Le Parti libéral du Canada vient de dévoiler ses publicités de pré-campagne électorale pour faire la promotion de leur nouveau leader. Dans la version anglaise, Michael Ignatieff est présenté comme un chef d’État. Dans la version québécoise, l’accent est plutôt mis sur le bilan du gouvernement Harper. Autrement dit, la « grande politique » pour le Canada anglais, le « home rule » pour le Québec.
L’arrivée de Michael Ignatieff est le signe d’une reprise en main du Parti libéral en conformité avec les ambitions des éléments les plus réactionnaires de la classe dirigeante canadienne qui veulent que le Canada joue un rôle militaire actif aux côtés des États-Unis. Dans ce schéma, on retrouve la nécessité de marginaliser le Québec, jugé trop pacifiste.
Au cours des dernières années, de nombreux ouvrages ont été publiés au Canada anglais développant cette perspective. Par exemple, dans « Whose War is it? How Canada Can Survive in the Post-9/11 World », J. L. Ganatstein présente le pacifisme québécois comme un obstacle aux ambitions internationales du Canada. Après avoir rappelé les crises de la conscription lors des deux guerres mondiales et, plus récemment, l’opposition à la guerre en Irak et au Bouclier anti-missiles américain, l’auteur écrit que « si le Québec peut réclamer ses propres champs de compétence dans les relations internationales, le Canada anglais pourrait lui aussi avoir sa propre politique étrangère, plus particulièrement un rôle international qui va au-delà de celui des casques bleus pour le maintien de la paix et une politique de défense en appui à un rôle plus actif. » Autrement dit, l’Unesco pour le Québec, l’Otan pour le Canada-anglais.
Granatstein accuse ni plus ni moins le pacifisme québécois d’avoir gangrené la politique canadienne, et plus spécifiquement le Parti libéral, en le rendant responsable de la décision de Jean Chrétien de ne pas participer à la guerre en Irak. « La clé de cette opposition, écrit-il, était l’opinion anti-guerre véhémente du Québec que le Premier ministre Chrétien partageait apparemment. »
Dans « The Unexpected War, Canada in Kandahar », les auteurs Janice Gross Stein et Eugene Lang décrivent les péripéties de la politique étrangère et de défense du Canada qui ont conduit à cette décision du gouvernement Chrétien et à celle du gouvernement Martin de rejeter le Bouclier anti-missiles. Ils parlent d’une dérive pacifiste du Parti libéral dont la cause réside avant tout, selon eux, dans le caucus québécois.
Dans ces circonstances, Michael Ignatieff est l’homme tout désigné pour ramener le Parti libéral dans une trajectoire plus conforme aux intérêts de la classe dirigeante canadienne et de l’establishment militaire.
Reporter vedette de la BBC, Michael Ignatieff a appuyé les bombardements de l’Otan en Yougoslavie. Plus tard, en tant que directeur du Carr Center of Human Rights Policy à Harvard, il est intervenu publiquement en soutien à l’invasion de l’Irak et aux politiques de restriction des libertés civiles de l’administration Bush, allant même jusqu’à justifier la torture.
Au cas où ces garanties ne suffiraient pas, il peut invoquer le fait que son père, George Ignatieff, a été ambassadeur du Canada en Yougoslavie et représentant du Canada auprès de l’Otan. Michael Ignatieff a aussi jugé nécessaire de publier True Patriot Love, dans lequel il rappelle les services rendus à l’impérialisme britannique et au Canada par ses ancêtres maternels.
Son arrière-grand-père maternel, George Monro Grant, s’est distingué pour avoir participé à la première expédition pour établir le tracé du premier chemin de fer transcontinental et a soutenu l’écrasement de la Rébellion des métis dirigée par Louis Riel. À la fin du XIXe siècle, il s’engage dans les forces armées pour répondre à l’appel de la Grande-Bretagne afin d’aller mater la rébellion des Boërs en Afrique du sud.
Plus tard, lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, c’est au tour de son fils, William Lawson Grant, de répondre présent à l’appel de l’Angleterre avec la publication de « Our Just Cause », un texte exalté et belliqueux en faveur de la guerre.
Pas étonnant qu’avec un tel pedigree, Michael Ignatieff soit l’homme tout désigné pour ramener le Parti libéral dans le droit chemin. Ce qu’il fait trois mois à peine après son élection à la Chambre des Communes lorsque Stephen Harper présente, au printemps 2006, une motion pour le prolongement de la mission canadienne en Afghanistan.
Ayant réuni autour de lui deux douzaines de députés libéraux en appui à la motion, Michael Ignatieff donne à Stephen Harper les voix qui lui manquent pour que la motion soit adoptée. Harper ne s’y trompe point. Il traverse la Chambre pour aller serrer la main à Ignatieff.
Deux ans plus tard, lorsque Stephen Harper présente une nouvelle motion pour prolonger la mission en Afghanistan jusqu’en 2011, c’est encore une fois Michael Ignatieff qui court-circuite son chef, Stéphane Dion, opposé à la guerre, en rédigeant un amendement que Stephen Harper s’empresse d’incorporer à la motion pour la faire adopter.
Stephen Harper et Michael Ignatieff marchent main dans la main pour augmenter les budgets militaires et faire participer le Canada aux aventures impérialistes des États-Unis. Les deux pensent qu’ils peuvent vendre cette idée du Canada à l’électorat canadien-anglais, mais pas à l’électorat québécois.
Aussi, à moins que le Bloc québécois se décide enfin à faire de la question de la guerre en Afghanistan – une guerre qui nous coûte 200 millions $ par mois – un enjeu électoral, les Libéraux et les Conservateurs n’en parleront pas au Québec. Ils feront campagne uniquement sur des enjeux « domestiques ». Ce qui ne les empêchera pas, cependant, d’envoyer des soldats québécois se faire estropier et mourir dans la région de Kandahar pour la plus grande gloire du Canada.
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