Au nom du conseil d’administration du SPQ Libre
C’est accompagné d’un banquier fédéraliste que François Legault a lancé sa Coalition pour l’avenir du Québec. Son programme : une nouvelle réforme de l’éducation, la décentralisation du réseau de la santé, la réduction la dette du Québec, la création d’une économie de propriétaires et non de succursales et mettre de côté la question nationale.
Éducation : le modèle américain
Sa réforme de l’éducation s’inspire du modèle américain avec l’introduction de la paye au mérite. Les enseignants seraient évalués et rémunérés selon les résultats de leurs élèves. À la mise en place de la concurrence entre les enseignants, s’ajouterait une accentuation de la compétition entre les écoles, résultat d’un réseau scolaire encore plus décentralisé.
Cette réforme est déjà en cours. La loi 88, adoptée récemment, a modifié la Loi de l’instruction publique pour instaurer des « conventions de partenariat » avec les commissions scolaires qui fixent des objectifs de réussite scolaire. L’adoption récente du « bulletin unique » va bientôt permettre de comparer les résultats scolaires de chaque classe au sein de l’ensemble du réseau. Il ne restera plus qu’à moduler les salaires des enseignants en fonction de ces résultats et congédier les enseignants jugés « non performants ».
Aux États-Unis, une ex-sous-ministre de l’Éducation, Mme Diane Ravitch, qui avait été responsable de la mise en place d’une réforme similaire sous George W. Bush, a récemment publié un livre, The Death and Life of the Great American School System, dans lequel elle en fait un bilan extrêmement négatif.
Évaluations à répétition, rétrécissement de l’enseignement en fonction des tests d’évaluation; négation dans l’évaluation de facteurs comme la pauvreté, la monoparentalité, la maîtrise de la langue dans le cas des minorités linguistiques; explosion des « écoles à charte » pratiquant la sélection des élèves sur le modèle de nos écoles privées; tout cela a mené, selon elle, avec l’introduction des lois du marché dans le système d’éducation, au démantèlement du réseau public et au développement d’un réseau privé, réservé à l’élite, avec comme résultat un affaiblissement général du système d’éducation américain.
Santé : le modèle britannique
François Legault propose une approche similaire en santé – décentralisation, indicateurs de performance, imputabilité – empruntée cette fois au « New Labour » de Tony Blair. Là aussi, M. Legault aurait dû profiter de sa sabbatique de la politique pour lire les bilans, tous extrêmement négatifs, pour ne pas dire catastrophiques, de cette approche.
Bien entendu, aucune mention là non plus de mesures pour contrer l’extraordinaire explosion au cours des dernières années d’un réseau privé parallèle de cliniques, de laboratoires, de centres d’hébergement. M. Legault va-t-il s’attaquer aux prix des médicaments, à la rémunération des médecins, deux des principales causes de l’augmentation des coûts du système de santé? Non, bien sûr, il va plutôt pressurer davantage les travailleuses et les travailleurs du réseau avec ses « indicateurs de performance ».
Économie : le modèle néolibéral
Au chapitre économique, si la présence à ses côtés de Charles Sirois est un signe de l’orientation de la nouvelle Coalition, ça promet ! L’ancien président de Teleglobe était une des stars du monde des affaires lors de la bulle technologique des années 1990. Sa chute fut aussi spectaculaire que son ascension, avec la faillite entre 2001 et 2003 de ses quatre principales entreprises.
Aujourd’hui, à la tête d’une kyrielle d’entreprises dont Telesystem, il n’hésite pas téter les mamelles de l’État québécois. Récemment, il a défrayé la manchette à l’Assemblée nationale lorsque celle-ci s’est intéressée au programme FIER (Fonds d'intervention économique régionale). Charles Sirois siégeait sur trois FIERS qui ont doublé, avec des fonds publics, ses propres investissements dans ses entreprises (Anges Québec, ID Capital, iPerceptions).
Charles Sirois et François Legault nous annoncent un plan « crédible » de réduction de la dette en même temps qu’ils disent vouloir établir « un climat résolument favorable aux investisseurs privés » en revoyant « les manières d’imposer les entreprises et les individus de façon à encourager le travail, l’investissement, la productivité et l’épargne ». Décodé, cela signifie qu’il veut réduire les impôts des entreprises et des mieux nantis et faire porter le fardeau fiscal sur la classe moyenne et les pauvres en recourant aux taxes à la consommation et aux tarifs.
Il n’y a pas si longtemps, M. Legault parcourait le Québec avec sa mise à jour des travaux sur le déficit fiscal pour nous expliquer que la solution aux problèmes fiscaux du Québec résidait dans l’accession à l’indépendance. Aujourd’hui, il range ses cartons constitutionnels, au grand plaisir de son acolyte, Charles Sirois, un si fervent fédéraliste qu’il a été décoré de l’Ordre du Canada et appelé à présider le conseil d’administration de la Banque Canadienne Impériale du Commerce.
La proposition de « créer une économie de propriétaires et non de succursales » a de quoi faire sourire, venant de la bouche d’un dirigeant de la CIBC qui a été le maître d’œuvre de la vente de l’Alcan à Rio Tinto et qui vient de se prononcer en faveur d’investissements étrangers dans le secteur des télécommunications.
Statut politique du Québec : le modèle canadien
Quelle sera la dynamique politique de la Coalition pour l’avenir du Québec? Si la Coalition veut faire « progresser le Québec », comme elle l’affirme, son programme doit être repris par un parti politique ou elle doit elle-même se transformer en parti politique.
De toute évidence, François Legault a des ambitions plus larges que la direction de l’ADQ. De plus, la présence à ses côtés de Charles Sirois, qui a été chasseur de têtes pour le parti de Jean Charest, est garante du fait que la Coalition ne foulera pas les plates-bandes libérales. La cible est le Parti Québécois.
Au cours des dernières années, au Parti Québécois, François Legault s’était rendu compte qu’il ne pouvait rallier une majorité de membres ni à ses projets, ni à ses modèles économiques, ni à son leadership.
Lors d’un Conseil national, tenu alors qu’André Boisclair dirigeait le parti, les délégués n’avaient pas retenu ses objections, développées au micro, et avaient voté à une majorité des deux-tiers pour la nationalisation de l’éolien. Sans doute à cause de cette rebuffade, sa proposition de privatisation d’Hydro-Québec était restée l’objet de discussions privées. De plus, faut-il rappeler que le modèle fiscal et économique qu’il proposait pour le Québec était l’Irlande !
Au moment où les membres du Parti Québécois se prononcent dans les congrès régionaux pour une radicalisation du discours linguistique et social, au moment où la population du Québec prend acte du désintérêt croissant des partis fédéraux pour le Québec, par suite de son déclin démographique et de la possibilité prochaine, avec la réforme de la carte électorale, de former un gouvernement majoritaire sans le Québec; au moment où l’indépendance apparaît de plus en plus clairement comme la seule alternative pour sauver le modèle social et économique québécois, François Legault entreprend, sous l’œil approbateur d’un membre du conseil d’administration de la banque CIBC, une démarche pour la création d’un nouveau parti politique nationaliste-fédéraliste.
À qui profite cette démarche? Poser la question, c’est y répondre.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir