D’après nos informations, Dominic Champagne travaillerait à la création d’une grande coalition environnementaliste ayant pour objectif de rassembler les citoyens du Québec autour du contrôle démocratique des ressources naturelles.
Des rencontres ont eu lieu avec des représentants de groupes environnementalistes comme Greenpeace, l’AQLPA, l’Action Boréale et plusieurs autres pour préparer la mise sur pied d’une organisation dont le titre provisoire est le Mouvement pour le Contrôle démocratique des ressources naturelles.
Auteur, metteur en scène, entre autres au Cirque du Soleil, Dominic Champagne a été très actif dans la campagne contre l’exploitation du gaz de schiste et a été l’initiateur de la marche du Jour de la Terre du 22 avril 2012 qui a rassemblé plus de 200 000 personnes dans les rues de Montréal.
À cette occasion, il a démontré des talents de rassembleur et d’organisateur hors-pair. Aussi, faut-il prendre très au sérieux sa nouvelle initiative en faveur de l’environnement. D’autant plus que la question des ressources naturelles est d’une actualité brûlante où d’énormes intérêts sont en jeu.
Pensons à l’exploitation du pétrole en Gaspésie, à Anticosti et à Old Harry, à l’exploitation du gaz de schiste, aux projets des pétrolières de l’Alberta d’inverser les oléoducs existants pour alimenter avec le pétrole des sables bitumineux les marchés de l’Est du Canada et rejoindre par l’est les lucratifs marchés asiatiques. Pensons également aux débats sur les redevances minières, sur l’exploitation de l’uranium.
Des questions extrêmement sensibles où s’affrontent de puissants intérêts économiques et des groupes environnementalistes. Des questions au cœur des revendications du mouvement autochtone Idle No More.
Des questions cruciales pour le gouvernement Marois dont les importants engagements environnementaux inscrits dans son programme électoral l’amèneront inévitablement, s’ils sont respectés, en collision frontale avec les industries pétrolières et minières. Des questions où de puissants intérêts n’hésiteront pas à tout mettre en œuvre pour déstabiliser le gouvernement, comme nous l’avons vu dans l’affaire du ministre Daniel Breton.
Aujourd’hui, vu le dynamisme des groupes environnementaux et le haut degré de conscientisation de la population – comme en a témoigné la manifestation du Jour de la Terre – la question environnementale se retrouve en tête de liste des défis auxquels doit faire face le gouvernement. Elle est aussi importante aujourd’hui que l’était la question linguistique dans les années 1970.
Aussi le projet de Dominic Champagne mérite toute notre attention. Son mouvement pourrait constituer un soutien extrêmement important au gouvernement dans son rapport de force face à l’industrie, tout comme il pourrait être manipulé par des forces qui ont intérêt à déstabiliser le gouvernement souverainiste. Bien entendu, une partie de l’équation réside dans la teneur des politiques que proposera le gouvernement.
Le projet politique sous-jacent de Dominic Champagne
Quels sont les objectifs de Dominic Champagne? Quel est son programme politique? Nous pouvons heureusement en retrouver les grandes lignes dans « Le gouvernement invisible » (Éditions Tête Première), un petit livre qu’il a fait paraître tout juste avant la dernière campagne électorale.
À partir d’une citation de Theodore Roosevelt qui proposait d’« anéantir ce gouvernement invisible » qui siège derrière le gouvernement visible, Champagne développe sa pensée dans les quelque 80 pages de ce texte aux allures de manifeste.
Avec beaucoup de souffle, il reprend de façon magistrale les principaux thèmes de la critique du discours néolibéral, mais en portant une attention toute particulière à la question des ressources naturelles. Cela n’est pas étonnant. Dominic Champagne reconnaît lui-même que son militantisme politique date de son implication dans la lutte contre l’exploitation du gaz de schiste.
Au-delà de son indéniable importance pour l’avenir de la planète, le choix du thème des ressources naturelles par Champagne est aussi un choix politique, motivé par des considérations stratégiques.
Bien que se proclamant indépendantiste, Champagne veut mobiliser la population en évitant le débat souveraineté/fédéralisme. Les ressources naturelles étant, selon lui, « un champ de compétence où le Québec est déjà souverain », cet « élément mobilisateur peut être exercé sans débat sur l’unité canadienne ».
