu’il y avait une autre approche, une approche différente qui était au moins aussi valable. Cette approche est celle qui prédominait aux premiers temps du mouvement indépendantiste et du PQ d’avant la prise du pouvoir. C’est l’approche que j’appellerais celle de la souveraineté pour la souveraineté. De l’indépendance pour l’indépendance.
Mais voyons!, me dira-t-on, l’indépendance, ce n’est pas une fin en soi, c’est un moyen : on ne cherche pas l’indépendance pour l’indépendance ! Mais si ! On peut rechercher l’indépendance pour l’indépendance, comme on recherche la liberté pour la liberté. Être libre, être indépendant, pouvoir se gouverner soi-même, être maitre de ses décisions, c’est une fin en soi. C’est même la première fin qu’il faut rechercher quand on veut se bâtir un pays ou une vie à soi.
Chacun a ses raisons pour être souverainiste. Pour moi, c’est la conviction que le Québec mérite d’exister comme un pays égal aux autres, comme un membre à part entière de la société des nations. L’indépendance, pour moi, c’est d’abord une proclamation officielle sur la scène internationale de l’existence de notre nation. C’est dire au monde entier que nous prenons notre place sur la planète et que nous assumons tous les pouvoirs et les devoirs d’un pays souverain. Et, dans notre cas particulier, c’est dire au Canada que nous récupérons tous les pouvoirs qu’il exerce actuellement sur notre société et tous les impôts qu’il perçoit chez nous.
Pourquoi le Québec doit-il être souverain ? Tout simplement parce qu’il le mérite et qu’il le peut. Parce qu’il est une société qui, avec le temps, a su développer son caractère distinct des autres. Une société qui est maintenant capable de se subvenir à elle-même, de développer ses propres modèles sociaux, de contribuer à sa manière à l’avancement du genre humain. Une société qui a duré, qui a su traverser de nombreuses épreuves et survivre à des tentatives avouées de l’assimiler et de la faire disparaitre. Une société qui participe activement à l’une des grandes cultures de l’Occident et est un membre majeur de la Francophonie mondiale.
Le Québec doit également devenir souverain parce qu’il ne l’est pas et qu’il a besoin de l’être. Tant qu’il reste soumis à la constitution canadienne actuelle, le Québec ne peut pas devenir un pays français, mais restera toujours un pays bilingue; il ne pourra jamais contrôler complètement son immigration; il ne pourra pas conserver tous ses impôts; il n’aura aucun contrôle sur son droit criminel; ni sur ses télécommunications, sa radio et sa télévision; ni sur ses banques et la plupart de ses principales institutions financières; ni sur ses pêcheries; ni sur ses chemins de fer et ses transports aériens et maritimes; ni sur sa navigation; ni sur ses brevets, ses marques de commerce et sa propriété intellectuelle; ni sur ses forces armées et ses alliances militaires. Sans parler de compétences incomplètes et partagées sur l’agriculture, l’environnement et la recherche. Et, bien sûr, il ne pourra pas faire entendre sa voix dans les nombreux forums internationaux où se discutent de plus en plus de sujets qui affectent ses intérêts.
Devenir souverain, c’est l’aboutissement d’un long périple. C’est le couronnement de quatre siècles d’efforts, de persistance et de développement par une centaine de générations de Québécoises et de Québécois. C’est un témoignage de fidélité et de reconnaissance à nos ancêtres.
L’indépendance, comme la liberté dont elle l’expression politique sur le plan collectif, n’exige donc pas de justification extérieure. Elle n’a pas besoin de se présenter sous la forme d’un quelconque projet de société. Pensez au Général de Gaulle lançant aux Français son appel de Londres : avait-il besoin de justifier la France Libre par autre chose que la nécessité que la France retrouve sa liberté ? La liberté de la France était une fin en soi. L’indépendance de la France était la fin première. En 1776, l’indépendance des États-Unis était une fin en soi. En 1921, l’indépendance de l’Irlande était une fin en soi. En 1947, l’indépendance de l’Inde était une fin en soi. Et il en sera de même pour les 141 États qui, depuis 1945, se sont joints aux 51 membres fondateurs des Nations Unies. Être un pays reconnu souverain par les autres nations du monde, c’est une fin en soi.
C’est pourquoi je crois que la meilleure façon de convaincre les Québécoises et les Québécois de militer pour l’indépendance du Québec, c’est de leur dire : faisons-le pour nous-mêmes, pour être libres, pour être maitre chez nous.
Cela étant dit, il y a un certain nombre d’éléments fondamentaux sur lesquels les Québécois doivent faire un large consensus quant à la nature du pays qu’ils veulent se donner. Personnellement, j’en vois trois sur lesquels je voudrais dire un mot :
- le Québec souverain sera un pays démocratique, fondé sur la règle de droit,
- le Québec souverain sera un pays français, reconnaissant les droits et l’apport de ses nations autochtones et de sa minorité anglophone,
- le Québec sera un pays dont la souveraineté sera acquise dans les règles et exercée en fonction des exigences économiques contemporaines.
Je ne crois pas qu’il y ait de difficulté à s’entendre entre Québécois sur le caractère démocratique d’un Québec souverain. Notre démocratie n’est pas parfaite, loin de là, mais les progrès que nous avons faits à cet égard ne seront certes pas remis en question par la souveraineté. Par ailleurs, je crois qu’au début, il serait sage de conserver, dans une constitution provisoire, les institutions démocratiques que nous avons et que nous connaissons bien, sans essayer de les changer en même temps que nous faisons l’indépendance. La remise en cause, par exemple, du mode de scrutin ou du régime parlementaire demandera des analyses et un débat public qu’il vaudrait mieux tenir dans le cadre de l’adoption d’une constitution définitive. Évidemment, il faudra, dès le départ, remplacer la Reine par un Président.
Le caractère français du Québec souverain mérite quelques mots. Il va de soi que le français sera la seule langue officielle du Québec, de son Parlement, de ses lois, de ses tribunaux et de ses institutions publiques. Cela garantira enfin notre sécurité identitaire. Mais à l’intérieur de cette exclusivité, il faut accepter de faire une place pour la reconnaissance des nations autochtones qui habitent le territoire depuis plus longtemps que nous, et celle de la minorité anglophone qui a contribué à plusieurs traits de notre identité québécoise et qui tient à conserver son identité propre.
La présence parmi nous de onze nations autochtones, dont plusieurs ont conservé leur langue et leurs coutumes, et d’une minorité anglophone de plus d’un million de personnes ayant ses propres institutions, est un enrichissement dont nous devons nous réjouir et qu’il nous faut protéger. Le Québec est plus riche de sa diversité. Dans le monde d’aujourd’hui, c’est un atout inestimable qu’il nous sera heureusement plus facile de reconnaitre quand nous serons souverainement français.
Enfin, je voudrais dire un mot de l’exercice de la souveraineté dans le contexte d’aujourd’hui. La souveraineté des États, telle que définie par Bodin au 16e siècle, a un caractère absolu : on est souverain complètement ou on ne l’est pas du tout. Dans la vie des États, cependant, la réalité a toujours été plus complexe et, de nos jours, les États souverains sont de plus en plus enclins à partager leur souveraineté dans le cadre d’alliances économiques, voire même politiques. La souveraineté, aujourd’hui, est moins un moyen de s’isoler que de se rapprocher. Les États qui s’isolent, comme la Corée du Nord ou la Birmanie, sont l’exception plutôt que la règle.
Si le Québec veut être de son siècle, il doit exercer sa souveraineté non pas pour s’isoler mais pour se rapprocher de ses voisins et des autres pays. Cela veut dire que le Québec cherchera à conserver son union commerciale et monétaire avec le Canada et ses relations de libre échange avec les États-Unis et le Mexique. D’ailleurs, les Québécois n’ont jamais envisagé d’avoir des douanes à franchir pour aller en Ontario ou au Nouveau-Brunswick ou d’échanger leurs dollars canadiens contre des dollars québécois. Heureusement, il est tout à fait possible de nos jours d’être souverain sans cela.
Le Québec doit également accepter les règles internationales qui régissent l’accession d’un pays à la souveraineté. Ce n’est pas parce qu’un pays déclare son indépendance qu’il est automatiquement accepté comme un pays souverain par la communauté internationale. Au contraire, il y a des règles à suivre. Ainsi, il ne suffirait pas que le Québec déclare son indépendance pour recevoir la reconnaissance des autres États, être accepté par la communauté internationale et devenir membre de l’Organisation des Nations Unies. La reconnaissance du Québec par les autres pays relève de chacun d’entre eux et chaque pays demeure entièrement libre de décider s’il reconnaîtra ou non le Québec comme pays souverain. Quant à l’ONU, il n’y a aucun cas d’admission d’un pays sécessionniste sans l’accord du pays d’origine.
En conséquence, si le Québec veut conserver son union commerciale et monétaire avec le Canada, recevoir la reconnaissance des autres nations et faire son entrée aux Nations Unies, il doit accepter que son accession à l’indépendance se fasse à la suite de négociations avec le Canada. C’est d’ailleurs ce qui a été proposé aux Québécois lors du référendum de 1995. Il n’y a pas lieu remettre en question cette façon de faire. Surtout qu’en vertu de la décision de la Cour suprême, le Canada a l’obligation constitutionnelle de négocier de bonne foi et qu’une telle négociation est clairement dans l’intérêt des deux parties et sera fortement souhaitée par les autres pays, à commencer par les États-Unis et la France.
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