Greenwar

2013/01/08 | Par Henri Jacob et Richard Desjardins

Henri Jacob est président de l’Action Boréale
Richard Desjardins est vice-président de l’Action Boréale

(Rouyn-Noranda - Le 4 janvier 2013) - En Abitibi-Témiscamingue, nous de l’Action boréale, forte de ses deux mille membres, travaillons bénévolement depuis douze ans à insuffler un peu d’intelligence dans la gestion de notre ressource forestière et à préserver un peu des 14% de forêts naturelles restantes au sud du 49e parallèle (Chibougamau).  Nous sommes aujourd’hui excédés par les embûches que nous rencontrons.

Voyons voir. Les industries forestières et minières se font accorder par le ministère des Ressources naturelles (MRN) à peu près tout ce qu’elles désirent sans égard à l’engagement de notre gouvernement de protéger à hauteur de 12% chacune des treize provinces naturelles qu’abrite le Québec. C’était ça le plan, il y a douze ans. Bien avant le Plan Nord. (On a même signé pour 17% en 2010 à la Conférence de Nagoya, au Japon.)

L’Action boréale s’est donc mise à la tâche en 2000. Même pas 1% du territoire de l’Abitibi-Témiscamingue était protégé à l’époque. Nous en sommes aujourd’hui à 7,4%, essentiellement de petites forêts situées pas trop loin des villes de la région. C’est bien. Mais depuis cinq ans, on n’avance plus. Parce que, d’une part, le ministère de l’Environnement (MDDEFP) avec lequel nous collaborons depuis le début n’a plus les moyens de travailler convenablement à cause de son famélique 0.3% du budget public.  Aussi et surtout parce que son ministère frère, celui des Ressources naturelles (MRN), sabote systématiquement ses efforts. Or c’est le MRN qui est le boss.

Pour créer une aire protégée, le ministère de l’Environnement recueille des propositions émanant du public, en propose lui-même, les analyse pour en valider la pertinence, puis achemine ces territoires candidats au ministère des Ressources naturelles qui à son tour soumet les recommandations aux compagnies minières et forestières. À l’Hydro aussi. À ce stade crucial, les compagnies exercent en réalité un droit de veto sur les  projets : là, de belles patches de forêt pas trop loin de l’usine, là, une possibilité minière, là, un éventuel barrage ou un détournement de rivière.

En fait, l’appétit corporatif, à lui seul, dicte la marche à suivre. De sorte qu’on se retrouve à la fin avec des écosystèmes tronqués, des réserves de biodiversité tout simplement ignorées ou ratatinées comme peau de chagrin, sans connectivité entre elles et pour la plupart saccagées en grande partie par une coupe à blanc. Bref des projets de protection évidés du sens pour lequel ils avaient été initialement retenus.

C’est ainsi qu’à Dubuisson, en raison de diktats miniers, les grands marais de la rivière Piché - où nidifient au moins 125 espèces d’oiseaux - ont été exclus de la future réserve de biodiversité Piché-Lemoine. L’amputant ainsi de 75% de sa biodiversité!

C’est ainsi qu’au sud de Val d’Or, un troupeau relique de caribous-des-bois est menacé depuis 25 ans, tout le monde le sait. Il aurait simplement suffi de lui garantir le havre d’une petite forêt tranquille. Or, à force d’accorder les yeux fermés des droits de coupe dans son habitat vital, de permettre la circulation des motoneiges et autres bébelles motorisées, ce troupeau qui comptait en 1984 une cinquantaine de têtes se retrouve aujourd’hui avec moins d’une douzaine d’individus dont aucune femelle gravide. Il va s’éteindre sous nos yeux ouverts.

Pour célébrer ce génocide animal, l’Action boréale, sous la supervision du ministère des Ressources naturelles, a l’intention d’organiser l’automne prochain un safari auquel pourront se joindre tous les chasseurs VTT d’Amérique du Nord. Le méchoui sera offert aux invités de marque du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue.

