Le temps, c’est de l’argent!, pour les syndiqués qui perdent 55$ par semaine depuis la fin de leurs conventions collectives
par Maude Messier
La Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction prohibe toute forme de rétroactivité dans le renouvellement des conventions collectives régissant les conditions de travail des quelque 145 000 travailleurs et travailleuses de la construction au Québec, augmentations et ajustements salariaux inclus.
Chaque semaine écoulée depuis l’échéance des conventions collectives en avril dernier se traduit par une perte de 55$ en moyenne par travailleur. L’économie est considérable pour les employeurs, soit plusieurs millions de dollars jusqu’à maintenant.
Malgré une entente de principe survenue dans le secteur du génie civil et de la voirie, les négociations, entamées depuis huit mois, achoppent pour les trois autres secteurs: institutionnel et commercial, résidentiel et industriel.
Si des rencontres entre les parties patronale et syndicale en présence d’un conciliateur figurent toujours à l’agenda, l’Alliance syndicale a annoncé la semaine dernière que si aucune avancée significative n’est réalisée dans les pourparlers le 30 août prochain, la grève générale et illimitée sera déclenchée.
De toute évidence, après huit mois de négociations et d’importantes concessions exigées par les employeurs, les demandes syndicales ne trouvent pas écho aux tables de négociation. Dans un contexte où les pourparlers s’éternisent au profit des patrons, la grève constitue une disposition légitime pour les travailleurs afin de faire entendre leurs revendications et mettre de la pression pour qu’aboutissent les négociations.
Solidarité syndicale historique
«Division» est le maître mot dans le régime des relations du travail de l’industrie de la construction. Rappelons que les travailleurs sont représentés, selon leur allégeance, par cinq associations syndicales: Syndicat québécois de la construction (6,3%), CSN-Construction (10,57%), CSD-Construction (14,12%), Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (CPQMC-International) (26,09%), FTQ-Construction (42,90%).
La division syndicale avantage le patronat et lui permet de faire avancer son agenda plus aisément. Pire encore, elle alimente les rivalités syndicales, à la défaveur des travailleurs et des travailleurs. Or, une grève efficace et fructueuse requiert une bonne dose de solidarité.
En dépit des évènements qui secouent l’industrie de la construction et met à mal le mouvement syndical, les syndicats ont tout de même laissé de côté leurs animosités, du moins l’espace d’un moment, pour unir leur force.
L’Alliance syndicale représente donc la totalité des travailleurs et permet une négociation historique en bloc. La concertation dépasse même le cadre politique puisque, d’après ce qu’a appris l’aut’journal, elle s’étend jusque sur les chantiers où les représentants syndicaux travailleraient conjointement.
Beaucoup de grogne
Les travailleurs de la construction font beaucoup parler d’eux ces jours-ci en raison d’un conflit imminent, mais les conditions de travail et les réalités inhérentes à cette industrie complexe demeurent méconnues.
Si pour certains la grève générale illimitée semble démesurée, elle est apparemment nécessaire aux yeux des travailleurs, symptôme que les choses ne vont pas aussi bien que voudraient bien que les employeurs le prétendent.
Parce qu’au-delà des points en litige, notamment sur les questions salariales, le rattrapage entre le résidentiel lourd et léger, le régime de retraite et les congés de maladie, ça prend une sacrée dose de grogne pour mobiliser des milliers de travailleurs, répartis sur des centaines de chantiers à travers la province, et obtenir des mandat de grève générale illimitée sans aucun fond de grève pour les protéger.
D’après les informations obtenues par l’aut’journal, les demandes patronales n’ont fait que mettre le feu aux poudres: une tentative de conventionner le fait qu’ils ne respectent pas les conditions de travail prévues aux conventions collectives sous le couvert de la flexibilité et de la productivité.
Les employeurs clament que leurs demandes s’arriment aux nouvelles réalités de l’industrie, beaucoup sont plutôt d’avis qu’elles reflètent des pratiques déloyales généralisées. Chose certaine, le malaise est palpable chez les travailleurs et les causes sont nombreuses: travail au noir, santé et sécurité, précarité et absence de sécurité d’emploi n’en sont que quelques exemples.
N’en déplaise à ceux qui rêvent que les luttes ouvrières soient choses du passé dans un «Québec moderne», le conflit de travail imminent dans l’industrie de la construction, tout comme celui des débardeurs du port de Montréal plus tôt cet été, démontrent bien la nécessité du militantisme et de la solidarité syndicale.
Pour rétablir un rapport de force et défendre les droits des travailleurs, la grève est parfois nécessaire. «Le temps, c’est de l’argent», voilà un langage que les patrons comprennent.
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