À Québec pour Godin, Jo, M.A.Fortin, Borremans, Magali et alii sans Red Bull

2011/03/24 | Par Pierre Demers

L’auteur est cinéaste et poète. Il habite Arvida

J’invente rien. Je raconte ma fin de semaine culturelle avec ma blonde à Québec. J’invente rien. Je voulais prendre le large un peu pour oublier vous savez qui (J’ai failli continuer à Montréal quand je l’ai vu sur le front page du Soleil de samedi) et ma déception de ne pas avoir vu Tiken Jah Fakoly au Côté cour mardi dernier.

Je savais que c’était impossible qu’il vienne jouer ici avec sa gang de girafes sur une si petite scène. J’y ai crû la fin de semaine du Regard sur le court comme beaucoup d’autres prêts à vendre leur âme pour voir de leurs yeux et de leurs oreilles ici (Gratos) Tiken, le roi du reggae militant de la Côte d’Ivoire, exilé au Mali suite à des menaces de mort.

Je me tournais dans ma tête sa chanson «Quitte le pouvoir, quitte le pouvoir… » en priant. Mais le plan du promoteur ambitieux de Chicoutimi qui nous avait promis Tiken n’a pas fonctionné. Un de ses musiciens s’était blessé à Québec… J’ai eu peur un instant qu’il le remplace par Marco Calliari une fois de plus ou un autre de ses groupes africains de Laval qu’il fait revenir à chaque mois d’août…

Tiken Jah Fakoly au Côté cour c’est promettre U2 au Palais municipal de la Baie. J’attends maintenant mon prochain rêve au Côté cour, Tom Waits, le vrai, pas l’hommage… J’habite une région d’hommages.

Je vais me «cultiver » à Québec quand j’ai l’impression que je n’arrive pas à vivre au présent, que les nouveaux films, les nouvelles expositions, les nouvelles pièces de théâtres, les nouveaux shows m’échappent.


Godin et Jo

Au Clap juste derrière l’Université Laval, un cinéma qui choisit ses films. C’est ce qui nous manque ici comme salle spécialisée. Les ciné-clubs n’arrivent pas à programmer le lot de bons films étrangers et québécois qui se bousculent à la sortie. Et ils ne programment pas de documentaires québécois ou si peu. Le Clap le fait à Québec.

Godin de Simon Beaulieu nous réconcilie avec l’indépendance d’ici, celle des années 60-70 et la suite. À l’aide de témoignages actuels (Parizeau brillant, Denys Arcand sympathique pour une fois) et des archives percutantes le réalisateur nous fait découvrir un Gérald Godin entier, «le poète député de Mercier qui fait campagne à vélo ».

Le film porte autant sur Pauline Julien que sur Godin, couple inséparable complémentaire et passionné habité par le désir du pays à faire. Les chansons de Pauline et les photos montées au ralenti rendent ce film attachant et incontournable. Il nous rappelle que sans ambition collective les Québécois tournent en rond dans leur jus individuel. Dans la veine du docu sur Falardeau, un autre poète libre trop tôt disparu.

Autre film québécois percutant au Clap, Jo pour Jonathan de Maxime Giroux. Le second film de ce cinéaste qui maîtrise l’art de l’ellipse comme pas un. Deux frères maniaques de chars perdent leur temps et leur vie en banlieue. Ils parlent à peine, le plus vieux domine son frère qui étouffe et celui-ci rêve de partir avec sa blonde. Des scènes de nuit et de terrains vagues qui préfigurent le cul-de-sac tragique de ces deux naufragés hantés par leur avenir.


Marc-Aurèle Fortin, photos de la Grande Noirceur et Magali

Au musée de Québec sur les Plaines, une expo magistrale consacrée à Marc-Aurèle Fortin. Deux salles envahies par plus de 200 œuvres, huiles, aquarelles («aussi prenante que la morphine» selon le peintre), eaux-fortes superbes.

Une expo qu’on ne pourrait pas voir ici au musée de la Pulperie où l’on mise davantage sur les expositions «grand public » à la Disney comme si notre musée n’avait pas de collections de tableaux, de sculptures, etc. Il existe une vie après Arthur Villeneuve.

Les ormes de Sainte-Rose envahis par le vert ont fait la réputation du peintre. Mais on découvre ici, outre le forestier, le chroniqueur montréalais qui dévoile le quartier ouvrier Hochelaga sous toutes ses coutures dans une suite de tableaux impressionnants. Il radiographie avec ses aquarelles lumineuses les activités du port de Montréal et la construction du pont Jacques-Cartier dans les années 20.

