Lors d’un voyage à Cuba, nous avons pu rencontrer un militant du Fatah de la première heure à qui nous avons demandé ce qu’il pensait du VIe congrès du Fatah. Abou Bechar (son pseudonyme de guerre) ne désire pas être identifié, mais nous connaissons son parcours et savons que son témoignage est digne de foi.
l’aut’journal : Les médias occidentaux, comme d’habitude, ont tracé de ce congrès une image assez terne. Malgré quelques différents, le statu quo semble assuré, Mahmoud Abbas a été réélu comme président et les «négociations de paix» avec Israël continueront. Qu’en pensez-vous?
Abou Bechar: Tout d’abord, il faut dire que la tenue d’un congrès du Fatah dans un territoire militairement occupé est un non sens. Jusqu’à présent tous les congrès ont eu lieu à l’étranger et, pour celui de 2009, la Jordanie ou Alger avaient été suggérés. Mahmoud Abbas a imposé qu’il se tienne à Bethléem.
De plus, la liste initiale de 1 500 congressistes s’est vu accrue de 700 autres déléguéEs, la plupart choisis par Abbas lui-même. Ces deux mesures assuraient sa réélection car, à l’étranger, il n’aurait certainement pas été réélu.
De ce fait ce congrès s’est mué en une véritable mascarade. On a neutralisé les protestataires en leur intimant de se taire ou de sortir. D’autres, plus virulents, ont été battus par les gardes de sécurité et l’un d’eux s’est même retrouvé à l’hôpital.
De plus, les déléguéEs devaient avoir un laissez-passer israélien. On peut imaginer le filtrage et le contrôle. Une autre chose étonnante, Abou Qorei, premier ministre du temps d’Arafat, n’a même pas été élu.
l’aut’journal : Ex chef de la résistance armée palestinienne, Marwan Bargouthi a été élu au comité central du Fatah alors qu’il purge en Israël cinq peines d’emprisonnement à vie. Que dites-vous de cette élection?
Abou Bechar : Marwan Bargouthi est devenu un partisan des négociations de paix avec Israël. Après avoir voulu se présenter contre Abbas à la dernière élection présidentielle en 2005, il a finalement décidé de l’appuyer. Mais dans un prochain scrutin il pourrait se présenter à la présidence de l’Autorité palestinienne.
Dans quelle mesure ces cinq années de détention et le contact permanent avec les Israéliens ont-ils pu changer ses perceptions sur l’avenir de la Palestine, nul ne saurait le dire. Cependant, il est certain que c’est le seul homme capable de négocier un accord entre le Fatah et le Hamas.
l’aut’journal : Venons-en maintenant à la révélation de Farouk Kaddoumi. Lors d’une entrevue avec la chaîne Al Jazeera, il a déclaré qu’il détient des documents prouvant qu’il y a eu un complot entre Ariel Sharon, Mahmoud Abbas et Mohamed Dahlan pour empoisonner Yasser Arafat.
Abou Bechar : Je crois que ces documents sont authentiques (il s’agit d’un procès-verbal d’une réunion entre les trois conjurés). Ils ont été envoyés avec une lettre d’Arafat à Farouk Kaddoumi, le numéro deux de l’OLP, qui réside en exil à Tunis.
On se souvient qu’en 2004 Arafat était assiégé dans son bureau de la Mukata à Ramallah. Ariel Sharon avait demandé alors aux autorités américaines la permission d’«éliminer physiquement» le président de l’Autorité palestinienne. Le gouvernement américain avait refusé, ne voulant pas faire d’Arafat un martyr.
Peu après, il tombait gravement malade et mourait de façon mystérieuse dans un hôpital de Paris en novembre 2004. Beaucoup de personnes croient qu’il a effectivement été empoisonné.
Yasser Arafat portait toujours sur lui un pistolet chargé et ne se serait jamais laissé prendre vivant. Pour expliquer cette haine féroce d’Ariel Sharon, il faut remonter à la bataille de Karameh en 1959 à la frontière de Jordanie où les milices palestiniennes commandées par Arafat avaient battu les troupes d’Ariel Sharon et cela devait être vengé.
l’Aut’journal: Une dernière question plus personnelle. Abou Bechar, pourquoi tenez-vous tant à l’anonymat?
Abou Bechar : Fatah est un acronyme inversé qui veut dire Mouvement national de libération palestinienne. C’était au départ une organisation clandestine de lutte armée. Des membres fondateurs, deux seulement sont encore vivants, les autres ont tous été assassinés par les services secrets israéliens.
Le Fatah a été créé en 1956 par Abou Amar (Arafat), Abou veut dire «père de ». Je l’ai rencontré en 1961 et, bien plus tard, je suis devenu délégué du Fatah pour une région. Plusieurs de ces délégués ont aussi été assassinés et maintenant, avec la paranoïa qui a suivi les événements du 11 septembre, des déportations sont toujours possibles partout à travers le monde.
Merci Abou Bechar! Nous vous souhaitons de pouvoir retourner un jour dans votre pays enfin libéré.
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