Allocution prononcée à Saint-Ours-sur-Richelieu lors de la remise à l’auteur, le 22 novembre 2009,des Grandes Palmes patriotiques d’or, par le Rassemblement d’un pays souverain (RPS)
Je vous trouve bien téméraires et audacieux en ces temps d’adoration du « jeunisme », de faire appel à un vieux ferrailleur de la langue pour recevoir les palmes patriotiques de votre mouvement.
Votre hommage est précieux pour les hommes et les femmes de ma génération qui ont gardé le fort, en attendant écrivait Malherbe « que les fruits passent la promesse fleurs. » C’est-à-dire que le Québec occupe enfin la place qui l’attend depuis trop longtemps à la table des nations.
Combien d’autres eussent été plus méritants pour recevoir cet honneur ? Vous avez arrêté votre choix sur un cavalier à l’armure bosselée par des décennies de duels et de combats dans l’arène de la défense de la langue française.
À trois reprises (1995,2000, 2004), aux congrès d’un parti auquel j’adhère encore - au nom d’une vieille espérance au bord de la lassitude - les dirigeants du PQ repoussaient la proposition du français obligatoire jusqu’au cégep inclusivement. Je garde de cette époque des regrets amers et une plaie ouverte le 14 décembre 2000…
J’ai fait ce que dois, quitte à en payer le prix. « On ne paie jamais trop cher le privilège d’être son propre maître, écrivait Kipling. Des forces irrésistibles venant du fond de notre histoire m’ont toujours porté à monter au créneau dès lors que je sentais la langue de mes pères et mères menacée, soit par les malfrats de l’assimilation, soit par des députés égarés et pusillanimes, soit par les nouveaux accommodants raisonnables d’un inter culturalisme corrosif et dissolvant de notre identité nationale.
Depuis deux siècles et demi, notre peuple a préservé envers et contre tous l’essentiel de ses acquis culturels et linguistiques et la maîtrise au moins partielle de son développement.
Je ne suis pas de ceux qui tiennent notre culture pour passéiste. Nos pères et mères, nos enseignants, nos curés, nos paysans et travailleurs, ont fait ce que nous sommes. Ils sont la mémoire de notre histoire. Ils ont bien œuvré pour la suite du monde. Résistants, bien avant que le mot fasse fortune, ils ont permis malgré la soumission imposée à une couronne étrangère que le Québec conserve sa cohérence, sa dignité nationale et ses chances d’avenir.
« Une population dont le territoire est planifié par d’autres, aménagé par d’autres, géré par d’autres, exproprié par d’autres, dans un but et une perspective établis par d’autres et au profit des autres, est réduite à l’insignifiance», disait René Lévesque, dont plusieurs d’entre nous restent inconsolables de sa disparition.
Si les générations sont mortelles, elles ne sont pas faites d’oubli. À preuve, votre Rassemblement qui ajoute une nouvelle étoile à la galaxie des mouvements ou organisations qui s’opposent à la robotisation de l’humanité et au recyclage des États nationaux en paillassons des puissances financières aux parvis des nouvelles églises de l’argent roi et du Dieu marché !
Les lendemains à venir seront difficiles. Qu’importe! S’il fallait toujours espérer pour entreprendre, les peuples entreraient dans l’Histoire à reculons.
Tenons-nous-en à l’essentiel : l’existence d’une nation québécoise sur le continent américain. Cette question à laquelle deux siècles et demi de palabres, de discussions et d’affrontements n’ont pas encore apporté de réponse n’en finit plus de préoccuper le Québec et le Canada, toujours deux solitudes après la mal nommée Confédération canadienne, votée par la peau des fesses à deux voix de majorité en 1867.
Mal nommée, car une confédération est une union d’états souverains qui s’associent dans le but de poursuivre des projets communs. Le Grand Robert : « Union entre plusieurs États qui s'associent tout en conservant leur souveraineté ».
La démarche souverainiste québécoise s’inscrit dans la modernité de notre époque. Partout dans le monde, la tendance est à la formation de grands ensembles économiques, politiques et sociaux regroupant les intérêts des États, chacun conservant son indépendance et la part de souveraineté qu’il consent librement à déléguer à des instances supranationales.
L’Organisation des Nations unies comptait 51 pays membres au moment de sa fondation en 1945 : elle en compte maintenant 192, soit une moyenne approchant 3 nouveaux pays membres par année depuis sa création.
On ne me fera pas croire que ces 141 nouveaux pays sont tombés sur la tête, que leurs citoyens sont ringards et demeurés, partiellement civilisés, à côté de la plaque de l’histoire, comme le prétendent les bruyants ténors du fédéralisme envahisseur et prédateur, dont le modèle canadien est un exemple triste et éloquent.
La souveraineté n’est ni un épouvantail à moineaux, ni un lance-fusées en direction de territoires hostiles, ni une menace à la stabilité des États. Elle désigne tout simplement la capacité politique et juridique d’un peuple à décider lui-même des conditions de son interdépendance.
