Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre
Au cours de cette dernière semaine de la campagne électorale, on risque de voir des déplacements importants au sein de l’électorat fédéraliste, de droite et anglophone, vers le Parti Libéral ou la CAQ, en fait vers le parti qui, selon les sondages, sera le mieux placé pour empêcher l’élection du Parti Québécois et la remise à l’ordre du jour de la question de la souveraineté du Québec.
À gauche, chez Québec solidaire, la déconfiture du Parti Québécois est aujourd’hui souhaitée ouvertement, ce qui ouvrirait toutes grandes les portes du pouvoir au Parti Libéral et à la CAQ, deux partis ouvertement antisyndicaux et antipopulaires.
Pendant longtemps, les dirigeants de Québec solidaire ont déclaré vouloir le maintien d’un Parti Québécois fort mais, aujourd’hui, les masques tombent. Dans une entrevue au journal Le Devoir (25 août), Françoise David déclare que si « après tout, il n’y a plus de vaisseau amiral de la souveraineté, mais plutôt une flottille et que Québec solidaire en fait très sérieusement partie, j’en serai ravie ».
Depuis le début de la campagne, le Parti Québécois est l’ennemi principal de Québec solidaire, dans la plus pure tradition des groupes « m-l » des années 1970 – dont Françoise David est issue – et Québec solidaire est devenu, comme l’avaient été les maoïstes lors du référendum de 1980, l’allié objectif des fédéralistes.
Ceux-ci ne s’y trompent pas comme en font foi les déclarations de Jean Charest encensant la performance de Françoise David et la couverture complaisante, sans la moindre critique, de La Presse et de Radio-Canada.
Une vérité incontournable : la division du vote
Le tour de passe-passe des dirigeants de Québec solidaire est de présenter l’actuelle campagne électorale, comme si elle se déroulait selon les modalités d’un scrutin proportionnel. Mais les règles de l’élection du 4 septembre sont celles du scrutin uninominal à un tour, où la présence de tiers-partis « divise le vote ».
C’est une vérité incontournable, malgré ce qu’en disent les ténors de Québec solidaire. D’ailleurs, ils le reconnaissent eux-mêmes, malgré leur prétention contraire, puisqu’ils ont signé une entente avec Option Nationale pour ne pas présenter de candidat dans les circonscriptions de Françoise David et Jean-Martin Aussant afin de ne pas « diviser le vote ».
L’image de la flottille serait peut-être appropriée dans le cadre d’un scrutin proportionnel mais, avec le mode de scrutin actuel, le vaisseau amiral libéral ou caquiste, à bord duquel l’électorat fédéraliste, anglophone et de droite décidera finalement de monter, enverra rapidement par le fond l’ensemble de la flottille souverainiste de gauche, surtout si le vaisseau amiral est la cible de tirs soi-disant « amis ».
Des enjeux majeurs pour le mouvement syndical
Québec solidaire se proclame pro-syndical, mais ne s’inquiète pas un instant de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement caquiste qui rendrait à toutes fins pratiques impossible la syndicalisation avec l’imposition du vote obligatoire pour les accréditations.
La plateforme électorale de la CAQ est pourtant claire : le parti veut le maintien de la majeure partie des dispositions de l’inique loi 12 (projet de loi 78), donner aux municipalités le droit de lock-out, limiter le droit de grève des salariés de la petite enfance, abolir les commissions scolaires et, par le fait même, se débarrasser des syndicats du soutien scolaire.
François Legault n’a pas non plus dissimulé son intention de rouvrir les conventions collectives du secteur public. Dans l’enseignement, il veut imposer l’évaluation des enseignants en fonction des résultats des élèves, un modèle emprunté des États-Unis qui a pour conséquence de mettre les enseignants en concurrence les uns avec les autres et de détruire l’esprit d’équipe nécessaire pour dispenser une éducation de qualité.
Legault veut éliminer 7 000 postes dans la fonction publique et chez Hydro-Québec, et priver ainsi la jeunesse du Québec de bons emplois. Et il a le culot de vouloir acheter la complicité des organisations syndicales en leur proposant de les compenser pour les cotisations perdues!
De toute évidence, avec la CAQ au pouvoir, il y aura de la houle sur l’océan social et syndical, mais cela ne semble pas une préoccupation pour la grande timonière.
Québec solidaire piège les familles
Françoise David et Québec solidaire se proclament les plus ardents défenseurs des familles. Mais ils mettent tout en œuvre pour empêcher l’élection d’un parti, le Parti Québécois, qui annonce qu’il gèlera à 7$ le coût d’une place en garderie et en augmentera le nombre avec l’objectif d’« un enfant, une place ».
Françoise David arbore fièrement le carré rouge, mais son action est planifiée pour empêcher l’avènement au pouvoir du parti qui veut abolir la hausse des droits de scolarité, abroger la loi 22 et ouvrir un débat sur la gratuité scolaire.
Des années difficiles s’annoncent pour les familles québécoises et la question se pose : va-t-on élire un gouvernement pro-patronal qui va augmenter le fardeau fiscal de la classe moyenne ou un parti qui s’engage à abolir la taxe santé de 400$ et geler les tarifs d’électricité?
Dans plusieurs circonscriptions, le nombre de votes obtenu par Québec solidaire fera sans doute la différence entre l’élection d’un gouvernement libéral ou caquiste, d’orientation nettement néolibérale, ou péquiste dont l’objectif est de « faire payer les riches ».
Pas si fous les caribous
Dans une ultime attaque contre le Parti Québécois, Françoise David « câle les caribous » pour les inviter à rejoindre son parti. Voilà, au moins, un appel qui ne risque pas d’être entendu.
Loin d’être une démarche vers l’indépendance du Québec, le programme de Québec solidaire propose la mise sur pied d’une assemblée constituante qui laisse ouverte la question du statut politique du Québec. Elle ouvre la porte à toutes les manipulations et à la signature de la Constitution canadienne, au grand plaisir des fédéralistes et, plus particulièrement, du NPD de Thomas Mulcair, avec lequel Québec solidaire a tissé des « liens fraternels ».
La campagne électorale a démontré que la souveraineté du Québec ne constituait pas l’Article 1 du programme de Québec solidaire. Son principal objectif est la réforme du mode de scrutin et l’instauration du scrutin proportionnel.
Alors que la démarche des indépendantistes est claire et limpide – l’élection du Parti Québécois, un référendum gagnant, la Proclamation de l’indépendance, suivie d’une Assemblée constituante – Québec solidaire s’enferre dans une vision provincialiste où on prévoit la tenue de plusieurs élections provinciales avant l’accession du Québec à l’indépendance.
Le naufrage de l’espoir d’un Québec indépendant et progressiste
L’élection du 4 septembre est capitale. D’abord pour le mouvement étudiant, le mouvement syndical et les classes moyennes. La réélection d’un gouvernement Charest, ou peut-être pire encore, l’élection d’un gouvernement caquiste représenterait une défaite aux conséquences incalculables.
Elle alignerait le Québec sur le modèle d’extrême-droite en pleine expansion aux Etats-Unis – on frémit à la pensée d’une élection de Mitt Romney – et au Canada-anglais avec le gouvernement Harper.
Une défaite risquerait de provoquer l’éclatement et le naufrage du Parti Québécois. Peut-être en émergerait-il la « flottille » dont rêve Françoise David… et ses amis fédéralistes. Mais l’espoir d’un Québec progressiste et indépendant reposerait sur les bas-fonds, avec son vaisseau amiral, pour de longues années.