Par la suite, il découvre avec ses paysages impressionnistes les régions du Québec qu’il visite (souvent à vélo) dans les années 30-40 avec ses amis peintres dont René Richard, le trappeur de Baie St-Paul. Charlevoix, Saint-Siméon, la Gaspésie, et Bagotville sur le Saguenay traversent son parcours.

Le catalogue de cette exposition unique nous permet de mieux saisir l’envergure de ce peintre lumineux, amoureux des paysages naturels et urbains du Québec du début de l’industrialisation.


Les photographes rebelles

À la maison Hamel-Bruneau sur le chemin St-Louis à Ste-Foy, on peut découvrir aussi des photos rares, souvent inédites de photographes/artistes d’ici qui, dans les années 50-60, osaient faire de la photo expérimentale (Parfois surréaliste) à l’encontre du courant documentaire et publicitaire d’alors. En plein Grande Noirceur au moment du Refus global.

Parmi ceux-ci, le cinéaste Michel Brault, l’affichiste Vittorio, le photographe/cinéaste Guy Borremans, le performeur Conrad Tremblay, le graveur Albert Dumouchel, le peintre Jean-Paul Mousseau, le prof Omer Parent, le critique Rodolphe de Repentigny. Des commentaires de complices dont celui du poète/dramaturge Claude Gauvreau, «…il faut lutter contre l’amorphisme étrangleur des inertes… », des bandes son et des extraits de films complètent cette exposition inédite et stimulante.


Magali et Mirka sur la rue Cartier

Au café l’Entract’ sur la rue Cartier où l’on fait des sandwiches hors du commun, notre amie Magali Baribeau-Marchand et Mirka Maltais exposent leurs œuvres récentes sous le thème les allégories botaniques et Rol, Giz et le Mékong. Toiles petit format tout support hors du commun elles aussi.


Red Bull Crashed Ice

C’est en arrivant à Québec que je me suis aperçu que c’était la fin de semaine du Red Bull Crashed. J’ai failli continuer vers Montréal, mais la curiosité aidant, je suis resté.

Samedi soir en revenant du faubourg Saint-Jean vers 23 heures, à contre-courant de la foule qui venait de s’amuser ferme devant les écrans géants de l’événement en question, j’ai bien saisi le degré de maturité de cette Nordiques Nation.

Des jeunes surtout vêtus la plupart du gilet des Nordiques, un tantinet ivres, parfois pissant le long des commerces de la rue Saint-Jean, une bouteille de bière ou de fort à la main, hurlaient à la lune géante. Comme au carnaval de Québec en somme où je me souviens bien on se cachait dans les tavernes pour ne pas se faire écœurer par les mongols de passage.

La ville n’a pas changé beaucoup en somme, on leur organise des activités extérieures d’hiver pour qu’ils se donnent l’illusion de s’amuser entre eux. J’ai failli me battre avec un flic qui venait d’arrêter un jeune cycliste à moteur sans phare arrière. Je l’ai accusé d’excès de zèle. Je lui ai rappelé que sur la rue Saint-Jean à la hauteur de la librairie Pantoute des jeunes soûls étaient en train de renverser une voiture de touristes en pissant sur le trottoir.

Il m’a dit de m’occuper de mes affaires. Ma blonde m’a calmé. J’aime pas les rassemblements de la Nordiques Nation. Une chance qu’à Québec, il y a d’autres choses à voir.


Citations de la semaine

«Si ces évènements existent, c’est parce que nous sommes motivés à créer des choses innovatrices avec un brin de folie. Ce n’est pas une profession, c’est une vocation. »
-Chantal Lachance de Gestev, Le Soleil, 19 mars

…comme si le Red Bull Crashed Ice était une entreprise humanitaire.


«Ça n’existe pas la différence entre la vie publique et privée. Quand tu changes de lieu, tu changes pas de personnalité. Ça va prendre un GPS pour savoir si un lieu est classé public ou privé. »
-le maire Jean Tremblay, Le Soleil, 19 mars

…quand on dit qu’il ne comprend rien.


«On prend tous les moyens pour que ça ne coûte pas une cenne de plus que 400 millions $. Le dépassement de coût, ça sera mon stress permanent. J’ai la même peur que vous »
-le maire Régis Labeaume en consultation publique sur le nouveau Colisée, Le Soleil, 20 mars

…on a déjà entendu ça quelque part.