PRÉAMBULE
La laïcité suppose la séparation du politique et du religieux et repose sur trois principes indissociables: la liberté de conscience, l'égalité en droit de toutes et de tous (croyants, agnostiques ou athées) et la neutralité de l'État.
Au Québec et au Canada, les rapports politiques et juridiques entre l’Église et l’État n’ont jamais été officiellement définis. C’est dire que les Chartes et les textes constitutionnels québécois et canadiens ne contiennent aucune garantie attestant de la séparation de l’Église et de l’État.
Il faut aussi rappeler que le Québec est une province du Canada et qu’il est soumis aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’interprétation qu’en donne la Cour suprême. Ainsi ces dernières années, des contestations juridiques pour motifs religieux se sont retrouvées jusqu’en Cour suprême dont les décisions ont préséance sur les cours provinciales et font que la définition du cadre laïc échappe au Québec qui n’a jamais cru bon de s’y soustraire en invoquant la clause nonobstant.
Bien que sur le plan formel, la séparation de l’Église et de l’État ne soit pas inscrite dans nos textes constitutionnels, il n’en demeure pas moins que dans les faits, le Québec et le Canada sont laïques.
Le caractère laïc de l'État québécois est l'aboutissement d'une histoire collective qui n'a cessé d'évoluer depuis les années Duplessis. En effet, cette dynamique, qui a provoqué des changements majeurs, coïncide avec la modernisation des institutions de l'État et la libéralisation de la société. La quête de liberté caractérisée par le Refus global s'élargit et s'étend à toute la société. Nous assistons alors au Québec à une séparation de l'État et du clergé, à un investissement majeur de l’État dans le système éducatif et les soins de santé et à l'instauration de nouveaux leviers économiques proprement québécois. Toutefois, malgré cette prépondérance du rôle de l’État, d’énormes compromis seront faits avec l’Église dans le domaine de l’éducation en maintenant la confessionnalité dans les écoles publiques du Québec.
C'est dans ce contexte de modernisation que la lutte des femmes pour la reconnaissance de leurs droits devient un enjeu indissociable du devenir de tout un peuple. Que de chemin parcouru depuis l'obtention du droit de vote en 1940! Il est bien loin le temps où l'on obligeait les femmes à se couvrir la tête en se présentant à l'Assemblée législative. En 1975, La Charte des droits et libertés de la personne entre en vigueur et proclame que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité. Fortes de ces principes, les femmes gagneront d’importantes batailles qui contribueront indéniablement à la modernisation du Québec.
Cependant, force est de constater que si l'égalité est bel et bien toujours en marche, sa progression peut être réversible et ses acquis fragiles. C’est pourquoi, en 2007, faisant suite à la crise des accommodements religieux qui trop souvent remettaient en cause le statut actuel des femmes, le gouvernement du Québec a modifié le préambule de la Charte afin de préciser que l’égalité entre les femmes et les hommes constitue un des fondements de la justice et que « les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes (art. 49.2). »
Reconnus par la Charte comme étant égaux en valeur et en dignité, les gais et lesbiennes obtiennent dans la dernière décennie la reconnaissance et l’avancement de leurs droits ainsi qu’une promesse du gouvernement actuel de mettre en place, d’ici la fin 2009, une politique nationale de lutte contre l’homophobie.
C’est dans un tel contexte, où les droits des femmes, des enfants et ceux des homosexuels sont menacés par les différents intégrismes religieux, qu’il nous faut prendre toute la mesure de l’importance d’une charte de la laïcité et réitérer le principe, à l'article 9.1 de notre Charte des droits et libertés stipulant que : « Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. »
Bien que le caractère laïc de l’État québécois semble avéré pour la plupart d’entre nous, il n’a pas encore été clairement proclamé dans un texte officiel. Certes, le Québec s’est modernisé, mais sans qu’il y ait eu de véritable débat sur la laïcité, alors que les discussions n’ont porté que sur la déconfessionnalisation du système scolaire, laissant ainsi les employeurs et les institutions publiques dans un vide juridique lorsqu’ils sont confrontés à des demandes d’accommodements religieux. Ce qui ouvre la porte, d’une part, à la confusion, à une surenchère des demandes d’accommodements pour des motifs religieux et provoque, par ailleurs, des tensions inutiles au sein de la population. En effet, sous l’impulsion de groupes religieux organisés qui font fi des valeurs communes de laïcité et d’égalité si chères au peuple québécois, nous assistons depuis quelques années à l’érosion de notre espace public.
Ceci n’est évidemment pas propre au Québec et doit être envisagé dans un contexte international où les fondamentalismes religieux exercent des pressions et des menaces éhontées sur les institutions de l’ONU et affligent les populations locales de traitements dignes d’un autre âge. En outre, dans cette conjoncture de remontée des fondamentalismes, les tribunaux québécois et canadiens ont eu tendance à donner à la liberté religieuse une interprétation telle qu’elle peut à l’occasion avoir préséance sur le caractère laïc des institutions. Selon plusieurs spécialistes, cette interprétation très large trace la voie à plusieurs dérives.
C’est dire que les intégrismes religieux se nourrissent les uns les autres et constituent une menace aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Le caractère laïc de l’État québécois gagnerait à être mieux défini, respecté et préservé s’il était enchâssé dans une charte de la laïcité. Cela implique que l’Assemblée nationale prenne ses responsabilités et définisse les droits et les devoirs de chacun dans le cadre de cette laïcité. Il n’est plus possible de repousser cet enjeu aux calendes grecques. Comme il n’est plus acceptable d’abandonner à leur sort des professionnels qui, dans l’exercice de leurs fonctions, sont confrontés à des demandes d’accommodements religieux. Nos politiciens doivent agir. La population attend des actes.
