Deux mois après que deux cents militaires, en pleine nuit, eurent séquestré et déporté au Costa-Rica le président du Honduras, Manuel Zelaya, ni l’Organisation des États américains (OEA), ni les Nations-Unies, ni le rejet unanime de tous les gouvernements latino-américains, ni la suspension de l’aide de l’Union européenne ne sont venus à bout de la dictature.
Pour l’avocate des droits de l’homme états-unienne, Eva Golinder, il n’y a pas le moindre doute que les États-Unis sont ceux qui permettent aux putschistes honduriens de se maintenir au pouvoir.
Le moins que l’on puisse dire, écrit-elle sur le site Web Rebelion, est que l’administration Obama a condamné le coup d’état de façon très ambigüe.
D’abord, en parlant de « rupture de l’ordre constitutionnel » au lieu de « coup d’état », Washington a sciemment adopté le langage des putschistes qui se justifient en accusant le président Zelaya d’avoir le premier rompu avec la constitution du pays.
Les États-Unis ont aussi manipulé l’OEA de façon à ce qu’elle abandonne l’idée du retour au pouvoir immédiat du président Zelaya et adopte une solution de « négociations » entre « deux parties en conflit » de façon à gagner un temps précieux pour la dictature et à essouffler la résistance hondurienne.
La médiation du président costaricain, Oscar Arrias, a laissé croire que les deux positions sont acceptables, légitimé les putschistes et culpabilisé le président renversé d’une partie des faits ayant provoqué le coup d’état.
D’ailleurs, ajoute Golinder, la secrétaire d’état, Hillary Clinton, et ses porte-parole qualifient maintenant Roberto Micheletti de « président intérimaire ».
L’administration Obama n’a ni rompu les relations diplomatiques ni gelé l’importante aide financière et militaire fournie depuis 25 ans au Honduras, pas plus qu’elle n’a appliqué les mesures commerciales prévues dans le traité de libre-échange avec l’Amérique centrale (CAFTA) en cas de rupture avec la démocratie.
« Ces mesures, dit Laura Carlsen, directrice du programme Amériques, du Centre de politique international, coûteraient très cher aux putschistes et sont réclamées par la population hondurienne qui a clairement indiqué qu’elle est prête à en assumer les conséquences pour défendre la démocratie. »
Regroupés dans le Comité de résistance nationale contre le coup d’état (CRNG, en espagnol), les secteurs populaires prennent d’assaut les rues et les routes du pays et cela, sans faillir, depuis le premier jour du putsch.
Les manifestations auxquelles s’ajoute une grève générale illimitée font mal aux putschistes mais l’aide états-unienne continue d’affluer et le temps de jouer en faveur de la dictature.
Cette aide, par exemple, dit Andrés Pavon, directeur du Comité des droits humains du Honduras (CODEH), a récemment permis à Roberto Micheletti d’engager des commandos israéliens venus « mettre leur expérience palestinienne et colombienne au service des forces armées du Honduras ».
« Ils sont là, ajoute Pavon, pour provoquer agression et violence. Ils vont commettre des assassinats sélectifs et répandre la peur pour décourager les manifestations et démobiliser la résistance. »
Pour sa part, Marie Nassif-Debs, du réseau Tlaxcala, explique ainsi la présence israélienne au Honduras. En Israël, dit-elle, avant le coup d’état, les services secrets avaient déjà commencé à parler « d’une coordination entre l’Iran (par l’entremise du Hezbollah) et le Venezuela pour frapper les intérêts israëliens en Amérique latine ».
Diego Hernan Cordoba, membre de la rédaction de l’Agence de presse du Mercosur, va dans le même sens : le coup au Honduras est dirigé contre le Venezuela et l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA).
« Comme dans un jeu d’échecs, écrit-il, en bougeant un pion (Honduras), on cherche à ce que la pièce plus importante, le roi (ALBA), fasse un mouvement erroné permettant de mettre en échec le bolivarisme de Hugo Chavez. »
D’ailleurs, aux premiers jours du coup, le président Chavez, dit-on, brûlait de s’impliquer militairement dans le conflit.
« N’oublions pas, dit encore Cordoba, que l’engagement d’un pays de l’ALBA dans un conflit ferait une grande faveur aux faucons états-uniens de même qu’aux classes dirigeantes latino-américaines. »
Le coup d’état, ajoute-t-il, est aussi un avertissement de ces mêmes faucons à toute l’Amérique latine et même à l’administration Obama qui « doit comprendre qu’elle ne peut presque rien changer à la tradition impériale que la république nord-américaine a établi depuis la deuxième guerre mondiale. »
Pour le journaliste argentin, Luis Balboa, dans le contexte de l’actuelle crise financière mondiale qui a fortement frappé la croissance des entreprises et du choix opéré par la plupart des gouvernements progressistes de ne pas toucher aux structures de pouvoir de la droite, celle-ci reprend rapidement l’initiative, en Amérique latine.
En plus de remporter les élections législatives en Argentine, le 28 juin dernier, et au Mexique, le 5 juillet, la droite parraine une série d’opérations visant à démolir moralement les régimes qui combattent davantage les causes profondes de la misère.
Bilbao mentionne quelques-unes de ces opérations : le commando d’étrangers débarqué en Bolivie pour assassiner Evo Morales; la vidéo diffusée par CNN impliquant le président guatémaltèque, Alvaro Colom, dans le meurtre d’un avocat; la tentative d’abattre l’avion qui amenait Morales et Hugo Chavez assister à l’intronisation du président Mauricio Funes, au Salvador, et l’offensive internationale sans précédent de la presse commerciale contre le même président Chavez.
Tout cela, écrit-il, montre que « l’époque du contrôle de l’Amérique latine par des gouvernements constitutionnels, inaugurée dans les années 1980 par l’administration Carter, est maintenant révolue ».
L’écrivain et politologue argentin, Marcelo Colussi, croit, lui aussi, que « toutes les dictatures de l’histoire latino-américaine ne sont pas disparues parce que la plupart des nouveaux gouvernements de gauche n’y ont pas touché. ».
Le coup au Honduras est là pour nous le rappeler, dit-il. Tant que l’économie était forte, pas de problème. Mais avec la crise de 2008, les populations « pathétiquement, continuent d’être sans défense face aux pouvoirs de facto : quelques tanks dans les principales villes, des coupures d’énergie et une bonne campagne médiatique demeurent très difficiles, sinon impossibles à affronter. »
Colussi demande s’il est encore possible pour les mouvements populaires d’employer des moyens pacifiques alors que la réponse est la force brute. Il reproche aux « simulacres de démocratie de gauche », adeptes de la voie pacifique vers le socialisme, d’avoir « laissé leur population à la merci des actes criminels de la droite ».
« Bien au-delà, conclut-il, des bonnes intentions d’un jamais plus qui a circulé sur le continent après le retrait des dernières dictatures du 20e siècle, rien ne garantit, qu’avec de simples déclarations politiques, effectivement, jamais plus ne pourront revenir la répression, le sang et les guerres sales. »
Carlos Aguilar, lui, chercheur à l’Institut brésilien d’analyse sociale et économique, il croit que le « virage à gauche » expérimenté depuis une décennie en Amérique latine respire encore.
« Ce qui est certain, dit-il, c’est que le coup d’état marque une nouvelle ère et que celle-ci apporte de nouvelles possibilités de transformations que les populations et politiciens du continent se doivent de saisir! »
En ce sens, les élections qui auront lieu dans les deux prochaines années, au Chili, au Brésil et en Argentine, sont cruciales.
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