Visite de Malalaì Joya à Montréal

2009/11/27 | Par Jean-François Thibaud

Malalai Joya, cette jeune députée Afghane de 31 ans était de passage à Montréal mardi dernier dans le cadre d’une tournée de conférences nord-américaines, pour demander le retrait des troupes occidentales de son pays.

Élue en 2005 dans  Farâh, sa province natale, elle a siégé au parlement afghan, dénonçant sans relâche l’extrême corruption du gouvernement Karzai jusqu’à son éviction en mai 2007 par le parlement à la suite de propos très critiques qu’elle a tenue sur une chaîne de télé américaine :

« Le gouvernement américain a débarrassé l’Afghanistan du régime violent et ultra-réactionnaire des talibans mais plutôt que de se fier au peuple afghan, il nous a fait sauter de la marmite aux flammes et a choisi ses alliés parmi les criminels les plus retors et infâmes de l’Alliance du Nord. Une Alliance où grouillent les ennemis jurés de la démocratie et des droits de l’homme et dont les idées sont aussi noires, diaboliques et cruelles que celles des talibans.

« Pendant que les médias de l’Occident parlent de démocratie et de la libération de l’Afghanistan, l’Amérique et ses alliés criminalisent notre pays blessé, en font une terre où sévissent les guerres tribales et où le pouvoir appartient aux propriétaires de champs de pavots.

L’événement, chapeauté par le collectif Échec à la guerre et la Fédération des Femmes du Québec (FFQ), avait lieu à l’Uqam,  dans un auditorium archi-plein. 

En ouverture, Alex Conradi, la présidente de la FFQ a tenu à souligner que, malgré la situation désastreuse qui prévalait en Afghanistan avant l’entrée en scène du Canada sur le théâtre du conflit militaire, son organisation avait refusé de cautionner la décision du gouvernement de se joindre à cette opération de l’OTAN, doutant des retombées positives de cette action.

Une fois derrière le micro, Malaia Joya, cette petite femme de cinq pieds, qui a survécu à quatre tentatives d’assassinats,  a livré un message d’une limpidité déconcertante.

Concernant le départ des Talibans et la mise en place du régime d’Amid Karzai, elle déclare simplement : « C’est le même âne, avec un selle différente ».

À l’aide de multiples exemples très concrets, elle s’est employée à démontrer que, depuis l’entrée en guerre des troupes de l’OTAN, la situation dans son pays, loin de s’améliorer, s’est considérablement aggravée.

Les viols systématiques qui prévalaient sous les Talibans sont aujourd’hui pratiqués en toute impunité par les seigneurs de l’Alliance du Nord, des fondamentalistes islamiques, dont plusieurs sont des criminels de guerre qui ont des postes importants au cabinet ministériel afghan.

L’exemple de Baisha, cette fille de 14 ans qui a été violée par le fils d’un membre du parlement est éloquent. Demandant publiquement des comptes aux autorités et refusant de se rétracter devant les menaces des violeurs, le père de la jeune fille, s’est retrouvé à l’hôpital après s’être fait battre sauvagement. Le violeur, bien sûr n’a jamais été arrêté. Les exemples sont légions.

En ce qui concerne la culture du pavot, elle rappelle que le talibans avaient pratiquement éradiqué cette culture. Aujourd’hui, l’Afghanistan est redevenu le principal producteur  d’opium avec plus de 90 % du marché mondial.

À propos des dernières élections, elle souligne que la plupart des afghans ont refusé de se prêter à ce simulacre de démocratie puisque les deux principaux candidats Amid Karzai et Abdullah Abdullah sont des marionnettes notoirement connus pour leurs allégeances pro-américaines.

Commentant les récentes révélations du diplomate canadien Richard Colvin sur le transfert des prisonniers afghans par les forces canadiennes dans des centres de tortures et l’obstination de Stephen Harper à tenter de minimiser ces faits, elle a rappelé que le premier ministre canadien, qui se trouvait en Afghanistan lorsque elle-même s’est fait bannir du parlement, n’a pas levé le petit doigt pour défendre la fragile démocratie afghane.

À propos des soldats canadiens morts sur le terrain et de contribuables canadiens qui financent ces opérations, elle répète qu’ils sont victimes d’une manipulation médiatique qui consiste à faire croire que, si les troupes se retirent, la situation dégénérera en guerre civile. « Mais nous sommes déjà en guerre civile ! », s’exclame-t-elle !

Finalement, elle met en garde les Canadiens qui refusent d’admettre la dure réalité de ce conflit en invoquant l’histoire exceptionnelle de son pays. Dans les siècles précédents, les afghans ont repoussé par deux fois l’empire britannique et ont contribué à l’écroulement de l’empire soviétique.

Dans un livre à paraître sous sa version française à l’hiver prochain, Malalai Joya écrit  ceci :

« Les Afghans sont parfois dépeints par les médias comme un peuple arriéré, rien d'autre que des terroristes, des criminels et des hommes de main. Cette fausse représentation est extrêmement dangereuse pour l'avenir de mon pays et de l'Occident. La vérité c'est que les Afghans et les Afghanes sont des gens braves, épris de liberté, qui ont une culture riche et une fière histoire. Nous sommes capables de défendre notre indépendance, de nous gouverner nous-mêmes et de déterminer notre propre avenir. »

Comme le souligne le collectif échec à la guerre sur son site

« La tournée de conférences de Malalaï Joya aux États-Unis et au Canada se déroule alors que le président Obama devrait bientôt annoncer une augmentation des troupes étasuniennes en Afghanistan et que le gouvernement Harper cherche comment nous faire avaler l'extension de la participation canadienne à cette guerre au-delà du mois de juillet 2011. »

Considérant que la salle Marie-Gérin Lajoie de l’Uqam était pleine à craquer en ce mardi de novembre, on peut constater que plusieurs citoyens canadiens commencent à se poser de sérieuses questions sur la façon dont leur gouvernement actuel opère sa transition en relations internationales, s’éloignant de plus en plus de sa tradition de négociation diplomatique pour privilégier les guerres d’occupation.

 

Fédération des femmes
http://www.ffq.qc.ca/

Collectif échec à la guerre
http://www.echecalaguerre.org/index.php?id=196