La logique ou simplement la sincérité politique commandaient de procéder à l’inverse de ce qui a prévalu. D’abord protéger 12% des sections d’écosystèmes les plus méritoires, ensuite négocier avec les compagnies privées les richesses se trouvant sur le reste du territoire. C’est à dire sur 88%. Quand même pas si mal! Non?

En passant, si vous saviez combien il faut d’années et d’haletants efforts au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour statuer sur un petit bout d’aire à protéger alors que pour accorder le feu vert à une nouvelle mine, ça niaise donc pas. Quelques mois suffisent. En ce qui concerne l’octroi d’énormes territoires forestiers, n’en parlons pas, il n’y a même pas d’audiences.

Pendant ce précieux temps, les forestières rognent jusqu’aux limites des aires projetées encore sous étude et les titres miniers s’emparent du terrain excluant de facto toute autre utilisation du territoire.  Aujourd’hui, 40% de l’Abitibi et 15% du Témiscamingue sont devenus en fait des aires protégées minières. Dans le sud, où la population est plus dense, où les intérêts des compagnies sont plus vifs, on voit bien que les gouvernements, libéraux comme péquistes, ont plié devant l’industrie et n’entendent plus protéger 12% de chacune des provinces naturelles. Alors?

Alors, on va fourrer le peuple. On dénaturera le sens de ce projet collectif. On profitera de la tonitruante annonce du méga Plan Nord pour rajouter quelques mois plus tard que 50% de ce nord sera éventuellement protégé, faisant des Québécois, et d’un coup sec, les champions du monde de la protection de l’environnement. La proclamation produira d’autant plus d’effet qu’elle sera applaudie par de célèbres groupes environnementaux comme Greenpeace, la Fondation Suzuki ou la Canadian Boreal Initiative, tous depuis longtemps ardents promoteurs de ce concept vide mais spectaculaire.

Ne nous attardons pas plus longtemps sur cette renversante stupidité, même une bombe atomique ne pourrait détruire la moitié de ce si grand territoire qu’est le nôtre. Le véritable but de cette manœuvre est en fait de cacher à l’opinion publique l’échec gouvernemental de protéger 12% de chacune de nos provinces naturelles. (Et pour les lobbyistes verts, l’occasion d’engranger des dons substantiels de la part de leurs donateurs américains et européens).

Ainsi, quand l’ex professeur à l’École du Show-business, Yves-François Blanchet, notre tout frais ministre de l’Environnement nommé le 4 décembre, annonce dix jours plus tard la création du parc Tursujuk dans la haute toundra, il plastronnera : « Ce qui nous permet d’atteindre le cap des 9% d’aires protégées sur l’ensemble du territoire du Québec ».

Hé hop! L’escroquerie intellectuelle fonctionne et fuck la protection méridionale. Ce qu’il apprend vite ce petit nouveau! Excellent casting pour l’Erreur boréale, la suite. Espérons qu’il réussira à faire augmenter le budget de son ministère avec autant de facilité et d’élégance…  ne serait-ce qu'à hauteur de 9% du budget total du Québec.

Pendant ce temps, dans le sud, les forestières achèvent d’abattre les dernières patches ligneuses signifiantes, les mines continuent de paralyser la protection d’écosystèmes importants, les dernières zones humides de la vallée du Saint-Laurent sont garnotées - on  chie encore dedans dans le bas du fleuve - les ultimes terres en bois debout de la Rive-Sud vendues et bûchées et les hirondelles… disparues. Comme les simples grenouilles. Signes précurseurs d’une chaîne écologique qui s’effondre.

Nous l’annonçons aujourd’hui, l’Action boréale, qui jusqu’ici a toujours suivi à la lettre les processus de revendication établis, va maintenant passer de mode greenpeace à mode greenwar. Les forestières vont s’écarter des limites d’aires protégées actuellement sous étude et les minières doivent s’attendre à voir leurs « claims » résiliés là où des valeurs plus importantes que l’or prévalent. En commençant par les sources municipales d’eau potable, par exemple!