Que se passe-t-il donc avec le réseau d’études collégiales ? Chaque début d’année scolaire ravive les mêmes inquiétudes, chuchote les mêmes rumeurs et ramène une réalité qui semble immuable. Sous-financement chronique, fermetures ou suspensions de programmes d’études, diminution de l’effectif étudiant, remise en question de la formation générale, etc. Le portrait semble bien sombre n’est-ce pas ? Les causes sont multiples. Identifiées. Les solutions possibles. Si on les aborde avec courage.
Rappelons que les premières véritables difficultés du réseau collégial sont apparues à la fin des années 90. Le gouvernement de Lucien Bouchard prenait alors une décision extrêmement pénalisante, particulièrement pour les cégeps en région.
Le financement des cégeps qui était jusque-là basé sur le nombre de groupes formés — on formait un groupe de 10, 12 ou 25 étudiants et on obtenait le financement nécessaire pour offrir ce cours — passait, à la fin des années 90, à un financement lié à chacun des étudiants inscrits à un cours dans un programme donné.
Et les calculs du ministère s’accompagnaient d’une variable qui, grosso modo, exigeait la présence de 60 étudiants inscrits à un programme d’études sur trois ans (une moyenne de 20 par cours à chacune des années) pour obtenir un plein financement.
À première vue, cette mesure semble bien inoffensive. Mais dans un contexte de baisse démographique comme nous le vivons depuis le début des années 2000, ce nouveau mode de financement est venu mettre une pression insoutenable pour les collèges en région qui ne peuvent atteindre des seuils aussi élevés d’admission.
Les cégeps se retrouvent alors aspirés dans une spirale sans fin. On suspend ou on ferme des programmes. Les jeunes doivent quitter leur région pour poursuivre leurs études, ce qui vient à nouveau diminuer le bassin de recrutement potentiel et entraîner à brève et moyenne échéance la fermeture de nouveaux programmes.
Vous voyez le tableau ? Pourtant les collèges ont pour mission d’offrir un enseignement de qualité, tout en proposant une offre de programmes variée permettant aux jeunes de développer leur plein potentiel et participer ainsi au développement social, culturel et économique de leurs coins de pays respectifs.
Le manège libéral
Comme si cette réalité ne suffisait pas, l’un des premiers chantiers entrepris par le gouvernement Charest et ce, dès son élection d’avril 2003, aura été celui portant sur l’avenir de l’enseignement collégial.
Le ministre de l’Éducation d’alors, Pierre Reid, se donnait comme objectif de revoir de fond en comble le rôle et la mission des cégeps. S’inscrivant dans la même démarche idéologique des libéraux qui s’acharne depuis leur arrivée au pouvoir à démolir le modèle québécois, ce chantier allait par contre permettre à la population québécoise de clamer très clairement son désaccord avec les orientations libérales.
En effet, au printemps 2004, lors du Forum sur l’avenir de l’enseignement collégial, les étudiants, les parents, le personnel des collèges, les universités, les employeurs et même la majorité des éditorialistes réaffirmaient haut et fort que le réseau collégial avait non seulement rempli sa mission d’accélérer la scolarisation de la population québécoise, mais que les cégeps s’étaient constamment et parfaitement adaptés à l’évolution économique, sociale et culturelle du Québec moderne.
Toutes et tous convenaient qu’on ne devait pas démanteler le réseau collégial, mais qu’il était au contraire nécessaire de tout mettre en œuvre afin de favoriser son développement.
Il faudrait d’ailleurs le rappeler aux jeunes adéquistes qui, au cours des derniers jours, ont exhumé une proposition totalement farfelue recommandant l’abolition de la formation pré-universitaire dans les cégeps.
Même la Commission de l'éducation arguait dès mars 2003 qu'il fallait de façon urgente revoir le mode de financement des cégeps, lancer une vaste campagne d'information sur l'enseignement collégial et surtout permettre aux cégeps de régions de développer des créneaux exclusifs favorisant ainsi une redistribution nationale de l'effectif étudiant.
Depuis, non seulement le gouvernement Charest n’a proposé aucune mesure favorisant le développement du réseau collégial, mais il a plutôt laissé le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) s’acharner à fragiliser encore davantage les institutions en difficulté, particulièrement les cégeps et centres d’études collégiales situés en région, en multipliant les embûches administratives et en resserrant encore davantage les mesures de financement.
Pendant la même période, on a également permis à des collèges des grands centres de développer des programmes entrant directement en compétition avec ceux offerts en région.
Le gouvernement Charest, par opportunisme politique, par aveuglement idéologique ou tout simplement par lâcheté a abdiqué ses responsabilités et a abandonné la gestion du réseau des cégeps aux mains de quelques hauts fonctionnaires autocrates, qui n’ont pas de compte à rendre à personne.
Ces hauts fonctionnaires anonymes qui orchestrent silencieusement le démantèlement du réseau collégial et qui n’en finissent plus d’exécrer les choix d’un peuple.
Quand on sait que l’ensemble des intervenants du marché du travail s’inquiète présentement de la pénurie d’une main d’œuvre qualifiée et autonome, que la majorité des programmes techniques offrent un taux de placement exceptionnel aux étudiantes et étudiants, on ne peut que dénoncer l’attitude du gouvernement Charest, qui par son immobilisme crasse freine la scolarisation des jeunes de toutes les régions du Québec.
Un marché de l’Éducation
Nous le constatons depuis quelques années, le gouvernement Charest poursuit son oeuvre dévastatrice en appliquant la plus pernicieuse politique du laisser-aller, la loi du marché autorégulateur dirait-on dans les sphères néolibérales.
Et la ministre des Sports qui dans ses loisirs s'intéresse parfois à l'Éducation, Michèle Courchesne, est totalement satisfaite de la situation. Elle n'a même pas besoin de se mouiller. Les collèges en régions ferment ou suspendent eux-mêmes des programmes et développent toutes sortes de patentes pédagogiques ou administratives afin de parer au sous-financement et à l'immobilisme des libéraux.
Nous assistons donc à un véritable siège du réseau collégial. Le laxisme des libéraux conduit aujourd'hui les gestionnaires des cégeps à s’inscrire dans une culture marchande de l’Éducation, entraînés dans une compétition féroce et souvent bien inégale entre les institutions afin de courtiser «la clientèle» potentielle.
On recrute quelques étudiants à l’étranger pendant que certains collèges de Montréal et de Québec débordent. On développe à un rythme effréné des attestations d’études collégiales (AEC), versions écourtées et sans formation générale, au détriment du diplôme d’études collégiales (DEC).
On mélange des cohortes d’étudiants afin de minimiser les coûts, on courtise le secteur privé, on diminue les exigences d’admission, etc. Une véritable fuite en avant qui va à l’encontre de la mission des cégeps et qui fragilise un pan entier de notre système d’Éducation ! Même le PDG de la Fédération des cégeps propose de suivre la voie des commerces et d’élargir la plage horaire des collèges en offrant de la formation le soir et la fin de semaine. Du délire !
Des solutions et du courage
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille baisser les bras et tout abandonner. Au contraire ! Il faut exiger du gouvernement du Québec qu’il fasse preuve de responsabilités éducative et sociale et qu’il réinvestisse — et pas seulement dans le béton — dès maintenant dans l’enseignement collégial en proposant un financement qui respecte les réalités géographique et démographique ainsi que la mission des institutions en région.
En juillet dernier, même la Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur, chapeautée par l’UNESCO, insistait sur l’importance d’investir dans les études postsecondaires. Il faut également exiger du gouvernement québécois qu’il s’engage sérieusement dans une campagne de promotion et de valorisation de l’éducation avant qu’il ne soit trop tard. Il est inconcevable que 40 % de nos jeunes ne terminent pas leurs études secondaires.
Pourquoi ne pas donner suite à la recommandation qui proposait d’attribuer des programmes nationaux exclusifs et le développement de créneaux d’excellence pour les cégeps en région qui ne seraient pas mis en compétition avec les grands centres ?
Il faut travailler à renverser la tendance dévastatrice de la migration vers les grands centres et chercher à diriger les gens de la ville vers nos régions dites éloignées ! Il faut à tout prix sortir de cette vision concentrationnaire de l’Éducation !
Avant d’accepter d’augmenter le nombre d’étudiants dans certains collèges, pourquoi ne pas mettre en place des mécanismes favorisant le déplacement de ces jeunes vers des collèges en manque d’effectif ?
Cette mesure favoriserait la venue en région d’une horde d’étudiants qui découvriraient de nouveaux coins du pays. Cette approche pourrait même faciliter l’intégration de nouveaux arrivants à la société québécoise !
Plusieurs collèges en région recrutent présentement à l’Île de la Réunion par exemple, ce qui est très intéressant. Mais l’île de Montréal, ça vous dit quelque chose ? Il faudrait assurément réfléchir à la possibilité d’améliorer l’accessibilité aux études en réduisant l’endettement étudiant, en indexant l’aide financière aux études au coût de la vie et en permettant plus de souplesse au niveau des modalités de paiement des frais de scolarité.
Bien sûr ces mesures demanderaient du courage politique. Ce qui n’est pas jusqu’à maintenant l’apanage de la bande à Jean Charest…
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