Beaucoup a été dit dans le débat sur l'augmentation des droits de scolarité universitaires. Et c'est très bien puisque l'ampleur que prend le débat démontre son importance pour l'avenir de notre société québécoise et son orientation pour les années futures.
Il existe, à travers le monde, deux modèles complètement opposés quant aux droits de scolarité universitaires. Il y a le modèle européen de la gratuité (ou quasi-gratuité), et il y a le modèle anglo-saxon où les droits sont de plus en plus élevés. Ces deux modèles représentent des conceptions différentes de la vie en société et des rapports entre les citoyens et l'État.
Au Québec, nous en sommes restés jusqu'à maintenant au modèle européen. Il y a des droits à payer, mais ils sont modestes et, surtout, gelés depuis plusieurs années. Le gouvernement a décidé que ce modèle devait être mis de côté, et qu'il fallait se rapprocher, progressivement, du modèle de nos voisins. Cela soulève évidemment plusieurs interrogations.
Le rôle de l'université
La première question est celle du rôle et de la nature de l'université moderne. Nous vivons dans une « société du savoir », c'est-à-dire une société où le savoir est devenu à la fois une condition de développement pour la société dans son ensemble et une condition d'emploi pour ses travailleurs.
Nous avons donc besoin d'un bassin de main d'œuvre pouvant répondre à toutes les exigences de ce marché du travail qui, dans un nombre de plus en plus grand de secteurs, exige une formation de niveau universitaire. Nous ne pouvons pas nous permettre de manquer de travailleurs pleinement qualifiés.
Dans le passé, le Québec a toujours été à la traine à cet égard par rapport à ses principaux concurrents, et notamment de l'Ontario, et nous continuons encore à en subir les effets en termes de productivité et de niveau d'emploi.
Heureusement, nous avons progressivement réussi à corriger la situation en généralisant l'accessibilité de nos jeunes aux études secondaires, collégiales et universitaires, par un système de gratuité, totale ou partielle, et un généreux régime de prêts et bourses.
La conséquence de cette évolution, c'est que l'université est devenue, à toutes fins pratiques, une école professionnelle chargée de former les nombreux travailleurs spécialisés dont a besoin l'économie du savoir.
C'est du moins le cas pour les études de premier cycle menant au baccalauréat, les fonctions de recherche étant réservées aux études de deuxième et troisième cycles.
Plus nous aurons de diplômés universitaires, plus nous aurons de chance de conserver notre place dans le peloton de tête des pays développés.
La solidarité sociale
Mais il y a une autre raison de préserver la quasi-gratuité universitaire actuelle : c'est la solidarité sociale qui prévaut au sein de la communauté québécoise. Cette solidarité est fondée sur un certain nombre de droits, dont le droit à l'instruction publique gratuite, inscrit dans notre charte québécoise des droits et libertés de la personne (article 40). Jusqu'à maintenant, ce droit a été reconnu : pleinement à tous les niveaux d'éducation jusqu'au cégep, et quasi-pleinement à l'université.
En échange, les citoyens ont l'obligation morale de contribuer au progrès de la société québécoise. Les diplômés universitaires ont tous un devoir de solidarité envers leurs concitoyens. C'est cet esprit de solidarité qui sera affaibli si se propage l'idée que le diplômé universitaire, ayant payé pour ses études, est moins redevable à ses concitoyens. L'intérêt personnel portera ombrage à l'intérêt général. Les privilégiés du système le seront encore davantage.
En diminuant la « dette de solidarité » de la classe la plus éduquée (et souvent la plus privilégiée), on favorise une société moins égalitaire. On pénalise ainsi les plus défavorisés qui, non seulement auront plus de difficultés à poursuivre leurs études, mais qui bénéficieront moins de la distribution des services inhérente à une société plus solidaire.
La solidarité sociale force les riches à aider les pauvres : ceux qui ont intérêt à diminuer son importance dans notre société sont naturellement tous en faveur de la hausse des droits de scolarité universitaires.
Qui s'instruit, s'enrichit
Le slogan moderne du « qui s'instruit, s'enrichit » est, à cet égard, délétère. Bien qu'il soit vrai que les diplômés universitaires aient en général un revenu moyen plus élevé que ceux qui ne le sont pas, cela est dû, en grande partie, aux revenus très élevés de certains d’entre eux comme les médecins, les avocats, les chefs d’entreprise, etc.
Mais le revenu moyen de la majorité des diplômés universitaires (géographes, bibliothécaires, enseignants, infirmières, philosophes, archéologues, historiens, etc.) ne dépasse guère celui de la classe moyenne. Pourquoi les pénaliser de poursuivre des études dont notre société a absolument besoin ?
Les étudiants étrangers
Cette argumentation ne vaut évidemment que pour les étudiants québécois. Or, on sait que nos universités comptent un grand nombre d'étudiants qui proviennent du reste du Canada ou de pays étrangers.
Il n'y a donc pas de raisons pour lesquelles ces étudiants devraient profiter de la gratuité scolaire : à moins qu'ils ne bénéficient d'ententes avec leur pays d'origine, ils devraient payer des droits de scolarité semblables à ceux qui prévalent chez nos voisins.
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