Champagne voit dans le contrôle des ressources naturelles « le premier geste de souveraineté politique, économique et écologique, que l’on doit poser ». Pour lui, c’est « un élément tangible et rassembleur auquel objectivement tous les citoyens du Québec peuvent s’identifier : le droit du peuple à disposer lui-même de ses ressources naturelles ».
Champagne est représentatif de tout un courant politique lorsqu’il affirme : « Or, s’il se limite à une lutte constitutionnelle, à un débat sur la langue et le partage des pouvoirs, le combat pour la souveraineté ne mobilisera pas à court terme, nous le savons. Il importe donc de libérer la quête de l’indépendance de l’entonnoir ethnique où il se trouve confiné, qui souvent étouffe plus qu’il n’inspire, qui divise plutôt que de rassembler, qui enrage, déprime ou désespère plus qu’il ne fait rêver. »
Présenter le projet indépendantiste comme quelque chose qui « divise plutôt que de rassembler », c’est dire comment le discours de nos adversaires a pénétré dans l’inconscient collectif de cette fraction du mouvement souverainiste.
De façon tout à fait paradoxale, Champagne opère sa propre réduction. Rétrécir la lutte et la mobilisation à ce qu’on croit – à tort – pouvoir être obtenu dans un cadre strictement provincial est présenté comme un élargissement de la lutte pour l’indépendance !
Nous sommes devant un nouvel étapisme que plusieurs environnementalistes expriment souvent dans la séquence suivante : d’abord l’indépendance énergétique, suivi de l’indépendance économique et, finalement, de l’indépendance politique.
Il y a un enfermement malsain dans un repli provincial dans cette approche. Bien que le Québec détienne les pouvoirs constitutionnels sur les richesses naturelles, il n’est pas le seul joueur sur la patinoire. Nous en aurons un bon exemple dans le débat sur l’inversion des oléoducs Sarnia-Montréal et Montréal-Portland afin d’y faire transiter le pétrole des sables bitumineux. Le fédéral prétend que le transport interprovincial est de sa juridiction.
Dans le secteur de l’hydro-électricité, le fédéral vient d’apporter son soutien financier, sous forme de garantie de prêt, au projet de Terre-Neuve d’acheminer par câble sous-marin vers la Nouvelle-Écosse et les marchés américains l’électricité produite au Labrador. Cela aura pour effet d’affaiblir la position concurrentielle d’Hydro-Québec sur les marchés américains, ce qui affectera les revenus de la société d’État et, par le fait même, de l’État québécois.
À même les 50 milliards d’impôts que nous envoyons annuellement à Ottawa, le gouvernement fédéral subventionne généreusement l’exploitation des sables bitumineux, ce qui a pour conséquence de faire baisser le prix du pétrole, de rendre l’électricité et les autres énergies propres moins compétitives et, donc, de ralentir la conversion de l’économie aux énergies vertes.
De plus, l’exportation du pétrole des sables bitumineux est la cause principale de la hausse du dollar canadien, ce qui rend moins compétitives nos autres richesses naturelles sur les marchés mondiaux.
Toujours à même nos 50 milliards $ annuels versés au Trésor fédéral, Ottawa a soutenu à hauteur de 10 milliards de dollars l’industrie automobile de l’Ontario. Pendant ce temps, l’industrie forestière québécoise, qui périclite, ne s’est vu offrir que des miettes. Pourtant, sa modernisation, à l’exemple de celle de la Finlande, pourrait être une source d’enrichissement collectif extraordinaire.
Nous pourrions multiplier les exemples. Agir comme si le Québec était déjà indépendant, faire abstraction de notre statut provincial à l’intérieur du Canada, c’est faire preuve d’un rétrécissement intellectuel impardonnable.
Le vieux rêve de transcender les divisions nationales…
À l’origine de cette approche, on retrouve, comme toujours, la volonté d’unir francophones et anglophones dans une seule et même grande lutte.
