Esdras Minville (1896-1975) est l’un des grands économistes québécois. Cet homme engagé a développé une vision globale pour l’émancipation du Québec. Dans son essai, Roméo Bouchard l’expose, l’actualise et la propose pour relancer notre développement.
Les principaux thèmes de la carrière intellectuelle de Minville sont l’infériorité économique des « Canadiens français » et le dépérissement des régions. Son côté pragmatique et son désir d’action viennent du fait qu’il a d’abord été pêcheur, agriculteur et bûcheron à Grande-Vallée en Gaspésie.
Une partie importante de l’essai de Roméo Bouchard porte justement sur la coopérative agroforestière de Grande-Vallée que Minville a créée en 1938. Elle représente l’exemple concret de la vision de son créateur, étant axée autour de la communauté locale et visant l’exploitation intégrée des ressources. L’ouvrage de Bouchard inclut des textes de collaborateurs, dont le magnifique récit de Jean-Claude Côté sur cette colonie.
Esdras Minville a été professeur puis directeur aux HEC. Il a fondé L’Actualité économique, revue scientifique des économistes québécois, et a grandement participé à la revue L’Action française, qui deviendra L’Action nationale.
Côté politique, il partage le nationalisme « ethnique » de l’abbé Lionel Groulx et de l’économiste François-Albert Angers. Il est sympathique à l’Action libérale nationale, qui se fusionne au parti de Duplessis pour former l’Union nationale. Minville en inspirera son programme initial, assez progressiste, proposant notamment la nationalisation de l’électricité et une réforme de l’éducation.
Pour conserver son autonomie, il refuse le poste de sous-ministre du Commerce et de l’Industrie que lui propose Duplessis en 1936. Il accepte celui de conseiller technique, qui lui permet de créer l’Office de recherches économiques, ancêtre de l’Office de planification du Québec, qui occupera un rôle central dans la Révolution tranquille.
Dans ses écrits, Minville dénonce l’abandon de nos richesses aux entreprises et capitaux américains. Ce libéralisme économique concentre l’activité à Montréal, transforme les familles paysannes en ouvriers et pille les ressources naturelles.
À cette dépendance économique des gouvernements Taschereau (1920-1936) et Duplessis (1936-1939 et 1944-1959), il propose non pas l’État-providence, mais une économie basée sur les coopératives et la production décentralisée. Son modèle permet aux familles d’occuper le territoire et aux communautés de se suffire plutôt que dépendre du centre ou de l’État.
C’est le modèle que soutient Roméo Bouchard. Reconnaissant tout le mérite qui revient à la Révolution tranquille, il suggère que l’économie québécoise doit davantage se développer selon le modèle de Minville.
Si l’État doit s’occuper de la planification du développement économique, ce sont les entreprises, coopératives, associations et organismes communautaires qui doivent l’effectuer. Bouchard prône aussi des partenariats entre les entreprises privées ou sociétés d’État et les communautés locales et autochtones. Les gens du milieu doivent être des acteurs de premier plan proactifs dans leur développement économique.
Minville dénonçait l’État-providence qui étouffe l’initiative des communautés, Bouchard en fait autant. L’État québécois doit aussi décentraliser ses sources de financement et ses pouvoirs : organisation et aménagement du territoire, environnement, écoles, services de santé, services sociaux, services culturels, justice locale, ressources naturelles, développement, moyens de communication. Bouchard explique que cette décentralisation rejoint le livre blanc de René Lévesque portant sur ce sujet qui n’a pas été mis en œuvre.
Comme Minville dénonçait l’emprise de notre économie par les grandes entreprises étrangères, Bouchard dénonce le modèle néolibéral. Nos richesses naturelles continuent à être pillées sans que les régions ou le Québec en profitent réellement.
Si le constat alarmant de la situation actuelle convainc, ce n’est pas toujours le cas avec les solutions proposées. Certes, le principe de la décentralisation aurait dû être adopté depuis longtemps. Toutefois, la prise-en-main de l’économie par les acteurs du milieu implique leur capacité à concurrencer et à négocier avec les grandes entreprises des différents secteurs économiques, en particulier celui des ressources naturelles.
Pour les secteurs névralgiques comme l’industrie minière, mieux vaut laisser le premier rôle à l’État. Si les communautés doivent être parties prenantes à ces projets, seules, elles pourraient difficilement tirer le maximum de retombées des géantes chinoises, indiennes ou américaines.
Comme Esdras Minville et comme la Coalition Avenir Québec, Roméo Bouchard est nationaliste sans être souverainiste. Mieux vaut réaliser l’indépendance économique, qui serait, selon lui, somme toute possible dans le cadre fédéral actuel. Un choix éminemment discutable.
Roméo Bouchard, La reconquête du Québec – Esdras Minville et le modèle gaspésien, Écosociété, 2011, 224p.
Avec collaboration de Jean-Claude Côté et autres
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