Faire sauter la Petite Marmite 

2011/02/10 | Par Maude Messier

Les compressions budgétaires de 16,5 millions $ au CSSS Jeanne-Mance menacent la survie de la popote roulante La Petite Marmite, le financement accordé pour son fonctionnement au Projet Changement, un centre communautaire pour aînés, devant être retiré au printemps prochain.

Implantée dans la collectivité depuis une vingtaine d’années, La Petite Marmite distribue annuellement 10 374 repas dans les quartiers St-Louis-du-Parc et Plateau-Mont-Royal, 365 jours par année. Une cinquantaine de bénévoles ont ainsi pourvu aux besoins alimentaires de 115 personnes différentes en 2010.

En plus de livrer des repas, ces bénévoles assurent également une visite régulière, une présence et un réconfort à des personnes âgées seules. « Nous faisons partie d’une chaîne de solidarité sociale », soutient Monique Moquin-Normand, membre du regroupement Solidarité La Petite Marmite et travailleuse sociale au CSSS Jeanne-Mance, en entrevue à l’aut’journal.

L’annonce de la suppression du budget alloué à la popote roulante a incité une trentaine de bénévoles à se mobiliser et à multiplier les efforts pour sauver ce service qu’ils estiment essentiel. C’est de cette mobilisation qu’est né le regroupement Solidarité La Petite Marmite.

« De façon spontanée, les gens ont accroché à cette cause, parce que ça résonne. On s’est dit, si on les laisse faire ça, elle sera où la limite? », explique Mme Moquin-Normand.

Dans une lettre adressée au premier ministre de même qu’aux trois ministres concernés, le regroupement déplore que le gouvernement coupe à la fois dans les places en CHSLD et dans les services à domicile.

Dans un communiqué de presse daté du 21 mars 2010, la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, affirmait pourtant que le rôle des popotes roulantes est essentiel au soutien des personnes aînées. « Ces personnes voient ainsi leur qualité de vie améliorée et peuvent continuer à vivre plus longtemps dans l’environnement qui leur convient le mieux. »



Soutenir les services de maintien à domicile

Dans un contexte où le vieillissement de la population est une source de préoccupations, particulièrement pour le réseau de la santé, la sécurité alimentaire devrait constituer un élément de base en matière de prévention.

Les données de Statistiques Canada indiquent qu’en 2001, 30% des aînés vivant à domicile au Québec avaient des incapacités fonctionnelles modérées ou graves, lesquelles ont des répercussions sur les activités quotidiennes dont la préparation des repas.

Le Centre d’action bénévole de Montréal, L’Association des popotes roulantes du Montréal Métropolitain (APRMM), le Centre d’action bénévole Ouest-de-l’île et le CSSS de la Montagne, ont préparé en juin 2009 un rapport portant sur la sécurité alimentaire et le vieillissement qui abonde dans le même sens : « un pauvre état nutritionnel peut contribuer à exacerber des limitations fonctionnelles, diminuer la masse musculaire, mener à des troubles métaboliques et diminuer les défenses immunitaires. »

Les auteurs soulignent que depuis quarante-cinq ans, les popotes roulantes constituent une réponse efficace contre les problèmes de sécurité alimentaire. Montréal compte une centaine de popotes roulantes, soutenues grâce au travail de 3 000 bénévoles.

Si la majorité d’entre-elles distribuent de 2 à 3 repas chauds par semaine par clients, faute de ressources et de moyens, le rapport indique clairement que les besoins nécessiteraient plutôt un service dispensé au minimum 5 jours par semaine.

Or, les popotes roulantes font aujourd’hui face à des défis de taille. La moyenne d’âge des bénévoles se situe autour de 70 ans et la relève est difficile à recruter en raison de la lourdeur de la tâche. Mais c’est surtout l’absence de financement stable qui constitue une barrière économique importante pour la survie de ces petites organisations qui se sont surtout historiquement développées sous l’égide de l’Église.

La Petite Marmite bénéficie par exemple d’un financement annuel de 40 000$ pour payer un demi-salarié, responsable de la coordination et de la distribution, et les frais liés à l’utilisation de deux voitures pour les livraisons. Les frais des repas, cuisinés par l’Hôtel-Dieu, sont assumés par les clients au coût de 4$.


Les popotes roulantes : un modèle à actualiser

Les auteurs du rapport « Sécurité alimentaire et vieillissement : l’apport essentiel des popotes roulantes montréalaises » concluent que les popotes roulantes telles qu’on les connait aujourd’hui sont vouées à disparaître, faute de relève et de financement stable.

« Il est illusoire de penser que ces services pourront continuer à dépendre entièrement et uniquement de bénévoles. » À leur avis, une partie de la solution consiste à pouvoir compter sur du personnel communautaire d’encadrement, comme c’est notamment le cas à La Petite Marmite.

Ils prônent également la bonification du financement des organismes déjà existants afin qu’ils puissent élargir leurs services et prendre en charge de nouveaux clients pour répondre aux besoins grandissants.

En connaissance de cause, le regroupement Solidarité la Petite Marmite s’explique bien mal la mise à mort de leur organisme. La direction du CSSS assure que des solutions de rechange seront apportées pour les clients concernés. Les services de La Petite Marmite seront assurés par d’autres organismes, comme l’Association des popotes roulantes du Montréal Métropolitain.

« Pourquoi détruire une popote roulante qui fonctionne très bien alors qu’on est un situation de carence de services?, questionne Mme Moquin-Normand. Il s’est développé un lien de confiance entre la clientèle et les bénévoles, une proximité. C’est clair que tout ça n’est qu’une question de financement. »

L’imposition d’un panier de services homogène dans tous les CSSS constitue, à son avis, une aberration à maints égards alors qu’il est évident que ces services à domicile répondent à des besoins de la population, particulièrement sur le territoire desservi par le CSSS Jeanne-Mance.

D’autant plus que la clientèle de La Petite Marmite est uniquement constituée des gens référés par le CSSS. « Ce sont des personnes qui ont des suivis au CSSS de maintien à domicile. Cette clientèle est donc constituée de gens qui sont déjà entrés dans le réseau de santé, imaginez maintenant le nombre de personnes hors du circuit qui auraient besoin des services de la popote roulante. »

Pour le regroupement Solidarité La Petite Marmite, il ne fait aucun doute que le retrait du financement de l’organisme est une erreur lourde de conséquence pour l’ensemble du quartier, « parce qu’on ne sait pas ce qui va vraiment advenir de ces services dans le futur sans La Petite Marmite », conclut-elle. Au contraire, elle estime que ces services devraient être élargis parce que les besoins sont réels.

Conférence de presse, pétition et affichage au centre communautaire, les bénévoles cherchent par tous les moyens à sensibiliser la population à leur cause et à récolter des appuis. À moins d’un retournement de situation, l’entente de service entre le CSSS Jeanne-Mance et le Projet Changement en ce qui concerne le budget de fonctionnement La Petite Marmite prendra fin le 31 mars 2011.

Photo : CIBL1015.com