L’Institut de la statistique du Québec publiait la semaine dernière un article sur l’évolution du niveau de scolarité des Québécois et des Ontariens selon la langue maternelle.
Dans ce document, un chercheur de l’ISQ affirme que «les jeunes adultes francophones de l’Ontario semblent avoir comblé le retard de scolarisation que leurs aînés accusent par rapport à leurs concitoyens anglophones, ce qui n’est pas encore le cas au Québec» (www.stat.gouv.qc.ca).
Il attribue le niveau de scolarité supérieur des francophones en Ontario à un possible «effet d'entraînement du fait de vivre dans une société où on tend davantage à cheminer vers un diplôme universitaire» (Le Devoir, 3 février).
Les analyses de l’ISQ réalisées selon la province de résidence et la langue maternelle ne tiennent toutefois pas compte de phénomènes démographiques majeurs : l’immigration internationale et la migration interprovinciale. Cette omission n’est pas banale.
Les diplômés étant plus mobiles que la population en général, leurs déplacements viennent perturber l’appréciation de la proportion des individus fortement scolarisés, particulièrement lorsque la population d’accueil est petite.
En particulier, les Québécois francophones venus travailler en Ontario peuvent avoir un effet «dopant» sur la proportion de francophones hors-Québec détenant au moins un baccalauréat.
Une façon simple de contrôler l’impact du facteur migratoire est de comparer la proportion des individus fortement scolarisés d’une province en étudiant seulement les résidents qui y sont nés.
Lorsqu’on ne tient compte que des diplômés nés et recensés au Québec, c’est 23,6% des francophones qui sont fortement scolarisés (bac ou supérieur), soit une baisse de 1,2 point par rapport à la situation où on ne tient pas compte du lieu de naissance.
Pour l’Ontario, la proportion de francophones fortement scolarisés passe de 31,3% à 24,9% lorsqu’on contrôle de la même façon le facteur migratoire, soit une chute de 6,4 points.
On peut considérer ainsi que les francophones de l’Ontario ont, à un point de pourcentage près, la même proportion d’individus fortement scolarisés que ceux du Québec.
Dans la même perspective, si l’on tient compte de la province où le plus haut diplôme a été obtenu, on observe que plus de 90% des québécois francophones fortement scolarisés ont obtenu leur diplôme au Québec alors que seulement les deux tiers des diplômés francophones de l’Ontario ont obtenu leur diplôme dans cette province.
En tenant compte du lieu de naissance, on constate aussi qu’en Ontario les francophones accusent toujours un retard de 2,4 points par rapport aux anglophones.
Il est vrai que ce retard est inférieur à celui des francophones au Québec, qui conservent une proportion d’individus fortement scolarisés de 7,9 points de pourcentage inférieure à celle des anglophones du Québec.
Mais au lieu d’attribuer ce retard à un vice quelconque du côté des Québécois francophones, il conviendrait plutôt d’insister sur la proportion extrêmement élevée d’anglophones fortement scolarisés au Québec.
Ces résultats montrent que rien, dans les données du recensement de 2006, ne permet de conclure que la situation scolaire des francophones du Québec est anormale et que ceux-ci s’intéressent moins aux études universitaires.
Il apparaît donc raisonnable de retirer le bonnet d’âne dont nombre de commentateurs ont coiffé les francophones du Québec dans la dernière semaine.
Les francophones du Québec n’affichent pas une proportion de diplômés universitaires substantiellement différente des francophones de l’Ontario.
En bout de ligne, ni les francophones de l’Ontario, ni ceux du Québec n’ont réussi à rattraper le niveau de scolarité des anglophones, particulièrement au Québec où les anglophones demeurent la population de langue officielle canadienne la plus scolarisée au Canada.
Le lecteur intéressé pourra bientôt consulter, sur le site de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA), une analyse plus complète des proportions des francophones et des anglophones fortement scolarisés selon le lieu de naissance.
Patrick Sabourin est doctorant, Benoît Laplante et Alain Bélanger sont professeurs au Centre – Urbanisation Culture Société de l’INRS
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