Le cadre laïc offre aux citoyens la possibilité d’interagir dans un espace commun au-delà de leurs croyances et de leurs convictions. Il constitue le seul moyen pour construire le lien social en partageant des valeurs communes. Il est illusoire de prétendre, tel que le préconise le multiculturalisme, que le vivre-ensemble est possible sans pour autant consolider des valeurs communes. La société québécoise n’est pas une juxtaposition de mosaïques communautaires. Forte de sa pluralité et de sa diversité, elle a une identité propre, une histoire, une langue commune et des valeurs spécifiques. En ce sens, la laïcité est le vecteur de l’intégration de toutes et de tous dans la société en créant l’équilibre entre le respect des convictions individuelles, forcément diverses, et le lien social.
L’école est le lieu de la transmission du savoir universel, de l’apprentissage des valeurs communes citoyennes tout comme celui du développement de la conscience critique. C’est aussi le lieu de l’épanouissement de l’élève et de la formation de son autonomie intellectuelle au-delà des pesanteurs familiales ou communautaires. En ce sens, l’école n’est et ne doit être aucunement le simple reflet de la société ou encore une cité en miniature mais une institution organique vouée à reproduire, non seulement le lien social, mais une pratique éclairée de la démocratie. Élever l'esprit à la liberté de jugement grâce à une culture universelle suppose le respect de l’enfant, sa protection et une application stricte de la laïcité.
En 2005, le Québec complète la déconfessionnalisation du système scolaire. La démarche qui a mené à cette déconfessionnalisation ne peut être banalisée. Il faut se rappeler que cette démarche a impliqué que les catholiques et les protestants ont renoncé à des droits qui leur étaient reconnus par la Constitution, ce qu’ils ont accepté au nom du bien commun. Cela signifie que le retour de pratiques religieuses ne saurait être accordé à d’autres confessions sous quelque prétexte que ce soit.
Dans cette perspective, le programme d’Éthique et de culture religieuse qui fait l'apologie du religieux plutôt que d'en faire une lecture historique, sème la confusion entre ce qui a trait aux connaissances et ce qui se rapporte aux croyances. Ceci entraînera, inéluctablement, une permissivité face au fait religieux et ne permettra pas aux élèves d’en faire une analyse critique. Cette approche constitue un réel danger pour l'avenir de la laïcité. L’école doit doter les élèves d’outils et de méthodes d’analyse. Elle doit veiller à apprendre aux élèves ce qui relève de la sphère publique et ce qui relève de la sphère privée. Les croyances religieuses ainsi que les convictions doivent demeurées une affaire privée. Au demeurant, l'École est un lieu de convergence de citoyens en devenir. Elle doit mettre en avant ce qui unit les individus et s'articuler à ce qui est commun à tous.
Quant aux subventions publiques aux écoles privées, la réalité du système scolaire nous montre que plus de 20% des élèves du secondaire fréquentent le réseau des écoles privées (plus de 30% à Montréal) et que celles-ci sont confessionnelles à 80%.
En 1975, le Québec s’est doté d’une Charte des droits et libertés de la personne qui a préséance sur toutes les autres lois de l’Assemblée nationale et qui reconnaît certains principes laïques comme la liberté de conscience et interdit toute discrimination fondée sur la religion. En 1997, le Québec a aussi déconfessionnalisé ses écoles publiques en remplaçant ses commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques. Le temps est maintenant venu de parachever notre cheminement collectif en nous dotant d’une charte québécoise de la laïcité.
PARTIE I.
UN ÉTAT LAÏC AU SERVICE DU BIEN COMMUN
- Le Québec est un État démocratique et laïc garant de la liberté de conscience. Outre la liberté de culte ou de conviction qui protège l’individu, il permet librement à tous de choisir ou non une option religieuse ou humaniste, d’en changer ou d’y renoncer.
- Il s’assure qu’aucun groupe, aucune communauté n’impose à quiconque une appartenance ou une identité confessionnelle, en particulier en raison de ses origines.
- Il privilégie l’application de lois civiles par opposition à des lois dites divines. Il protège chacune et chacun contre toute pression, physique ou morale, exercée sous couvert de telle ou telle prescription religieuse.
PARTIE II.
LES INSTITUTIONS PUBLIQUES
- Les institutions publiques doivent refléter la neutralité de l’État. En conséquence, tout signe religieux ostentatoire doit être interdit.
- Cette interdiction ne s’applique pas au patrimoine religieux qui fait partie de l’histoire nationale et doit être préservé.
LES AGENTS DU SERVICE PUBLIC
- Tout agent public a un devoir de stricte neutralité.
- Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience.
- Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses - par exemple, par le port de signes religieux ostentatoires ou par des pratiques cultuelles - dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.
- Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ses services.
- La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’une banque de congés civils pour participer, s’ils le souhaitent, à une fête religieuse dès lors que ces congés sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service.
- Tous les employés des services publics bénéficient de la même banque de congés, peu importe leur appartenance religieuse ou leurs convictions.
LES USAGERS DU SERVICE PUBLIC
- Tous les usagers sont égaux devant le service public.
- Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène.
- Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public pour des motifs religieux.
- Les usagers séjournant à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances ou de leurs convictions.
- Ils pourront participer à l’exercice de leur culte si telle est leur volonté, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service.
PARTIE III. LES ÉCOLES PUBLIQUES ET PRIVÉES CONFESSIONNELLES
- L’État doit interdire aux élèves des écoles publiques primaires et secondaires tout port de signes religieux ostentatoires.
- L’État doit mettre fin aux subventions publiques aux écoles privées confessionnelles.
- L’État doit abolir le programme d’éthique et de culture religieuse (ECR).
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