Dans le quotidien montréalais La Presse du 30 janvier 2010, le journaliste Patrick Lagacé, connu pour ses frasques, récidive sans sourciller : « Haïti, malade de ses charades »
On peine à croire qu’il est à Port-au-Prince pour effectuer des reportages sur le séisme qui dévaste un pays déjà si fragilisé, tant son propos est hargneux, arrogant et méprisant envers les Haïtiens, en général, et ceux qui vivent ce drame, en particulier.
Franc-tireur esseulé devenu trompette iconoclaste d’un certain journalisme de poubelle, et campé sur les ruines encore fumantes de Port-au-Prince dévastée le 12 janvier dernier, notre journaliste fulmine, invective, éructe et scrute, comme lui seul sait le faire, la face « noire » de l’âme haïtienne, ses travers sinon sa part maudite.
Résumons sa pensée
1) Haïti ? Un cocktail de bullshiteurs: « J'en ai assez des charades d'Haïti. Tous le monde bullshite dans ce pays. L'État, les politiciens, les Haïtiens, les journalistes -ceux d'ici et d'ailleurs-, la proverbiale communauté internationale, les travailleurs humanitaires.»
2) Les Haïtiens sont tous des menteurs: «Tout le monde fait semblant». Ils sont également passifs et paresseux: «les Haïtiens, collectivement, sont d'une passivité épouvantable, déprimante et délétère». Pire, ils sont brutaux entre eux car « de dictateurs en putschistes, ils tolèrent ».
3) Gommant la déliquescence déjà connue de l’État et du pouvoir exécutif en Haïti, les Haïtiens osent s’en prendre à l’international, ils critiquent «non pas leur État minable, mais l'ONU, les États-Unis, la France…»
4) Monsieur Lagacé a le droit de tout dire : « Je crois avoir décrit l'urgence avec suffisamment de compassion pour avoir le droit, ici, juste une fois, de dire que les Haïtiens participent activement à leur malheur. Par passivité, justement.»
Alors 200 000 personnes seraient mortes, des centaines de milliers d'autres seraient portées disparues, sinistrées « par passivité » ou par « fatalisme » ? La charge est superficielle et borgne, on l’aura compris, au moment où chacun pleure la disparition d’un proche, d’un ami, d’un collègue québécois, d’un travailleur humanitaire, d’un policier canadien, d’un évêque catholique haïtien…
Mais les préjugés comme les clichés réducteurs et xénophobes ont la vie dure, même en temps de crise gravissime, alors même que notre journaliste prétend, illuminé et condescendant, avoir « le cœur suffisamment brisé par suffisamment d'enfants affamés ».
Et Patrick Lagacé, franc-tireur de l’amalgame, en a déjà commis d’autres, auparavant, à propos d’Haïti. Faudrait-il prendre pour acquis qu’il est à la recherche d’un lectorat et d’une notoriété qu’il n’a pas su, jusqu’ici, obtenir par des articles et reportages de qualité ?
Il est flagrant et désolant que les « reportages » de Patrick Lagacé ne contribuent en rien à une plus grande intelligence du drame actuel.
En prenant l’avion pour Haïti, l’agaçant Patrick s’est au préalable armé de ses habituels préjugés: fébrile, il part à la recherche de poubelles, d’égouts, de porcs, de montagnes de détritus, de bidonvilles exsangues, de cohortes de « menteurs-bullshiteurs », de riches et insolents bourgeois roulant en Porsche Cayenne, d’« officiels qui bandent sur les titres », de chauffeurs haïtiens richissimes qui touchent… 200 $US par jour –alors, Patrick, tu t’es trompé de métier ?--, bref de toute une sous-humanité qui ne mérite que sa colère et son mépris…
Qu’à cela ne tienne, Patrick Lagacé en a tellement marre « des charades d'Haïti » qu’il n’a pas vu passer, au motif de l’aide humanitaire et de la compassion journalistique, tous ces vautours qui font déjà leur beurre sur le dos des victimes. Pourquoi les verrait-il, il en porte lui-même le déguisement compassionnel, voire la justification hallucinée...
Il serait sans doute fastidieux de démonter ligne par ligne les élucubrations « journalistiques » de l’agaçant Patrick.
