La semaine passée, l’organisation américaine de défense des droits de la personne Human Rights Watch a publié un rapport faisant état de l’intensification des actes d’agression, de harcèlement et d’intimidation de l’opposition rwandaise par le régime du général Paul Kagame à six mois des élections présidentielles.
Elle citait notamment l’agression de Mme Victoire Ingabire, une opposante fraîchement rentrée de Hollande, ainsi que le passage à tabac suivi d’emprisonnement de son collègue M. Joseph Ntawangundi.
Ces nouvelles agressions contre l’opposition rwandaise viennent s’ajouter aux multiples autres crimes et violations des droits de la personne perpétrées par le régime de Kigali et pour lesquels le président Kagame s’est vu attribuer par des chercheurs universitaires le titre de plus grand criminel de guerre encore en fonction.
De fait, des mandats d’arrêts internationaux ont été lancés par la justice française et espagnole contre une quarantaine d’officiers dans l’entourage de Paul Kagame pour avoir commis des crimes contre l’humanité ainsi que des crimes de guerre et de terrorisme ayant causé la mort de plus de cinq millions de personnes au Rwanda et en République Démocratique du Congo.
Pourtant, en parfaite contradiction avec les principes de démocratie et de respect des droits de la personne qu’ils disent défendre, de grands pays et hommes politiques occidentaux continuent d’appuyer le régime de Kigali et de lui trouver des excuses pour des actes qu’ils répriment ailleurs.
Voici quelques exemples: La Grande Bretagne et le Canada qui ont toujours fustigé le Zimbabwe pour le non-respect des principes démocratiques prônés par le Commonwealth ont, contre toute attente, fortement défendu la récente entrée du Rwanda dans cette même organisation, faisant même fi des recommandations du rapport de l’Initiative des Droits de l’Homme du Commonwealth;
l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair qui a défendu avec acharnement l’invasion de l’Irak et le renversement de la dictature de Saddam Hussein est maintenant conseiller personnel du dictateur Paul Kagame;
même la France qui a émis les mandats d’arrêt ci-haut mentionnés contre des officiers supérieurs rwandais a fait des pieds et des mains pour rétablir les rapports diplomatiques avec le Rwanda, poussée par son ministre des Affaires étrangères et ami personnel de Paul Kagame, M. Bernard Kouchner. Pourtant, c’est le même Kouchner qui a récemment annulé sa visite en Côte d’Ivoire en geste de protestation contre le report de la date des élections présidentielles.
Enfin, tel que révélé par l’ancien procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Carla Del Ponte, les États-Unis ont tout fait pour que des éléments de l’armée de Paul Kagame soupçonnés d’avoir commis des crimes pendant la guerre en 1994 ne soient pas traduits en justice.
Paradoxalement encore, ce sont ces mêmes Américains qui avaient fait d’énormes pressions pour que l’ex- président yougoslave Slobodan Milosevic soit traduit en justice pour les mêmes crimes que les officiers rwandais.
Tous ces appuis politiques et juridiques sont également assortis d’une aide financière substantielle qui finance la moitié du budget du gouvernement rwandais.
Peu importent les raisons pour lesquelles ces pays et personnalités soutiennent le régime de Kigali, le résultat est que le peuple rwandais vit actuellement sous la férule d’une implacable dictature grâce à leurs appuis politiques, juridiques et financiers.
Des opposants et des journalistes indépendants sont persécutés, des milliers de personnes sont emprisonnées sans aucun dossier et des milliers d’autres vivent en exil.
Même le héros Paul Rusesabagina qui a sauvé plus de 1200 personnes pendant le génocide de 1994 et dont l’histoire a été portée à l’écran par le film « Hôtel Rwanda » a dû fuir son pays.
Ne nous y trompons pas, une si grande incohérence de la politique occidentale qui fait que le pire dictateur en Afrique soit aussi le meilleur allié de l’Occident ne fait pas des dégâts que sur le continent noir.
Nos propres contradictions en Occident sont peut-être aussi nos pires ennemis parce qu’elles risquent, si ce n’est déjà fait, de servir de contre-exemples de notre sincère engagement pour la démocratie et les droits de la personne ailleurs que chez nous.
À travers elles, nous risquons de renforcer par une considérable dose de bonne conscience ceux qui bafouent ces valeurs et contre lesquels nous disons lutter.
En effet, comment défendre avec crédibilité la démocratie et les droits des femmes en Afghanistan tout en restant de marbre lorsque les opposantes sont brutalisées au Rwanda?
Comment soutenir la traduction du président soudanais Omar-Béchir devant la Cour pénale internationale tout en bloquant l’inculpation de Paul Kagame devant le TPIR?
Comment être pris au sérieux dans la défense des droits des citoyens étrangers tout en renonçant à la défense de nos propres compatriotes canadiens tués par le régime de Kigali, dont les prêtres québécois Claude Simard et Guy Pinard?
Pour justifier l’appui du Canada à la candidature du Rwanda au Commonwealth, notre ministre des affaires étrangères a affirmé que « le Commonwealth est bien placé pour aider le Rwanda dans le renforcement de ses institutions démocratiques ».
Le moment est alors venu de concrétiser ces déclarations en faisant en sorte que les élections présidentielles rwandaises soient véritablement démocratiques.
L’avantage ne sera pas seulement pour le peuple rwandais meurtri, mais aussi pour nos propres compatriotes et tous ceux qui se sacrifient en Afghanistan et ailleurs pour défendre les valeurs auxquelles nous croyons face à ceux qui les bafouent et exploitent nos contradictions.
L’auteur est docteur en économie et chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal
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