par Pierre Dubuc
Après le rapport du vérificateur général sur le contrat des compteurs d’eau, c’est maintenant au tour de la nouvelle directrice de la Ville de Montréal de révéler que l’administration Tremblay a complètement perdu la maîtrise de ses projets au profit de l’entreprise privée. La ville a été sous-traitée aux firmes de génie-conseil et à la mafia.
La situation n’est pas étonnante. Depuis trente ans, on assiste à des charges à fond de train contre l’État, la fonction publique et le bien commun. Le secteur public, a-t-on voulu nous laisser croire, était synonyme d’inefficacité, mais le privé savait faire. Au « monopole » d’État, il fallait opposer la « saine concurrence ». Nous en voyons le résultat. Collusions entre les firmes, ententes secrètes et des prix gonflés de 35%.
On a ouvert toute grande la porte à la corruption, à l’intrusion des entrepreneurs et de la mafia dans le financement des partis politiques. Les partis politiques pouvaient jouir de ressources importantes malgré un membership anémique et se passer d’une base militante. Ils n’avaient plus à se soucier de représenter les intérêts de la population. Ils pouvaient se contenter de représenter les intérêts d’une petite clique d’entrepreneurs.
Et cela nous a donné les programmes et les discours politiques mièvres, aseptisés et édulcorés des dernières années et des taux de participation à l’avenant.
Aujourd’hui, un redressement important s’impose. La façon d’y parvenir, c’est par une structure étatique forte, avec une solide fonction publique formée des cols blancs et des cols bleus, syndiqués par surcroît si on veut éviter le patronage.
Il n’est pas inutile de rappeler qu’historiquement c’est précisément pour contrer une situation similaire à celle que nous connaissons actuellement que les services publics ont été municipalisés, qu’on les a enlevés des mains de l’entreprise privée.
À Montréal, le redressement souhaitable est rendu plus difficile par la présence de dix-neuf arrondissements, qui sont autant de petits fiefs à avoir dépouillé la ville-centre de ses principaux pouvoirs.
Tremblay, Bergeron ou Harel ?
Quelle est la personne la mieux placée pour redonner à Montréal une administration publique digne de ce nom?
The Gazette croit que c’est le maire actuel Gérald Tremblay. Le journal justifie son choix en citant Pierre Elliot Trudeau : « Ne me comparez pas au Tout-Puissant, comparez moi à l’alternative ».
The Gazette reconnaît que le mieux que le maire Tremblay puisse dire est qu’il ne savait pas ce qui se passait au sein de son administration. Tout un bilan ! Mais il vaut mieux avoir la mafia à l’Hôtel-de-ville qu’une « séparatisse ». De quoi faire réfléchir tous ceux qui sous-estiment le degré d’hostilité de l’establishment anglophone à l’égard du projet souverainiste.
Le candidat Richard Bergeron présente un excellent programme municipal. Sa compréhension de la nature structurante du transport urbain pour le développement de la métropole est sans égale.
Cependant, il faut reconnaître qu’il n’a pas réussi au cours des quatre dernières années à s’entourer d’une équipe aguerrie, si bien qu’il se voit obligé de promettre en fin de campagne d’aller puiser dans les rangs de ses adversaires pour former son conseil de ville s’il est élu. C’est un aveu de faiblesse.
Le programme de Louise Harel est sur bien des points comparable à celui de Richard Bergeron. Cependant, elle devrait reconsidérer positivement la proposition de Bergeron en faveur du tramway à Montréal et rayer de son programme la concession faite à Benoît Labonté de chercher à obtenir une nouvelle exposition universelle.
Montréal n’a pas besoin de ces « grands projets » dont la célèbre urbaniste Jane Jacobs mettait en garde les Québécois en disant qu’ils étaient plus « déstructurants » qu’autre chose.
Avant qu’on puisse faire « redémarrer Montréal » comme le proclame le slogan de Mme Harel, il est nécessaire de restructurer la fonction publique municipale et revoir la répartition des pouvoirs entre la ville-centre et les arrondissements. Pour y arriver, il faudra une grande dextérité politique et seule Louise Harel a l’expérience, le savoir-faire et les années de service pour y arriver.
C’est pourquoi nous croyons que Louise Harel représente le meilleur choix dans les circonstances actuelles.
Cependant, peu importe le candidat élu, le déclin de Montréal va se poursuivre. À bien des égards, Montréal est devenue une ville régionale au service de Toronto, métropole canadienne, avec toutes les conséquences néfastes que cela constitue pour l’ensemble du Québec. Montréal a même glissé au troisième rang, derrière Toronto et Calgary, pour la présence des sièges sociaux.
Dans The Question of Separatism, publié en 1980, Jane Jacobs avait prédit ce destin inéluctable pour Montréal si le Québec ne devenait pas indépendant.
Récemment, dans une lettre publiée dans Le Devoir (13 août 2009), la doctorante en développement régional Virginie Proulx enrichissait cette perspective en rappelant les propos d’Ernst Friedrich Schumacher dans Small is Beautiful.
En substance, Schumacher nous demandait d’imaginer ce que serait Copenhague aujourd’hui si l’Allemagne avait annexée le Danemark en 1864 et ce que serait Bruxelles si la Belgique faisait partie de la France. Sa réponse était sans appel : « des villes de province sans importance ».
C’est le sort qui attend Montréal sans l’indépendance du Québec.
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