Elle est très exactement le contraire d’un séparatisme revanchard et belliqueux, frileusement replié dans un ghetto ethnique, comme se plaisent à le décrire les profiteurs du statu quo et de la dépendance.
Qu’on le veuille ou non, qu’on le nie ou non, les Québécois forment un peuple issu de la nation canadienne-française, la première d’origine européenne à prendre racine sur le continent nord-américain, il y plus de quatre siècles.
Cette nation s’est enrichie au fil des ans de l’apport de nouveaux citoyens de toutes les parties du monde, des « ayant droits » mais aussi « des ayant devoirs » envers une société qui les accueille à bras ouverts, avec une ouverture et une générosité dont on trouve de rares exemples dans les sociétés modernes.
Et l’on voudrait nous faire croire que nous flirtons avec le racisme, le repli identitaire, le nationalisme sectaire et revanchard.
Depuis plus de deux siècles vit au Québec une minorité de langue anglaise avec un ensemble de droits imprescriptibles qui font l’envie de toutes les minorités du monde.
Trouvez-moi à l’échelle de la planète un exemple aussi éloquent de tolérance et de reconnaissance de l’autre ? Trouvez-moi un autre exemple dans le florilège des nations où l’une d’entre elles accorde dans son système d’enseignement à une minorité de 8% de ses citoyens la possibilité d’assimiler la majorité de ses nouveaux citoyens à sa langue et à sa culture ?
Pour parler crûment et sans figue de style, y’en a marre des accusations d’intolérance, d’ethnicité ou de repli sur soi par des universitaires prébendés jusqu’à plus soif pour nous culpabiliser d’être nous-mêmes !
Y’en a marre d’une Cour suprême penchée comme la tour de Pise, toujours du même côté! Y’en a marre du gouvernement des juges en lieu et place du gouvernement des élus.
Y’en a marre des lucides autoproclamés d’instituts (sic) à la gomme, avec leurs projets vieillots et faisandés de privatisation de nos entreprises étatiques, Hydro-Québec, SAQ, régime d’assurance-maladie, de médicaments, d’assurance automobile, pour ne pointer que les plus importants joyaux de notre couronne collective.
La bourse ou la vie ! Les voleurs endimanchés font recette. Elle est belle la « financiarisation » du monde gérée par des prédateurs insatiables qui peuvent en quelques heures détruire l’économie des nations avec le risque que disparaissent les fondements sur lesquels se sont bâties nos démocraties modernes : patrie, langue, culture, frontières, valeurs sociales, sont en voie de se dissoudre dans le creuset de la mondialisation des échanges et d’un néocapitalisme sauvage et sans contrôle.
« La firme transnationale, écrit André Gorze, dans Misères du présent et richesses du possible, s’assure une sorte d’extra-territorialité dépossédant l’État national de cet attribut de souveraineté qu’est le pouvoir de lever les impôts et d’en fixer le taux. Le capital est désormais le seul détenteur de la souveraineté, capable de décider directement par un acte régalien, le destin des nations et de dicter ses propres règles à l’ancien souverain. Jamais le capitalisme n’avait réussi à s’émanciper aussi complètement du pouvoir politique ».
Pour parvenir à un juste équilibre entre les forces du marché et le pouvoir politique, il faut faire des choix. Le Parti québécois n’est pas parfait, mais nous n’avons que celui-là. Tout comme Aragon qui disait du parti communiste : « Il est plein de défauts, mais je j’ai que celui-là ».
Il est trop facile de faire la fine gueule et de jouer aux gérants d’estrade. Celui vous parle a souffert des bêtises et de l’irresponsabilité d’un gouvernement du PQ, gardant encore des séquelles d’une triste et ténébreuse affaire non résolue qui porte mon nom.
J’aurais toutes les raisons du monde de claquer la porte et m’inscrire aux abonnés absents de cette formation politique, mais ce faisant, je craindrais de forfaire à l’honneur et de déserter le champ de bataille au dernier assaut d’une génération de souverainistes qui ont tant et si longtemps rêvés que le peuple québécois devienne maître chez lui.
Je ne suis pas de ceux qui pardonnent facilement les offenses, sauf lorsqu’il s’agit d’une cause qui transcende toutes les autres. Je persiste et je signe au nom d’un devoir sacré de mémoire à l’égard de René Lévesque qui a sacrifié une bonne partie de sa vie pour son peuple et je continuerai d’apporter ma contribution, si modeste soit-elle, à la levée du jour où le Québec entrera dans l’Histoire par la grande porte de l’indépendance.
Tant et aussi longtemps que le Grand Horloger me prêtera vie, je me joindrai à vous, aux hommes et aux femmes de notre terre souillée par la « globalisation» qui disent NON aux formes perverses d’impérialisme de la culture et de la pensée.
Nous marcherons ensemble dans les chemins difficiles de la justice et de la dignité. Afin que vienne le temps où seront restitués aux universelles patries, et particulièrement à un Québec libéré des entraves centenaires qui paralysent son développement, les héritages menacés de la jeunesse et de la richesse du monde.
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