Il fallait s’y attendre. Le Front commun venait à peine de faire connaître ses demandes salariales que déjà les médias traditionnels tiraient à boulets rouges. Michel Girard de La Presse y allait de sa propre salve avec une chronique intitulée « L’effronterie du secteur public » (17 octobre 2009).
M. Girard connaît les trucs du métier. Pour camoufler son point de vue de chroniqueur financier, il se drape dans le « nous » du contribuable pour repousser ce qu’il appelle « l’insolence » et le « sans-gêne » des 475 000 employés du secteur public qui réclament des augmentations totalisant 11,25% en trois ans, ce qui augmenterait la masse salariale de la fonction publique de 3,2 milliards.
« En tant qu’employeur indirect, oui, elles m’arrachent les cheveux, vos demandes et non, on n’a pas les moyens de vous payer », écrit-il.
Pour motiver sa position, il invoque le déficit (de 5 milliards du gouvernement), la dette (une pensée pour les générations futures), l’importance de la rémunération des employés de l’État dans les finances publiques (55% de l’ensemble des dépenses), la nécessaire augmentation de la TVQ et des tarifs qui en découleraient, le taux de chômage qui frise le 8,8%.
« Désolé, on n’a pas les moyens de s’appauvrir collectivement pour améliorer votre sort! », conclut-il.
Ouf ! Tout est là !
Une petite relecture de son journal apprendrait à M. Girard que la dette du Québec n’existerait pas si le gouvernement n’avait pas transformé en réductions d’impôts pour les mieux nantis les millions obtenus du gouvernement fédéral pour le règlement du déséquilibre fiscal, s’il avait pris l’initiative d’occuper le champ fiscal libéré par la baisse de la TPS – ce qui lui aurait rapporté deux milliards – sans compter le milliard perdu dans la péréquation et le 400 millions toujours impayé pour la crise du verglas.
En fait, des économistes évaluent à 8 milliards les montants que le gouvernement du Québec est en droit de réclamer à Ottawa.
On entend déjà M. Girard nous rétorquer que le fédéral n’a pas d’argent, que son déficit annoncé est de 50 milliards et patati et patata.
Pouvons-nous lui recommander la lecture fort instructive de l’article de l’économiste Pierre Beaulne paru dans le dernier Nouvelles CSQ.
On y apprend que le taux d’impôt fédéral sur les profits a été réduit du tiers en cinq ans et que le gouvernement fédéral évaluait dans son Énoncé économique d’octobre 2007 à 50,5 milliards les allègements fiscaux consentis aux entreprises de 2007 à 2012… soit l’équivalent du déficit fédéral. Tiens, tiens !
Les réductions d’impôts pour les entreprises sont telles au Canada que le taux d’imposition sur les nouveaux investissements s’élèverait, selon Pierre Beaulne, à 16,4% contre 21,8% en moyenne pour les pays de l’OCDE et 34,4% pour les États-Unis. Des chiffres qui démolissent l’argument traditionnel de la nécessité de maintenir une fiscalité « compétitive » dans le cadre de l’Amérique du Nord.
Mais M. Girard considérera sans doute comme « biaisée » l’étude d’un économiste de la CSQ. Alors, renvoyons-le plutôt à ses propres articles. Dans sa chronique du 12 septembre sur les paradis fiscaux, il écrit que « nos riches détiendraient des placements d'au moins 300 milliards de dollars dans ces opaques royaumes de la finance ».
Trois cents milliards, c’est beaucoup d’argent! Surtout qu’ils devraient être taxés, selon M. Girard, à 48% plus les pénalités. Même taxés à 16,4%, ça ferait une belle rentrée fiscale!
Ne récupérer qu’une partie de cet argent et la verser en augmentation de salaires aux employés du secteur public permettraient d’augmenter la consommation, relancer la machine économique et réduire le taux de chômage.
C’est ce qui est survenu lors du règlement de l’équité salariale. Selon Le Devoir, « le règlement rétroactif de 1,5 milliard qui a commencé à parvenir aux 330 000 employées du secteur public s'est soldé par une augmentation spectaculaire de 4,9 % du chiffre d'affaires des commerces québécois ». (L’équité salariale dope l’économie, 25 juillet 2007)
C’est l’abc de l’économie que tout chroniqueur s’intéressant à ces questions devrait être en mesure de comprendre facilement s’il n’était pas intoxiqué par l’idéologie néolibérale, celle-là même qui a conduit l’économie mondiale au bord du précipice.
Mais, il est bon de rappeler que M. Girard n’est pas un chroniqueur économique, mais bien un chroniqueur financier. Ses écrits en témoignent. Citons seulement sa chronique du 19 octobre 2009, (Des obligations plus radines que jamais) où il se plaint du fait que les taux d’intérêt soient trop bas, ce qui permet au ministre des Finances Jim Flaherty, écrit-il, de « justifier le radin rendement de 0,40% qu'il offre actuellement aux acheteurs de ses nouvelles obligations d'épargne ».
Un cours d’économie 101 apprendrait à M. Girard qu’une hausse des taux d’intérêt à ce moment-ci réjouirait sans doute ses petits amis bien nantis, mais qu’elle risquerait de plonger l’économie dans une dépression.
Sur le site de Cyberpresse, M. Girard est présenté comme « le chien de garde des petits investisseurs ». Sûrement un bon « chien de garde », mais qui se méprend sur qui il protège.
Enfin, si nous voulions nous payer une pinte de bon sang, nous pourrions servir à M. Girard sa propre médecine lorsque son syndicat, au mois de décembre prochain, négociera les conditions salariales de ses membres avec les propriétaires de Gesca Power Corporation.
« Nous », les lecteurs de La Presse, pourrions-nous dire, nous nous opposons à toute augmentation de salaire des employés du quotidien parce que cela ferait augmenter le coût de l’abonnement et celui des tarifs publicitaires, des hausses que les entreprises nous refileraient par la suite. Désolé, pourrions-nous lui lancer, mais « nous » ne voulons pas nous appauvrir collectivement pour améliorer votre sort.
Mais nous ne sommes « effrontés » à ce point !
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