Si les chroniqueurs de La Presse Alain Dubuc et Michel Girard postulaient un emploi pour remplir les étalages du marché Jean-Talon – advenant, par exemple, que La Presse ferme ses portes le 1er décembre comme le menace la direction dans l’éventualité où les syndiqués refuseraient d’accepter les concessions demandées – et présentaient leurs récentes chroniques comme « expérience pertinente » pour appuyer leur candidature, ils seraient recalés.
De toute évidence, les deux « savants » chroniqueurs économiques mélangeraient les pommes et les oranges, les raisins et les bleuets, les patates et les navets.
Publié le 24 octobre sous le titre «Le public, le privé et les vrais chiffres », la chronique de Michel Girard est un bel exemple de cette salade indigeste appelée couramment « Le n’importe quoi ».
Manifestement échaudé par l’abondance et la fureur des réactions à sa chronique « L’effronterie du secteur public » où il s’en prenait aux demandes salariales des 475 000 employés du secteur public, Girard se donne pour mission, cette fois-ci, de répondre à une question simple : Qui gagne le plus : les employés du secteur public ou ceux du secteur privé?, en s’appuyant sur les données de l’Institut de la statistique du Québec.
Plutôt que de comparer tout de suite des emplois comparables, Michel Girard nous entraîne dans un grand tour de jardin en juxtaposant l’ensemble du secteur privé (2,5 millions d’emplois) et l’ensemble du secteur public en tenant compte, en plus de la fonction publique québécoise, des employés des sociétés d’État, des municipalités, du gouvernement fédéral (807 000 emplois).
Girard nous dit – comme si nous ne le savions pas – que les employés du secteur public gagnent de meilleurs salaires et travaillent moins d’heures par semaine que ceux du privé. Girard ajoute que la comparaison serait encore plus favorable au secteur public si on incluait dans le secteur privé les 542 000 travailleurs autonomes.
Comment expliquer une telle différence? Tout simplement par le fait que les employés du secteur public sont syndiqués à 81,0% comparativement à 26,2% pour ceux du secteur privé. Pas besoin d’un diplôme en économie pour comprendre cela. C’est pourquoi, sondage après sondage, lorsqu’on demande aux non-syndiqués s’ils préféreraient être syndiqués, ils répondent Oui dans une proportion de 60%.
Michel Girard mentionne dans sa chronique ces données sur la syndicalisation, mais il ne semble pas en comprendre la signification. Quelqu’un de son entourage devrait lui expliquer les choses simples de la vie, comme le fait qu’il y a longtemps que ses patrons à La Presse auraient imposé aux journalistes et autres employés diminution de salaire et allongement de la semaine de travail s’ils n’étaient pas syndiqués.
Ne désespérons pas, Girard peut être un bon élève. Dans sa chronique, il en arrive finalement à commencer à comparer ce qui est comparable. Il met en parallèle les employés de l’administration québécoise – donc, ceux qui sont regroupés en Front commun – et ceux des entreprises privées de 200 employés et plus. Il jubile (presque) en soulignant que les salariés du secteur public gagnent 4,2% de plus que ceux du privé.
Mais, ajoute-t-il, « une précision s’impose ». Les résultats diffèrent lorsqu’on compare vraiment des pommes avec des pommes, des oranges avec des oranges, c’est-à-dire des syndiqués avec des syndiqués. Les syndiqués du privé gagnent 12,2% de plus que ceux du public.
De plus, si on continue à comparer les pommes avec les pommes, on se rend compte que les salariés de l’administration québécoise gagnent 22,7% de moins que leurs collègues des municipalités et des sociétés d’État et quelque 13,5% de moins que ceux du fédéral.
Quelle conclusion en tire-t-il? Que, peut-être, les employés des autres administrations publiques sont surpayés! Espérons, pour les syndiqués de La Presse, que Michel Girard ne fait pas partie du comité de négociation ! Du côté syndical, s’entend. Parce que, de toute évidence, il est déjà bien assis du côté patronal de la table.
Dans sa chronique du 26 octobre, intitulé « Un ‘‘timing’’ assassin», Alain Dubuc prend le relais de son collègue Girard. Il écrit que « depuis un quart de siècle, le gouvernement a cherché à atteindre un équilibre entre la rémunération du secteur public et celle dans les grandes entreprises privées ».
Il reconnaît que le gouvernement, « en vertu de cette philosophie, a été peu généreux pendant des années parce que le public était mieux traité », mais que les choses ont changé et que « les employés du public accusent maintenant un retard ».
Reconnaissons-lui le mérite d’arriver à cette conclusion passablement plus rapidement que Michel Girard.
Cependant, selon Alain Dubuc, l’heure n’est pas à rétablir « l’équilibre » de la rémunération, mais à changer « les règles du jeu »! Et là, il marche dans les traces de son collègue Girard pour comparer la situation du secteur public québécois avec l’ensemble du secteur privé, mélangeant les pommes avec les oranges.
Il ajoute deux arguments que, soyez en assurés, la partie patronale et ses relais médiatiques utiliseront abondamment au cours des prochaines semaines.
Il y a d’abord l’argument de la sécurité d’emploi. Alain Dubuc est obligé de reconnaître que « beaucoup de travailleurs du public n’ont plus la sécurité mur à mur d’antan », mais il oublie de mentionner que, dans le secteur de la santé et de l’éducation, on assiste à une pénurie d’emplois. C’est pour cette raison que la campagne du Front commun tourne en bonne partie autour de deux thèmes : l’attraction et la rétention de la main d’œuvre.
L’autre argument, nouveau mais prévisible, ce sont les caisses de retraite. Dans le privé, les régimes se sont détériorés par suite de l’effondrement de la Bourse. Alain Dubuc « oublie » de mentionner que, si les régimes sont déficitaires, c’est en bonne partie parce que les employeurs ont pris des « congés de cotisations » à répétition. Pour éviter de payer la taxe que le fédéral impose lorsque le surplus dépasse 10%, ils ont préféré placer leurs capitaux dans des paradis fiscaux. Une démarche qui aurait reçu l’approbation du chroniqueur financier qu’est Michel Girard, toujours à l’affût d’une combine pour éviter de payer de l’impôt.
C’est le cas de son patron, Power Corporation, qui demande aujourd’hui aux employés de La Presse de convertir leur caisse de retraite à prestations déterminées en régime à cotisations déterminées, ce qui aurait pour effet de déplacer le risque financier sur les épaules des cotisants, des employés.
Avis aux syndiqués de La Presse, Alain Dubuc est assis du même côté de la table de négociation que son collègue Michel Girard.
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