« Un Québec aussi français que l’Ontario est anglais », « Le français, langue commune de la société québécoise », les idées claires ne manquaient pas à ceux qui présentaient aux Québécois leur Charte de la langue française.
Qu’en reste-t-il? Au français, langue commune, qui se trouve au cœur de la Charte, la Cour suprême a opposé la nette prédominance du français. Cela nous a conduits à un Québec bilingue nouveau genre où la nette prédominance est, en réalité, celle de l’anglais.
« La langue française dégringole! » Luc Plamondon avait raison de lancer ce pavé dans la mare. Entre 2001 et 2006, le poids des francophones au Québec a plongé de deux points. Du jamais vu dans l’histoire du recensement canadien.
Entre 1951 et 1971, la majorité avait presque reculé d’autant, passant de 82,5 à 80,7 %. Mais cela avait pris deux décennies. Et le poids des anglophones avait fléchi aussi, passant de 13,8 à 13,1 %. La majorité avait néanmoins jugé nécessaire d’adopter des mesures contraignantes, dont les lois 22 et 101.
Le poids des francophones vient de prendre une débarque plus raide encore en l’espace de seulement cinq ans. Fait également inédit, le poids des anglophones n’a pas reculé d’un milligramme entre 2001 et 2006. Par surcroît, alors que le français dégringole aussi en tant que langue d’usage à la maison, le poids de l’anglais, langue d’usage, augmente – du jamais vu, encore, depuis que le recensement recueille cette information.
Après 1951-1971, Bourassa puis Lévesque ont fini par reconnaître le bien fondé de mesures contraignantes. Si l’on souhaite voir le français remonter sur le podium, il faut de nouveau changer les règles du jeu.
Le déclin démographique des francophones au Canada
Voyons d’ailleurs cela dans son contexte canadien. Entre 2001 et 2006, le poids des francophones au Canada a chuté d’un point complet, passant de 22,6 à 21,6 %. Recul record qui accentue une tendance qui a fait perdre aux francophones 7,5 points de leur poids depuis 1951 (voir notre graphique). Ils comptaient alors pour 29 % de la population. Le poids des anglophones, par contre, se maintient. Ils représentaient 59 % de la population canadienne en 1951, et 58 % en 2006.
La même tendance sévit quant à la langue d’usage. La population de langue d’usage française est passée de 25,7 à 21 % de la population du Canada entre 1971 et 2006. En revanche, celle de langue d’usage anglaise comptait pour 67 % en 1971 comme en 2006.
En chiffres réels, entre 2001 et 2006 la population anglophone a augmenté de plus d’un demi-million de personnes. La population francophone, elle, n’a augmenté que de 10 000. Aussi bien dire zéro. Une autre première.
Comment se fait-il que l’effectif anglophone pète le feu pendant que l’effectif francophone se trouve au bord du déclin? Comment se fait-il que les anglophones maintiennent leur poids, tandis que celui des francophones fond à vue d’œil?
Ce n’est sûrement pas dû à la fécondité. Anglophones et francophones pratiquent depuis longtemps une fécondité semblable. En particulier, durant 2001-2006 la fécondité anglophone n’a été, au Québec, que de 1,44 enfant par femme. Encore un record.
Quant à l’immigration allophone, elle aurait dû abaisser le poids de la majorité anglophone de plus de points que celui des francophones. Or, rien de tel ne s’est produit.
L’assimilation va bon train
C’est l’assimilation – et les enfants anglophones en surnombre qui en découlent – qui fait la différence. En 2006, l’assimilation se soldait au Canada par un nombre net de 400 000 francophones parlant l’anglais comme langue d’usage à la maison. Ces francophones anglicisés font normalement des enfants anglophones. D’une pierre deux coups : cela gruge la minorité francophone et alimente la majorité anglophone.
Le Canada comptait aussi en 2006 un nombre net de 2,4 millions d’allophones anglicisés contre 200 000 francisés. L’assimilation des allophones contribue de la sorte 12 fois plus d’enfants au remplacement des générations anglophones qu’à celui des générations francophones.
Au total, le gain de l’anglais par voie d’assimilation s’élève à 2,8 millions de nouveaux locuteurs usuels. C’est du monde à la messe! Le français essuie au contraire une perte nette de 200 000 (200 000 allophones francisés moins 400 000 francophones anglicisés). Ce qui revient à un déplacement de 3 millions de locuteurs dans le rapport de force entre les deux langues. Voilà pourquoi l’anglais se porte si bien et le français, si mal.
La majorité anglophone du Canada, au moyen de sa constitution, de sa charte des droits, de sa Cour suprême et de l’assimilation, est en train de pousser la minorité francophone vers l’insignifiance.
Dans cette optique, le pouvoir d’attraction du français au Québec demeure de la bien petite bière. En 2006, le profit que l’anglais y a réalisé par voie d’assimilation équivaut d’ailleurs à 30 % de la population de langue maternelle anglaise, alors que le profit correspondant pour le français n’est que de 3 %.
En somme, au vu de ce qui se passe au Canada comme au Québec, qu’on puisse encore hésiter à renforcer la loi 101 dépasse l’entendement. Il faut rapailler la Charte.
Le français, langue commune ou « nette prédominance du français »?
Jusqu’à nouvel ordre, le Parti québécois envisage cependant de ce faire sous le signe de… la nette prédominance du français. C’est le titre même de la section de sa Proposition principale portant sur la langue, qui vise pourtant à « redonner à la nouvelle Charte sa cohérence », à la « rendre plus claire ».
Quelle cohérence? Quelle clarté? Celles des 10 pontifes du monde selon Trudeau, dont le concept de nette prédominance s’apprête à toutes les sauces, chacune incompatible avec celui du français, langue commune?
Au sein du parti qui a conçu la Charte, certains ne voient pas à quel point ils ont intériorisé une idéologie néfaste au français, celle d’une forme de bilinguisme institutionnel. Ce n’est pas ainsi qu’on redonnera au français l’élan qu’il a reçu en 1977. En consacrant la présence de deux langues communes, la nette prédominance du français mène, en fin de compte, à la nette prédominance de l’anglais.
Comme principe premier, la nette prédominance est un leurre. Il faut remettre l’anglais à sa place. Et le français aussi. À sa place de langue commune du Québec.
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