Pour l’heure, je m’en tiens aux observations suivantes
A) Dès les premières minutes du séisme, les habitants de Port-au-Prince, de Jacmel, de Léogane et de Petit-Goâve ont fait preuve, avec les moyens du bord, d’une exemplaire solidarité, quartier par quartier.
Contrairement aux fumeuses « analyses » de Patrick Lagacé, les premiers secours à la population haïtienne sont le fait des Haïtiens eux-mêmes, qui en cela ont précédé l’indispensable solidarité internationale.
On imagine mal comment de fieffés « menteurs » et « bullshiteurs », des êtres aussi indolents, « brutaux » et « fatalistes » aient pu, les mains nues, s’attaquer immédiatement aux gravats, secourir les blessés, trouver de rares médicaments…
Faudrait-il de surcroît mettre en lumière l’empressement manifeste de plusieurs médecins et infirmières d’origine haïtienne du Canada et des États-Unis qui, sans hésiter, et dès les premières heures, sont allés porter secours à leurs compatriotes en détresse?
De manière soutenue, la presse audiovisuelle canadienne et américaine en a témoigné avec retenue, respect et admiration.
B) Le drame haïtien habite toute la population québécoise et toute la société canadienne.
En tenant également compte des liens historiques entre le Canada et Haïti, qui remontent au 19e siècle, le séisme du 12 janvier 2010 interpelle la conscience citoyenne des Québécois et des Canadiens.
C’est précisément cela que Patrick Lagacé ne tolère pas et qui alimente, une fois de plus, son intolérance, son aveuglement, ses demi-vérités, sa fascination pour l’amalgame raciste et xénophobe lorsqu’il écrit sur Haïti.
Le journaliste de La Presse va à contre-courant de l’immense engagement solidaire dont les Québécois et les Canadiens ont fait preuve ces deux dernières semaines à l’égard des victimes du séisme.
Et c’est un enfant de 6 ans, «Super Émile», qui, sans le savoir, lui répond avec l’intelligence du cœur: « En 24 heures, tout seul et de son propre chef, Émile a pris le téléphone, appelé grand-papa, grand-maman et à peu près tous les membres de la famille pour amasser des sous destinés aux victimes du séisme en Haïti. Au moment où j'écris ces lignes, il a déjà 165$ à remettre à la Croix-Rouge » (Tristan Malavoy-Racine, magazine Voir, « Le blogue de Tristan – Super Émile et Haïti », Montréal, 21 janvier 2010).
Pour conclure, je retiendrai que :
- La Presse a certainement commis une grave erreur de jugement en envoyant Patrick Lagacé couvrir le séisme qui a frappé Haïti;
- le journalisme de poubelle, superficiel et sensationnaliste, constitue une violation du droit des lecteurs à une information de qualité;
- le journalisme de poubelle pratiqué par l’agaçant Patrick est manifestement, pour les victimes du séisme en Haïti, un déni d’humanité et la scabreuse éthique qu’il est le seul à défendre frise l’indécence;
- ses élucubrations ne contribuent pas à mieux faire comprendre le drame haïtien aux lecteurs de La Presse; et en cela aussi, ses prestations journalistiques sont d’une lamentable médiocrité;
- contrairement à l’agaçant Patrick, de manière générale les journalistes canadiens –notamment ceux de Radio Canada et de TVA –, ont fait un travail remarquable, objectif, documenté, en couvrant jour après jour les derniers événements et en donnant voix à la formidable solidarité manifestée envers Haïti par les Québécois et les Canadiens.
Le mythe du nègre « bon sauvage » – menteur et brutal, indolent, fataliste et paresseux –, naguère invalidé par Anténor Firmin ( « De l'égalité des races humaines ») et Lévi-Strauss (« Tristes tropiques »), semble avoir la dent longue.
Libre à un journaliste en quête de reconnaissance sensationnaliste de le colporter. À son insu, pourtant, l’agaçant Patrick nous oblige à interpeller la sagesse des peuples et du Poète: en tout temps et davantage en cas de sinistre, mieux vaut cultiver ce qui nous rassemble. Au premier chef, le respect mutuel et le combat citoyen pour la dignité.
(Nota : l'auteur est linguiste-terminologue et poète. Dernières publications : « En haute rumeur des siècles », poésie, 2009, éd. Triptyque; « Poème du décours », poésie, janvier 2010, éd. Triptyque.)
L’article est paru sur le site www.pikliz.com
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