Rencontrée quelques jours après la première de « La Vallée des larmes », son deuxième long métrage après « De ma fenêtre, sans maison… », sorti en 2006, Maryanne Zéhil, réalisatrice, scénariste et productrice, nous a entretenue de ses deux principales préoccupations, soit l’émancipation des femmes et son devoir de mémoire pour rendre justice aux victimes des camps de réfugiés palestiniens tuées par les phalangistes chrétiens de l’armée libanaise lors du massacre de Sabra et Chatila en 1982.
D’origine libanaise chrétienne, Maryanne Zélil désire que son film serve également à rappeler à sa communauté, frappée d’amnésie face à ces événements tragiques, que les coupables n’ont pas été châtiés jusqu’à ce jour, ce qui laisse un sentiment amer de grave injustice chez les familles des victimes.
L’émancipation des femmes, un autre devoir tout aussi important, s’impose à Maryanne Zéhil, arrivée à Montréal en 1997. Fine observatrice de sa société d’accueil, elle voit la femme québécoise comme un modèle pour les femmes de son pays d’origine.
La Vallée des larmes débute à Montréal. Joseph, un Libanais, est employé par la maison d’édition À L’arme pour effectuer des travaux de peinture. Il semble ne pas faire attention à Marie Simard (la touchante Nathalie Coupal), l’éditrice responsable de la publication de témoignages de survivants de conflits internationaux.
Pourtant, tous les matins, un inconnu glisse sous la porte une enveloppe contenant des extraits d’un manuscrit que Marie trouve à son arrivée au bureau. On y raconte au compte-gouttes l’histoire d’Ali, un jeune réfugié palestinien, qui a vu son père et son frère assassinés dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila.
Divorcée, Marie vit seule. Elle s’enferme dans une solitude ouatée que seul l’alcool semble conforter. Mais le récit la remue. Sans tarder, elle accueille les confidences de Joseph, l’auteur de ces écrits. Une relation intense s’enclenche entre ces deux êtres que tout sépare jusqu’à ce que leur vie respective prenne une tournure inattendue.
Pour en comprendre les ressorts profonds, Marie retourne aux sources du drame. Dans un petit village libanais, la Québécoise apprend de la bouche de la mère de Joseph, les motivations qui ont guidé la mission vengeresse de son fils. L’honneur de la famille devait être racheté par un geste ultime. Profondément marquée, Marie voit émerger en elle un sentiment de compassion, engourdi depuis très longtemps.
Le film de Maryanne Zéhil montre à quel point la culture structure les comportements d’une communauté. Nous lui avons demandé s’il est possible qu’un jour les femmes se déchargent de ce lourd fardeau culturel d’imposer à leurs enfants la vengeance pour racheter l’honneur et la dignité de la famille.
« Dans ces sociétés, explique-t-elle, les femmes sont les gardiennes des traditions. On croit qu’elles sont des victimes, souvent battues par leur mari. Mais, j’ai vécu au Liban assez longtemps pour connaître ces sociétés de l’intérieur. J’y ai rencontré des jeunes femmes, fin vingtaine ou jeune trentaine, qui, malgré qu’elles aient étudié à l’étranger, adoptent le discours des hommes et croient à la continuité de la tradition », déplore- t-elle.
Son regard n’est nullement compatissant envers ces femmes qui, selon elle, sont responsables de leur sort. Victimes, non!
Installée au Québec depuis 1997, la cinéaste rappelle le sort réservé aux Québécoises d’il y a à peine cinquante ans. À l’époque, la société dictait à la femme la façon de se comporter. Elle n’avait d’autres choix que de rester à la maison et voir au bien-être de son mari et de ses enfants. « Pour les féministes de l’époque, il était inimaginable d’arriver à changer quoi que ce soit. Pourtant, aujourd’hui, nous croyons possible qu’une femme occupe les fonction de première ministre du Québec », dit-elle, les yeux brillants d’espoir.
La Libanaise d’origine constate qu’ici, ce sont les femmes elles-mêmes qui s’en sont sorties. « Ce ne sont pas les hommes qui leur ont offert leur liberté. Elles se sont battues pour leurs droits. J’attends donc, qu’à leur tour, les femmes moyen-orientales conquièrent leur liberté », conclut la battante.
Comment le film de Maryanne Zéhil est-il reçu par les membres de sa communauté? « Les modérés croient qu’il est important de parler de ces sujets du passé pour panser les blessures et, surtout, pour que l’histoire ne se répète pas. » Mais, reconnaît-elle, quelques intégristes, des chrétiens extrémistes, sans avoir vu le film, lui reprochent le choix de mettre en scène le massacre perpétré par des chrétiens plutôt que des crimes commis par des musulmans.
« Des tueries, il y en a eu dans les deux camps », convient madame Zéhil. Mais, s’empresse-t-elle d’ajouter, parler d’un massacre commis par des musulmans à l’encontre de chrétiens aurait eu pour effet d’attiser la haine. « J’ai donc choisi de parler de mon frère plutôt que de mon cousin. »
Son film modifiera-t-il les convictions des extrémistes? « Peut-être, dit-elle, arborant un large sourire. Lors de la première du film, il y avait, chez les spectateurs de ma communauté, des gens qui, je le sais, sont un peu ‘‘trop’’ chrétiens et pourtant, à la fin du film, ils sont venus me féliciter, passant outre l’aspect religieux. » Ont-ils compris le message?
En ce sens, la dernière scène du film est troublante. Contre toute attente, c’est chez Marie, l’éditrice, la femme de tête, d’une farouche indépendance, que fleuriront les roses blanches du pardon.
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