Un budget pour les agences de crédit ou pour les citoyens?

2012/11/08 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

Le gouvernement Marois déposera, prématurément, le 20 novembre prochain, un budget devant l’Assemblée nationale. La démarche se justifie, nous dit-on, par l’ampleur du déficit budgétaire. L’ancien ministre Raymond Bachand avait parlé de 800 millions $. Le nouveau ministre, Nicolas Marceau, évalue plutôt le « trou » budgétaire à 1 milliards 600 millions $.

Le gouvernement affirme vouloir garder le cap sur l’équilibre des finances publiques pour 2013-2014. Un objectif hautement questionnable en cette période de ralentissement économique. Mais l’opposition fait de l’équilibre budgétaire un dogme.

Selon eux, il y a deux façons de combler le déficit et balancer le budget : augmenter les impôts ou procéder à des coupures.

L’opposition a fait son lit : elle menace de faire tomber le gouvernement, s’il y a des hausses d’impôt. Le patronat applaudit et les médias ont commencé à « travailler » l’opinion publique dans ce sens.

Dans ce bras de fer avec le gouvernement, l’opposition, le patronat et les médias ont un allié de taille : les agences de notation.  Déjà, on agite le spectre d’une diminution de la cote de crédit du Québec sur les marchés financiers, si le gouvernement n’adopte pas une politique de rigueur budgétaire.

Vous pensiez que l’Halloween était passé? Il n’en est rien. Nous aurons droit cette année à une prolongation jusqu’au 20 novembre, avec au programme les bons vieux films d’horreur sur la dette!


Qui sont ces agences de notation?

Les entreprises et les gouvernements font appel aux marchés financiers pour trouver les capitaux nécessaires à leurs opérations. Ils recourent aux agences de notation pour qu’elles déterminent leur santé financière. Les agences leur attribuent une cote, qui a une influence sur le taux d’intérêt de leurs emprunts.

Les deux principales agences sont Moody’s et Standard & Poor’s. Plus de 87 % des activités de notation financière à l’échelle mondiale passent entre leurs mains.

Elles sont loin d’agir en toute indépendance des milieux financiers. Moody’s est contrôlée par un fonds d’investissement dont le propriétaire est le multimilliardaire Warren Buffet. Standard & Poor’s appartient à la maison d’édition qui publie le journal Business Week.

Elles ne sont donc pas neutres. Elles agissent en chiens de garde des intérêts des milieux financiers internationaux et du patronat local.

Leur but est de mettre un gouvernement à genoux en menaçant d’abaisser sa cote de crédit s’il ne suit pas ses prescriptions : équilibre budgétaire, baisse d’impôts pour les mieux nantis, compressions budgétaires, privatisations des sociétés d’État pour renflouer le budget.

Une baisse de la cote de crédit du Québec de AAA à AA implique des taux d’intérêt plus élevés pour les emprunts et, par le fait même, une augmentation de la dette.

Les médias s’emparent alors de l’affaire et nos pseudoanalystes politiques et économiques font des pieds et des mains pour culpabiliser les baby-boomers sur « l’ampleur de la dette qu’ils lèguent aux générations suivantes ». Un vrai film d’épouvante ! De quoi faire reculer un gouvernement trop « frileux »!


Si on notait les agences de notation….


Pourtant,  l’histoire récente de ces agences de crédit nous indique qu’elle ne mérite même pas la cote Triple C. En 2001, Standard & Poor’s et Moody’s avaient donné la meilleure notre à la société Enron. Quatre jours plus tard, elle déclarait une faillite.

En 2008, la banque d’investissement multinationale Lehman Brothers était notée « A », la veille de son effondrement. Plusieurs autres institutions financières qui avaient acheté des papiers commerciaux à profusion et qui ont précipité le monde dans une des plus importantes crises financières de l’histoire étaient aussi cotées favorablement! 

En résumé, un gouvernement qui prône des baisses d’impôt et de taxes, le désengagement de l’État, la privatisation, la sous-traitance et qui se donne comme principal objectif économique la réduction de sa dette recevra une cote de AAA +++.

Mais, dans le cas d’un gouvernement qui, au contraire, veut que les mieux nantis et les entreprises paient leur juste part d’impôt, qui désire le maintien et même l’amélioration du filet social, avec une fonction publique forte et efficace, et qui comprend que la réduction de la dette résulte d'une économie en santé et non pas de coupures à l’aveugle dans les dépenses, c’est la décote assurée.

Laisser croire que des compressions dans les dépenses publiques sont sans conséquence pour les citoyens du Québec relève de la pensée magique. C’est comme croire que réduire les dépenses d’entretien de notre maison ou de notre automobile sera sans conséquence.

Nous savons tous que, tôt ou tard, nous devrons assumer la facture et qu’elle risque d’être plus salée que si nous avions effectué l’entretien normal de nos biens.

Laisser croire que l’État peut garnir ses coffres en remplaçant les recettes des impôts par celles de la privatisation des biens et des services publics relève également de la pensée magique. 

C’est tenter de nous faire croire que se départir de sociétés comme Hydro-Québec ou la SAQ, en  échange de millions de dollars vite faits, serait bénéfique. C’est comme vendre sa maison pour rembourser son hypothèque et se retrouver à loyer!

Tenter de nous faire croire que nous serions plus riches si l’État réalisait des économies en privatisant des services comme la santé, l’éducation ou l’entretien de nos routes, c’est oublier que ces services essentiels ne deviendraient pas gratuits pour autant.

Ils seraient même plus chers si on calcule l’abandon de l’économie d’échelle des frais d’administration de la fonction publique et la nécessité pour le privé de dégager des profits.


Un budget pour les citoyens


Les finances publiques ne se gèrent pas « à la petite semaine », au gré des dictats des agences de crédit.

Elles exigent une vision à court, moyen et long terme. Elles déterminent le mieux-être des générations actuelles et futures.

Si les partis de l’opposition ont un tant soit peu de considérations pour la population du Québec, ils vont faire pression sur le gouvernement Marois pour s’assurer que le prochain budget soit dans l’intérêt des Québécoises et des Québécois.

Si, au contraire, ils s’acoquinent avec les agences de notation et  les intérêts qu’elles représentent pour nous présenter un « remake » des films d’horreur de série « B » sur la dette, nous devrons montrer, nous, les travailleurs et leurs représentants, que nous ne sommes pas dupes de leurs manœuvres.

Nous voulons un budget élaboré en fonction de nos intérêts, de notre bien-être.

Une façon toute simple d’y contribuer serait de faire parvenir un courriel ou une lettre à notre député ou encore, pour ceux qui ont la plume facile, d’envoyer une lettre d’opinion au journal local.

Nous pourrions exprimer notre déception et notre insatisfaction devant le recul du gouvernement sur la taxe santé et informer le gouvernement et l’opposition que plier devant le patronat, les médias et les agences de notation serait, à nos yeux, inacceptable.

À Madame Marois, nous tenons à rappeler qu’elle a été élue Première ministre, chef d’État, avec comme seul mandat les intérêts supérieurs des citoyennes et des citoyens du Québec.

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