Auteur de Y a-t-il un avenir pour les régions (2006) et La reconquête du Québec (2011), Éditions Écosociété. St-Germain-de-Kamouraska.
Des attentes considérables
La politique d’occupation du territoire était d’autant plus attendue qu’elle survient au terme de 50 années de tentatives pour corriger les disparités régionales générées par le modèle de révolution industrielle qui a prévalu au Québec et pour réintégrer les régions périphériques dans la dynamique du développement économique et social de l’ensemble du Québec.
La consultation menée par Solidarité rurale, en vue de l’avis qu’elle devait fournir au gouvernement, n’augurait rien de bon, s’étant limitée à énumérer des objectifs et des défis connus, sans proposer de doter les communautés territoriales des moyens, des pouvoirs et des ressources financières qui puissent leur permettre de se prendre en mains et d’atteindre ces objectifs.
Le projet de loi 34 : modulation et concertation versus décentralisation.
En parcourant le projet de loi n. 34 et la stratégie qui l’accompagne, force est de constater d’une part que le portrait qu’on y trace de la situation des régions minimise systématiquement les problèmes auxquels elles sont confrontées tant en milieu urbain que périphérique. À la page 22 de la stratégie, on va même jusqu’à dire que « la situation économique des régions est prometteuse! ».
D’autre part, ce qui découle sans doute de cette vision jovialiste des régions, il est clair que le modèle d’occupation du territoire choisi par le gouvernement n’est pas celui de la décentralisation des pouvoirs et des ressources sous la coordination gouvernementale, mais, comme l’énonce clairement l’article 1, la modulation des politiques ministérielles et la concertation entre l’État et les communautés locales et régionales existantes.
Ce qui est au mieux une bonification du modèle qu’on pratique depuis toujours. L’État demeure le seul détenteur des outils décisionnels et financiers, et le processus va toujours du haut vers le bas : « Le projet de loi a pour but de contribuer à l’occupation et à la vitalité des territoires en adaptant le cadre de gestion de l’Administration et en conviant les élus municipaux à agir en faveur de l’occupation et de la vitalité des territoires dans l’exercice de leurs fonctions… ».
Les mesures prévues visent à « renforcer l’efficience et la cohérence des actions gouvernementales », à stimuler « l’engagement des élus et la concertation entre eux et les acteurs socio-économiques des collectivités », à assurer une « modulation de l’action gouvernementale en fonction de la spécificité et de la complémentarité des territoires, ainsi qu’une coordination des instances de planification territoriale ».
On avance prudemment la notion de « contrat de territoire », mais strictement dans une optique de concertation. De nouvelles tables de concertation sont créées ou renforcies au niveau du gouvernement (Table Gouvernementale aux Affaires Territoriales), au niveau de la région (Conférence Administrative Régionale) et au niveau de la communauté métropolitaine de Montréal (Table Québec-Montréal Métropolitain pour l’Aménagement et le Développement). Et pour une fois, mêmes les instances autochtones sont pris en compte.
Ceux qui se satisfont d’un modèle de concertation se réjouiront de voir le gouvernement s’engager à en faire une priorité et y verront un pas dans la bonne direction; mais pour ceux qui préconisent une décentralisation territoriale démocratique, ce n’est pas la bonne direction et c’est un rendez-vous manqué de plus avec nos régions et notre territoire.
Ce projet de loi nous offre beaucoup d’objectifs et de principes louables en soi, beaucoup d’orientations, de pôles d’intervention et d’indicateurs plus ou moins bureaucratiques, beaucoup de tables de concertation sans pouvoirs de décision, mais il ne comporte aucun nouveaux moyens ni nouvelles ressources pour les collectivités qui veulent se prendre en mains.
Au-delà d’une rhétorique généreuse, nulle part, même dans le projet de territorialité que devront présenter chacun des ministères, il n’est question de transfert de juridictions et de sources de revenus, ni de décentralisation territoriale des politiques ministérielles sectorielles imposées d’en haut aux régions, ce qui va bien au-delà d’une modulation territoriale.
On demeure strictement dans le cadre d’une régionalisation des politiques gouvernementales et d’une concertation paternaliste de l’État avec ses créatures. Le principe de subsidiarité est à peine évoqué dans la Stratégie, mais il est absent du projet de loi. L’État québécois s’engage à mieux s’occuper de ses régions –on ne peut que s’en réjouir- mais ce n’est pas le Québec des Régions ni la démocratie territoriale.
Le projet de loi 499 : un modèle de décentralisation à compléter
Par contre, le projet de loi 499, présenté par la Parti québécois en contrepartie du projet de loi 34, a le grand mérite de placer la décentralisation et le principe de subsidiarité au cœur même d’une politique d’occupation du territoire.
A l’article 1, il ne s’agit plus seulement d’adapter le cadre de gestion de l’Administration mais « d’ instaurer un nouveau cadre relatif aux relations entre les municipalités et l’Administration afin que l’exercice de leurs compétences s’inscrive dans la recherche d’une occupation dynamique du territoire et d’une plus grande décentralisation ».
Et le projet précise qu’il s’agit bien de l’attribution de compétences pleines et entières et de ressources autonomes correspondantes aux municipalités.
Cette décentralisation des pouvoirs et des ressources y est présentée avec raison comme un outil indispensable pour rapprocher les décisions des communautés territoriales et leur permettre de se prendre en main et de mettre en valeur leurs ressources propres. En outre, le projet 499 propose des critères précis pour gérer le maintien des services essentiels dans les petites communautés.
Malheureusement, même le projet de loi 499 précise peu l’obligation des ministères de transférer des compétences et des ressources aux municipalités et aux régions, et surtout, il reste muet sur l’imputabilité des instances supra-locales et régionales susceptibles de gérer des compétences et des budgets élargis.
Cette imputabilité ne peut exister que si ces instances, à l’instar des instances municipales locales, sont mandatées directement par leur population et rendent des comptes à cette population plutôt qu’au gouvernement, comme c’est le cas présentement; en d’autres mots, leurs dirigeants doivent être élus au suffrage universel plutôt que désignés ou délégués, avec tous les risques de collusion que cela comporte.
Conclusion : le modèle de la loi 34 n’est pas un remède à la crise régions et du territoire.
Le modèle d’occupation du territoire que propose le projet de loi 34 peut sans doute apporter plus de cohérence et de visibilité aux actions gouvernementales et territoriales, mais, à notre avis, il ne permettra pas de modifier le modèle actuel de développement économique basé sur les pôles urbains de croissance, ni de freiner la centralisation démographique et économique qui mine le Québec, ni de sortir de la culture de dépendance qu’a fini par développer la centralisation et la bureaucratie actuelle de l’État québécois.
Quant aux régions périphériques, elles continueront à décroître, surtout si les ressources naturelles, qui sont leur gagne-pain, continuent à être gérées de façon centralisée et colonisée comme elles le sont présentement.
Le Gouvernement et le Parti québécois, s’ils veulent faire des collectivités territoriales les maîtres d’œuvre de leur développement, devraient reformuler l’article 1, et conséquemment, l’ensemble de de leur projet de loi respectif, dans le sens suivant:
La présente loi a pour objet de doter les collectivités territoriales des dirigeants démocratiques, des pouvoirs politiques et des ressources financières nécessaires pour qu’elles puissent assurer, en concertation avec l’Administration du gouvernement, l’occupation et la vitalité de leurs territoires dans l’avenir.
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