Par Djemila Benhabib, Diane Guilbault, Louise Mailloux, Hafida Oussedik, membres du Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité (CCIEL)
La scène se passe dans un bureau d'un organisme gouvernemental chargé d'émettre des permis. Quand vient son tour, l'homme se présente aux guichets et constatant que le fonctionnaire a la peau noire, exige de parler à son supérieur à qui il explique qu'il refuse de transiger avec un Noir car il a la conviction que les Noirs et les Blancs ne doivent pas se mélanger et demande à être servi par un autre fonctionnaire.
«Pas de problème», lui fait savoir le gestionnaire. «Dès qu'un Blanc se libérera, il pourra vous répondre.» Vous dans la salle, n'en croyez pas vos yeux, ni vos oreilles. Vous appelez la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour dénoncer ce que vous venez de voir. Mais, surprise! On vous informe que cet «accommodement» est tout à fait acceptable.
Eh oui, c'est en effet ainsi qu'a conclu la CDPDJ à qui la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) a demandé d'examiner si sa politique d'accommodement, qui permet la discrimination, était conforme à la Charte. À un détail près : dans les faits, il s'agit d'une discrimination basée sur le sexe et non pas sur la race.
On se rappellera que les médias avaient rapporté le cas de la communauté juive hassidique qui avait demandé à la SAAQ un accommodement qui consistait à ce que l'examen de conduite des hommes de cette communauté soit administré par des hommes seulement. La SAAQ a entériné cette discrimination sur la base du sexe et la CDPDJ l'a jugée acceptable en raison des convictions religieuses sincères des demandeurs.
Bien que cette décision rendue par la CDPDJ, le 30 janvier 2009, soit passée inaperçue, elle n'en est pas moins scandaleuse. Est-elle représentative de la façon de faire de la CDPDJ peu après la Commission Bouchard-Taylor pour répondre aux inquiétudes manifestées par une grande partie de la population face à une série d'accommodements religieux pour le moins discutables? Pourquoi ne pas avoir fait connaître par communiqué de presse cet entérinement de la politique de la SAAQ?
Les citoyennes et les citoyens du Québec qui se sont pourtant démenés pour faire entendre leurs objections à ces accommodements religieux discriminatoires à l'égard des femmes, ne sont pas au bout de leur peine.
En effet, la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, a déposé en mars dernier le projet de loi 16 portant sur la gestion de la diversité culturelle dans l'administration publique. Pas une fois le mot «accommodement» n'est mentionné mais en fait, il plane partout.
Ce projet de loi vise à obliger les ministères et organismes publics à se doter d'un plan d'action et de politique de la gestion de la diversité culturelle, incluant les accommodements religieux, sans qu'aucune mesure d'encadrement ne soit proposée.
Il est donc fort à parier que le modèle SAAQ fera des émules, d'autant plus qu'il a reçu la bénédiction d'une Commission des droits de la personne pourtant sensée lutter contre toutes les discriminations mais qui semble avoir abandonné la lutte contre le sexisme pour privilégier une vision rétrograde des droits humains !
De plus en plus de citoyennes et de citoyens au Québec sont convaincus que le caractère laïc de nos institutions publiques est en péril et que ce faisant, cela risque de faire perdre aux femmes les acquis des dernières décennies. C'est sans doute pour cette raison que des femmes et des hommes de toutes origines ont été nombreux à répondre à l'appel pour une charte québécoise de la laïcité, conscients que la laïcité et l'égalité des sexes sont des valeurs universelles et intrinsèques à la démocratie.
Avant d'adopter un projet de loi pour organiser formellement les accommodements religieux dans les institutions publiques, l'Assemblée nationale gagnerait à définir le contenu de la laïcité, celui de la neutralité des institutions ainsi que des employé-es qui les incarnent. Plus encore, le caractère laïc de l’État québécois mériterait d’être enchâssé dans une Charte de la laïcité.
Ceci ne peut se faire qu’en invitant le peuple québécois à se prononcer clairement sur ces enjeux de société cruciaux. Nous aurions ainsi une occasion de bâtir un consensus sur ces questions fondamentales en traduisant nos aspirations citoyennes en gestes politiques.
Au lieu de sombrer dans le passé en réintroduisant le religieux dans la gestion du vivre-ensemble, le Québec doit plutôt se souvenir du processus historique qui l’a amené à la séparation du politique et du religieux depuis 50 ans. La laïcité, c’est opter pour un cadre politique qui permet une vision moderne, démocratique, basée sur les droits humains plutôt que sur les lois religieuses.