Les résultats électoraux du 4 septembre démontrent que le Parti québécois aurait pu faire élire 75 députés, plutôt que 54, si les suffrages obtenus par Québec solidaire et Option nationale lui avaient tous été accordés. Conclusion: c’est à cause de la division du vote souverainiste que le gouvernement péquiste minoritaire, qui entrera en fonction la semaine prochaine, se verra priver d’une confortable majorité parlementaire et évoluera sous l’influence de deux partis d’opposition ultra-conservateurs.
D’où les imprécations que certains lancent contre les tiers partis souverainistes qui empêchent le PQ de s’ancrer au pouvoir comme avait pu le faire le gouvernement Bouchard en 1998 même si le parti s’était alors classé deuxième dans les suffrages.
Ces intégristes de la souveraineté voudraient bien pouvoir se débarrasser de ces petites formations qu’ils considèrent apocryphes puisqu’elles bafouent leur orthodoxie.
Mais soyons sérieux. Comment remédier aux inconvénients électoraux de cette situation, assez importants pour causer la dislocation définitive du mouvement souverainiste? D’abord, il est illusoire de penser que QS et OP accepteront de se faire hara-kiri pour se joindre au Parti québécois comme le Ralliement pour l’indépendance nationale de Bourgault s’y était résolu en 1968.
Les différences idéologiques entre ces formations sont trop importantes, le néolibéralisme pratiqué par le PQ constituant la principale pierre d’achoppement
Deuxième possibilité: Que les partis concernés se partagent les circonscriptions. Mais cette solution est également impraticable compte tenu des difficultés inhérentes à une opération du genre.
La plupart des membres de QS et ON ne suivraient certes pas le mot d’ordre de voter pour des candidats péquistes dans les nombreuses circonscriptions qui seraient attribuées à ce dernier. Ces tiers partis menaceraient alors d’imploser pour renaître sous la forme de groupuscules radicaux.
On peut aussi douter qu’un mot d’ordre semblable serait suivi par les péquistes dans les quelques circonscriptions réservées à QS et ON.
En bref, le mouvement souverainiste sortirait plus divisé que jamais de cette aventure sans lendemain.
Le PQ doit faire le deuil de son hégémonie
Il faut d’abord réaliser que nous ne sommes pas en face d’une problématique causée par une situation conjoncturelle mais bien structurelle. Cette dernière ne peut donc se régler par des négociations sur une éventuelle alliance électorale.
Il faut envisager des solutions en profondeur qui obligeront le PQ à effectuer des changements de cap majeur sur des questions essentielles comme, en premier lieu, la réforme du mode de scrutin et, en deuxième lieu, le processus d’accession du Québec à la souveraineté.
Le PQ devra d’emblée renoncer à sa traditionnelle hégémonie sur le mouvement souverainiste. Il devra cesser de considérer ses alliés comme des adversaires. Il faut - comme ça s’est encore malheureusement produit le 4 septembre et risque de se reproduire la prochaine fois - qu’il cesse de se servir du vote stratégique pour contraindre moralement des milliers de souverainistes progressistes de l’appuyer formellement plutôt que de voter selon leurs convictions en faveur de partis comme QS et ON.
Ce climat politique malsain ne pourra se dissiper que si le mécanisme électoral qu’est le mode de scrutin permette à chaque parti de faire le plein de ses votes et fasse élire le nombre de députés en proportion.
Il faut aussi que le système cesse de déformer la volonté populaire qui s’est manifestée dans l’urne au profit du parti vainqueur et aux dépens de la plupart des formations d’opposition surtout des tiers partis.
Le 4 septembre, la surreprésentation du PQ et Parti libéral, d’une part, et la sous-représentation de la Coalition avenir Québec ainsi que de Québec solidaire et d’Option nationale, d’autre part, ont fourni une nouvelle illustration de ces résultats aberrants qui constituent pourtant la loi d’airain du scrutin majoritaire.
Or, seul un scrutin doté d’une composante proportionnelle significative peut régler ces problèmes fondamentaux qui nuisent considérablement au fonctionnement de nos institutions parlementaires qui seront davantage fragilisées sous la nouvelle législature suite à l’élection d’un gouvernement minoritaire.
Pendant la campagne électorale, on a pu constater que la nécessité et l’urgence de réformer le mode de scrutin a été un des enjeux les plus fréquemment abordés par les commentateurs et les citoyens autant dans les médias sociaux que traditionnels.
Il était saisissant de constater comment le fossé était profond avec les trois principaux partis qui ont complètement ignoré cet enjeu capital à cause d’un opportunisme électoral à courte vue.
