À tous les Richard Martineau de ce monde…

2011/09/09 | Par Réjean Porlier

L’auteur est président provincial du syndicat des technologues d'Hydro-Québec

Hier, je prenais connaissance d'un article signé Richard Martineau, daté du 5 septembre dernier, sur Canoe.ca : « À quand le printemps des syndicats? », et celui-ci m'a conduit à la présente réflexion.

Très sincèrement, je ne pensais pas voir M. Martineau descendre un jour aussi bas. Remarquez, il n'est pas le premier et sans doute pas le dernier à qui ça arrive, mais le syndrome de la popularité ne semble pas faire le même effet sur tous les individus; certains en viennent à la conclusion qu'ils peuvent balancer n'importe quoi sans trop de discernement. Le dénigrement systématique des syndicats auquel nous assistons présentement s'inscrit davantage dans une opération bien structurée de démolition que dans la volonté d'informer la population.

Il peut être noble et ultimement utile de vouloir mettre en évidence certaines dérives syndicales, mais je sais par expérience que les membres ne boudent pas le crachoir lorsqu’il est question de ramener leurs dirigeants à l’ordre. Dénoncer l'éloignement de certains syndicats d'un rôle plus social qui, traditionnellement et au fil des ans, a contribué à donner aux grandes centrales leurs lettres de noblesse pourrait être une autre source de motivation pour nos dénigreurs, mais cela n'a rien à voir avec la charge à fond de train à laquelle une poignée de démagogues se livre présentement.

On comprend davantage un employeur comme M. Pierre-Karl Péladeau qui n'hésite pas à utiliser son empire médiatique pour diaboliser le mouvement syndical au Québec, son intérêt est purement pécuniaire : plus les contrats de travail négociés avec ses employés sont généreux à leur endroit, moins il fait de profits. Tout un décalage avec le discours de M. Péladeau père qui avait comme philosophie « Plus vous me faites faire d'argent, plus vous en toucherez ». Avouons que ça détonne. Comment ne pas souligner les 40 ans de règne de ce dernier au Journal de Québec sans la moindre grève et surtout le moindre lockout.

Donc, il y a cet intérêt avoué de l'empire d'affaiblir le mouvement syndical au Québec, et l'argument le plus évoqué est sans contredit celui de la faiblesse de l'économie, toujours fragile et, selon la pensée néolibérale, nécessairement affaiblie par les grands syndicats.

Faut-il encore une fois rappeler que le classement annuel de l'OCDE des pays où il fait bon vivre, et à propos duquel j'invite les lecteurs à prendre connaissance des critères utilisés, positionne les pays scandinaves où le taux de syndicalisation est autrement plus impressionnant que celui du Québec dans le top 10, et ce année après année (Taux de syndicalisation : Norvège 52 %, Suède 68 %, Danemark 69 %, Finlande 75 %). Le Canada, avec un taux qui avoisine les 30 % (40 % au Québec) fait aussi bonne figure dans le peloton de tête.

Bien sûr, je ne demanderai pas à un Richard Martineau, un Pierre-Karl Péladeau, un Mario Dumont, un Éric Duhaime ou tout autre disciple de l'enrichissement individuel de reconnaître le phénomène cause à effet de la réussite économique et générale d'un pays versus le taux de syndicalisation, mais tout de même, un peu d'objectivité suggèrerait la prise en compte d'un élément clé et principal cheval de bataille du mouvement syndical encore en 2011: le partage de la richesse.

La crise économique qui vient à peine de frapper n'était-elle pas l'œuvre de la trop grande liberté d’agir de quelques barons de la finance qui, sans vergogne, ont floué le système? N’hésitant pas à faire de la spéculation à outrance une normalité, ceux-ci n’ont pas hésité à mettre en jeu l’avenir de dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le président des États-Unis lui-même, M. Obama, à souhaiter une forte présence des syndicats pour régulariser ce déséquilibre outrancier entre les Maîtres du monde et les travailleurs. Sans les syndicats, qui donc peut assurer cet équilibre?

Les syndicats sont les principaux artisans de l'émergence d'une classe moyenne digne de ce nom au Québec et celle-ci représente sans aucun doute le principal atout pour progresser collectivement.

Force est de constater que l'objectivité des pourfendeurs du mouvement syndical s'arrête là où leurs intérêts sont en jeu.

Depuis le récent et long conflit de travail qui a sévi au Journal de Montréal, l'étiquette de scab colle à la peau de M. Martineau. Rien de très reluisant pour quiconque tente de soigner son image publique. Mais qu'à cela ne tienne, un coup de sonde arrivé de nulle part vient laver son honneur : selon Infotravail, 72 % des gens pensent que les travailleurs devraient pouvoir franchir une ligne de piquetage pour exprimer leur désaccord à leur syndicat.

Désolé, mais pour moi et pour une majorité de travailleurs qui comprennent bien le fragile équilibre qui prévaut dans le monde des relations du travail au Québec, ce pamphlétaire demeure toujours le même scab et, qui plus est, il est devenu un outil de propagande inespéré pour tous ceux et celles qui, comme lui, font passer l'enrichissement personnel et les droits individuels devant les enjeux collectifs.

Il est tout de même important de spécifier que l'association Infotravail, à laquelle fait référence M. Martineau dans son article, indique sur son site Internet qu'elle bénéficie du soutien financier d'associations industrielles et de cabinets d'avocats nationaux et provinciaux. Difficile de ne pas douter de l'objectivité de la démarche. C'est comme demander au Père Noël d'enquêter sur la nécessité de poursuivre la tradition du temps des fêtes et de sonder lui-même les enfants. Un exercice d'une malhonnêteté intellectuelle navrante. On dirait le pendant de l'Institut Économique de Montréal, dont les études sont motivées par l'unique ambition de privatiser tout ce qui est public.

M. Martineau nous invite à prendre conscience que les temps ont bien changé et s’il consent à reconnaître du bout des lèvres que le syndicat fut jadis un mal nécessaire, Dieu nous en protège aujourd'hui! Tout cela frôle un brin le délire que de croire en 2011 les multinationales et la grande entreprise suffisamment humaines pour ne plus avoir besoin de contrepoids.

Ce monde syndical, je le connais bien parce que je le vis au jour le jour, avec ses imperfections, mais surtout avec beaucoup de passion pour la réalité que vivent les travailleurs et les travailleuses.

Le mouvement syndical demeure et demeurera toujours le meilleur rempart que nous ayons pour lutter contre les pratiques néolibérales qui conduisent nécessairement à l'élargissement du fossé entre les classes et, ultimement, aux révoltes, voire aux guerres.

Ce qui me rassure malgré toute cette campagne intéressée de « salissage », c'est que ceux qui la souhaitent et l'entretiennent peuvent continuer leur travail de démolition, de dénigrement et de démagogie sans le moindre discernement, tout cela au service de l'empire, ils ne pourront jamais écrire l'histoire.

Et cette histoire, je nous la prédis difficile pour les années à venir car la finance ne s'arrêtera que lorsqu'elle aura pris le contrôle de toutes les économies, bradant au passage nos ressources naturelles et nos principales sources d'énergie. Nous ne pourrons plus nous permettre alors de promouvoir l'individualisme.

Rassurez-vous, je n'entretiens aucune ambition de voir un jour, pancarte à la main, tous ces opportunistes se réclamer de plus de justice et d'équité.


Bonne réflexion!