« Si on ne comprend pas que derrière les économies, il y a des individus, alors on ne comprend rien du tout », déclarait l’économiste Pierre-André Julien, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans une présentation sur l’organisation du travail à l’occasion du 63e Congrès de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
La longue expérience du spécialiste auprès des PME lui a permis de constater que c’est faire fausse route que de considérer l’innovation comme une affaire de productivité uniquement reliée à la technologie et à la machinerie.
À son avis, la principale erreur de nombreuses entreprises est d’ignorer qui se trouvent derrière ces machines, soulignant que « organisation vient de ‘‘orga’’, qui signifie vivant. C’est des employés dont il est question et non pas des machines ».
Une entreprise se définit d’abord et avant tout par la relation qui existe entre les besoins d’un client et le savoir-faire de l’organisation. Or, ce savoir-faire repose essentiellement sur l’expertise des employés. C’est pourquoi l’information et la formation sont des variables déterminantes dans la capacité d’une organisation à répondre aux besoins des clients. « Dans les meilleures PME québécoises, de 5% à 7% de la masse salariale sont investis dans la formation des employés. » Un chiffre qui grimpe même à 10% pour certaines entreprises étrangères.
« Les entreprises qui ne comprennent pas ça seront mortes dans dix ans », indique-t-il. Sur 100 PME à voir le jour, à peine 20% survivent au bout de dix ans, soit celles ayant intégré le savoir et le savoir-faire des employés comme partie prenante de l’organisation.
Une analyse qui vaut tout autant pour le garagiste, le poissonnier, l’entreprise de télécommunication ou encore les hôpitaux, fait valoir le professeur Julien, où sévit une mauvaise interprétation de cette relation à son avis. Par exemple, passer plus de temps auprès des patients et discuter avec eux permettrait notamment de mieux comprendre leur situation et éviterait d’avoir à y retourner aussi souvent.
Il ajoute que, dans les entreprises où une restructuration dans l’organisation du travail a été effectuée, ces seuls changements ont permis de dégager des gains de productivité de l’ordre de 30% à 40%.
« L’innovation, ce n’est pas la machine, mais plutôt savoir quoi en faire. Les entreprises les plus innovantes sont celles qui font une multitude de petits changements, pour répondre à de nouveaux besoins qui n’étaient pas prévus et qui font la satisfaction du client. Ce sont celles qui utilisent le savoir des employés. »
Ainsi, le partage des défis, l’information, les structures d’organisation participatives facilitant la créativité, la formation, l’expérimentation et la rétroaction qui se traduit par une incidence monétaire pour les employés sont autant de variables nécessaires à l’innovation au sein d’une organisation, bien avant l’achat de nouvelles machineries.
En somme, les entreprises qui n’investissent pas dans la formation, qui n’ont pas de vision à long terme pas plus qu’elles ne favorisent l’implication des employés et la reconnaissance de leur savoir-faire sont vouées à une mort certaine, comparant « ceux qui connaissent le papier versus les faiseurs d’argent », en référence aux entreprises Kruger et AbitibiBowater dans l’industrie des pâtes et papiers.
Le professeur, qui estime que la « réorganisation » du travail doit s’inscrire au cœur du processus de négociation des conventions collectives, invite les syndicats à réfléchir sur leur rôle quant à l’organisation du travail dans les milieux où ils sont présents.
Réunis au Palais des Congrès de Montréal, les quelque 2 000 délégués du Congrès de la CSN se sont notamment penchés sur la question.
Compte tenu du contexte socio-économique actuel, la CSN fait le pari que la consultation et la participation des syndicats dans les décisions stratégiques des entreprises sont incontournables.
La proposition appelle donc les syndicats à accentuer leurs actions en matière d’organisation du travail pour améliorer la qualité de vie au travail et s’attaquer aux problématiques liées à l’intensification du travail de même qu’à ses effets sur la santé physique et psychologique des travailleurs.
L’ouverture de cette semaine de congrès, qui marque également le 90e anniversaire de la fondation de la CSN, aura été teintée dimanche par les déclarations incendiaires du chef de l’ADQ, Gérard Deltell, qui reproche aux syndicats de s’immiscer indûment dans les débats politiques et de financer des campagnes politiques à même les cotisations syndicales. « Nous voulons redonner le pouvoir aux travailleurs à l'intérieur de leur syndicat », a déclaré M. Deltell cette fin de semaine devant les militants adéquistes réunis à Trois-Rivières.
Lundi, le cochef de Québec Solidaire a également tenu des propos durs à l’endroit des grandes centrales syndicales, disant souhaiter qu’elles délaissent « un syndicalisme plutôt corporatiste », selon ce que rapportait la Presse Canadienne lundi.
Contrairement à M. Deltell, M. Khadir estime toutefois que les syndicats doivent prendre plus de place dans les débats publics et « renouer davantage encore avec les causes sociales qui bénéficient à tout le monde (…) ».
Des propos qui, de part et d’autre, n’ont pas manqué de faire réagir du côté de la CSN. Qui plus est, l’invitation du député de Mercier à réfléchir sur les pratiques du syndicalisme tombe à point alors que mercredi, les délégués de la CSN y consacreront justement une grande partie de la journée : panel, présentation et discussions en atelier proposeront une réflexion sur l’avenir du syndicalisme.
Rappelons finalement que les élections des membres du comité exécutif auront lieu jeudi. Aucun autre candidat ne s’est présenté contre Louis Roy, candidat pressenti à la succession de Mme Claudette Carbonneau, qui quitte la vie syndicale après plus d’une trentaine d’années de militantisme, dont les neuf dernières passées à la présidence de la CSN.
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