Des péquistes, adeptes égarés de la réalpolitique, répliqueront que le PQ a fait élire plus de députés le 4 septembre, grâce au scrutin majoritaire, qu’une alliance souverainiste l’aurait fait avec un scrutin proportionnel.
En effet, mais ce dernier créerait des conditions qui ramèneraient aux urnes des milliers de souverainistes désabusés depuis longtemps et surtout créerait une dynamique insufflant au mouvement une énergie irrésistible semblable à celle des années 1970.
La réalpolitique bien comprise rappelle qu’un référendum est la forme la plus proportionnelle de consultation populaire et qu’il est illusoire d’espérer qu’une embellie conjoncturelle éventuelle permette de créer des conditions gagnantes, comme le rêvent les dirigeants péquistes depuis le référendum de 1995.
Au gouvernement Marois de jouer
En fait, le PQ propose de recommencer à zéro, en compagnie du directeur général des élections, un long et exigeant processus qui prendrait plusieurs années et qui serait une répétition des trois qui ont eu lieu depuis 1970 sous les gouvernements Bourassa, Lévesque et Charest.
Ces démarches se sont faites, chaque fois, à grands renforts de commissions parlementaires qui ont reçu des centaines et des centaines de mémoires; de commissions d’étude qui ont fait le tour du Québec pour consulter la population; de livres verts et même d’avant-projets de loi.
Tellement que le dossier de la réforme du mode de scrutin est certainement le mieux documenté de tous ceux relevant de l’administration provinciale; mais tout est tabletté, renvoyé aux calendes grecques.
Il est donc évident qu’après quatre décennies de piétinement et de volte-face des partis traditionnels, qui se sont pourtant prononcés à tour de rôle en faveur d’un scrutin proportionnel, le dossier n’est pas plus avancé parce que la volonté politique n’existe pas et que seul prime un opportunisme électoral à courte vue.
En fait, le PQ n’a plus de position sur la question cruciale de la réforme du mode de scrutin, Il a en effet biffé, à son congrès de 2111, son appui au scrutin proportionnel que son programme préconisait pourtant depuis 1969.
Ce dernier a, en quelque sorte, fait partie de l’ADN du PQ alors qu’il était sous la direction de son fondateur, René Lévesque qui a d’ailleurs dénoncé le scrutin majoritaire comme «démocratiquement infect».
Heureusement, il existe dans les filières gouvernementales un projet de scrutin presque prêt à être instauré. Ce document provient de l’avant-projet de loi présenté par le gouvernement Charest, en 1984, proposant l’instauration d’un système mixte compensatoire (majoritaire-proportionnel) inspiré des modèles allemand et écossais.
Le principe qui sous-tend ce système est excellent. Il prévoit l’élection de 60% des députés au scrutin majoritaire dans des circonscriptions comme maintenant tandis que 40% d’entre eux seraient élus à un scrutin de liste proportionnel sur la base des régions de façon à corriger les distorsions causées par le scrutin majoritaire.
Ce type de scrutin, bien adapté aux besoins de la société québécoise, a fait l’objet, au début de 2006, d’une commission parlementaire à laquelle quelque 2,000 intervenants ont participé, un record dans l’histoire parlementaire québécoise.
Plus de 80% des participants se sont prononcés en faveur du principe du scrutin proposé, mais de nombreuses critiques ont porté sur les modalités du projet.
Le ministre alors responsable du dossier, Benoît Pelletier, a annoncé qu’un projet de loi serait présenté à la fin de 2006 mais le dossier a soudainement disparu de l’écran des radars au cours de l’automne et il n’en a plus jamais été question par la suite. Il avait été enterré.
On a su plus tard que le gouvernement avait cédé, pour des raisons électorales, aux pressions exercées par un groupe d’élus municipaux ruraux.
Par ailleurs, le ministre Pelletier a demandé au directeur général des élections de se prononcer sur les modalités d’un mode de scrutin mixte compensatoire en tenant compte des modifications proposées lors de la commission parlementaire.
Le rapport de ce dernier, publié en décembre 2007, a fourni tous les éléments que devrait contenir un éventuel projet de loi. Il n’est besoin que de le dépoussiérer et de le traduire en langage juridique pour avoir un projet de loi.
C’est donc au tour du gouvernement Marois de jouer. La Coalition avenir Québec, qui n’a pas été traitée avec équité le 4 septembre, le seconderait peut-être d’autant plus qu’elle compte parmi ses élus plusieurs anciens députés adéquistes qui étaient d’accord avec un tel type de scrutin. Quant aux libéraux, ils seraient bien malvenus de rejeter une proposition présentée par leur gouvernement il y a quelques années.
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