Champagne écrit : « Après les combats nationaux enflammés des dernières générations qui ont permis l’établissement d’une meilleure justice sociale entre francophones et anglophones, la question de la souveraineté me semble maintenant occulter une réalité extrêmement importante pour l’avenir du Québec et plus particulièrement de Montréal : beaucoup de citoyens des deux langues partagent un même souci politique social-démocrate sans trouver chez les partis progressistes – qui sont tous souverainistes –, une voie qui convienne à leurs convictions. »
Rappelons que ce texte a été écrit avant les dernières élections où on a vu les électeurs anglophones, non pas s’abstenir parce qu’ils ne trouvaient pas « une voie qui convienne à leurs convictions », mais voter massivement pour un Parti libéral identifié à la corruption, voter en bloc pour un parti politique associé dans l’opinion publique à la mafia dans l’espoir d’empêcher l’accession au pouvoir d’un gouvernement souverainiste! On a déjà vu « un souci social-démocrate » mieux exprimé!
Est-ce donc à dire que les indépendantistes devraient remiser leur projet d’indépendance nationale afin de permettre aux « citoyens des deux langues » qui « partagent un même souci politique social-démocrate » de trouver « une voie qui convienne à leurs convictions » ?
… et les divisions de classe
Dominic Champagne se veut rassembleur. Il se veut au-delà des divisions souveraineté/fédéralisme, gauche/droite, au-delà des partis politiques. Très habilement, il a laissé planer, lors de la dernière campagne électorale, son intention de se présenter comme « libéral indépendant ».
Bien entendu, comme il l’écrit dans « Le gouvernement invisible », il était « profondément opposé aux Libéraux de Jean Charest » et se réclamait plutôt de l’héritage libéral de la Révolution tranquille. Mais la manœuvre avait surtout pour objectif de se dissocier du Parti Québécois, de Québec solidaire et d’Option nationale, de se placer au-dessus des partis, pour la suite des choses.
Dans « Le gouvernement invisible », Champagne tient surtout, malgré un discours bien planté à gauche, à s’élever au-dessus de la dichotomie droite/gauche. Pour asseoir sa crédibilité à cet égard, il fait jouer ses antécédents familiaux.
« Je suis le petit-fils d’un soudeur », mais « je suis aussi le petit-fils d’un juge », raconte-t-il. « Je viens de quelque part entre le monde ouvrier et celui de la bourgeoisie », fait-il valoir pour expliquer qu’il tente de se « tenir en équilibre entre ces deux traditions d’où je viens ».
Évidemment, ces références sont évoquées pour appuyer sa volonté de concilier la droite et la gauche. Il présente les choses ainsi : « Du côté droit, les libres entrepreneurs, descendants des coureurs des bois, aventuriers, visionnaires, audacieux, chasseurs, intrépides marchands, habités par l’idée de l’aventure profitable (…). Du côté gauche, les défenseurs du bien commun, génies de la lampe, gardiens des phares de l’humanité. »
Ce portrait idyllique des relations harmonieuses entre les classes, on le retrouve dans la série de trois articles publiés dans Le Devoir, au début janvier 2013, et signés avec des co-auteurs au retour de ce qui est présenté comme « une mission d’exploration du modèle suédois ».
Nous ne pouvons pas ici faire une critique détaillée de ces articles chapeautés par le titre « La Suède et le Québec qu’elle nous inspire ». On y présente plusieurs des caractéristiques connus de la social-démocratie suédoise. Mais l’essentiel du message est contenu dans la phrase suivante : « La Suède se distingue en deux points : contrairement à d’autres pays, elle n’a pas rejeté le vocabulaire social-démocrate. (…) La Suède cherche des nouveaux moyens d’atteindre l’égalité ».
Ces « nouveaux moyens » se résument, si on se fie aux exemples mentionnés par Champagne et ses co-auteurs, par l’introduction de plus de privé. « Des réformes comme celle sur les régimes de retraite, évoqué récemment par l’Institut économique de Montréal, ont été mises en place ». « La Suède ne craint pas la concurrence du privé et remet en question les monopoles étatiques. C’est ainsi que la Suède a introduit le privé dans le secteur de l’hydro-électricité ». « Le système de transport collectif de Stockholm a été entièrement privatisé ». « La Suède expérimente présentement diverses manières d’introduire le privé en santé. Ils ont également introduit un ticket modérateur depuis plusieurs années. »
Nous connaissons bien ce discours, qui conserve le « vocabulaire social-démocrate » pour faire passer les propositions de la droite. C’est celui de la « gauche efficace » développé, entre autres au Québec, par Jean-François Lisée et dont nous avons fait la critique dans notre livre « Pour une gauche à gauche ».
Au-delà des « libres entrepreneurs »
Dans la lutte pour le contrôle démocratique des ressources naturelles, tout comme dans celle plus large pour la libération nationale, une alliance de classes est possible et nécessaire. Cette lutte repose avant tout sur les classes populaires, et elle englobe tous les « défenseurs du bien commun, génies de la lampe, gardiens du bien commun ». Peuvent également s’y joindre les « libres entrepreneurs, descendants des coureurs des bois ».
Cependant, à l’heure de la mondialisation, le libre-marché des « libres entrepreneurs » n’occupe qu’une portion congrue de la scène économique. La mondialisation, c’est la domination du capital financier et des grands conglomérats, de ce « gouvernement invisible », dont Champagne parle dans son livre. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des ressources naturelles.
Ces puissants intérêts, implantés aux quatre coins de la planète, ont démontré tout leur savoir-faire dans les opérations de déstabilisation des gouvernements hostiles à leurs intérêts. Prenons simplement l’exemple de la Bolivie d’Evo Morales, dont Champagne nous dit qu’il « devrait nous servir de modèle ».
Dans un article publié sur le site de l’aut’journal, André Maltais, notre collaborateur pour l’Amérique latine, rapporte les propos du vice-président bolivien, Alvaro Garcia qui explique dans un livre comment la gauche environnementale latino-américaine s’est laissée convaincre par les ONG étrangères d’empêcher les gouvernements de gauche de la région d’exploiter les ressources naturelles de leurs propres territoires nationaux.
Cette gauche environnementale reproche aux gouvernements de gauche d’exploiter les ressources naturelles au lieu de les préserver, de maintenir les pays qu’ils gouvernent dans la dépendance envers l’exportation des matières premières.
En fait, réplique Alvaro Garcia, c’est le contraire qui est vrai. Empêcher des pays d’exploiter leurs ressources naturelles, c’est les maintenir dans la dépendance.
Rendons justice à Dominic Champagne. Il ne s’oppose pas, en principe, à l’exploitation des ressources naturelles, ni même à l’exploitation du pétrole. Mais nous savons que le mouvement environnemental est traversé par toutes sortes de courants, dont certains épousent les thèses auxquelles fait référence le vice-président bolivien.
Un mouvement utile
Quelques précisions pour conclure. Les critiques précédentes ne sont pas une condamnation du projet de Dominic Champagne. Au contraire, nous appuyons sa création. Nous pensons qu’un tel mouvement pour le contrôle démocratique de nos ressources naturelles pourrait être un puissant instrument populaire d’appui et de contrôle du gouvernement Marois dans la perspective du respect de ses engagements électoraux, tout en tenant compte, évidemment, de son statut de gouvernement minoritaire.
Ce mouvement pourrait et devrait constituer une base solide pour l’avancement de notre projet de libération nationale dans le cadre de notre indépendance nationale.
Une dernière remarque, cependant. À plusieurs reprises, Dominic Champagne fait référence à son métier de metteur en scène où il a appris « la nécessité de concilier les contraires pour faire naître l’harmonie » et il en tire la conclusion suivante : « Il me semble que la leçon pourrait s’appliquer au monde politique, qui me semble parfois pas très loin du théâtre ».
Dominic Champagne devrait se rappeler cette vieille maxime : « There is no business like show business ». Malgré les apparences, le show business et la politique, ce sont deux choses fort différentes.
(NDLR) Mise au point de l'Action Boréale
Après la publication de notre texte, l'Action Boréale a publié la mise au point suivante:
L'Action Boréale Attention: les groupes environnementaliste n'ont pas été invités. Les personnes qui étaient présentes à la dernière rencontre y étaient à titre individuelle et ne représentaient pas leur groupe. Ainsi L'Action Boréale n'est pas impliquée dans l'initiative de M. Champagne.
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