L’auteur est avocat, L.L.M.
Les chefs amérindiens, dans le cadre du mouvement de contestation appelé Idle No More, tiennent à négocier en présence du gouverneur général du Canada et ne veulent pas se satisfaire de la participation du premier ministre du Canada.
Cette position est déroutante pour la plupart des citoyens canadiens qui ont appris que les représentants de la Couronne, à commencer par les membres de la famille royale au Royaume-Uni jusqu’au gouverneur général à Ottawa et aux lieutenant-gouverneurs qui représentent la Reine dans chaque province, ne jouent plus aucun rôle politique depuis belle lurette.
Pour comprendre la perspective autochtone sur cette question, il faut se reporter au contexte de la négociation des traités aux 18e et 19e siècles.
Ces traités dits historiques portaient essentiellement sur la terre et les ressources naturelles. Ils couvraient surtout l’Ontario et le vaste territoire où se situent aujourd’hui les provinces des Prairies.
Ils donnaient accès à des terres immenses et à leurs ressources en échange d’avantages souvent considérés aujourd’hui comme étant dérisoires. Il n’est pas inutile de rappeler que le mouvement Idle No More a pris naissance dans ces régions.
Pendant plusieurs décennies après la Conquête, ces traités étaient négociés par des représentants du gouvernement britannique et non par des fonctionnaires locaux. Le maintien de bonnes relations avec les peuples amérindiens était alors considéré d’une importance stratégique. Ces négociateurs disaient représenter leur Grande Mère au-delà de l’océan, qui a été pendant une très longue période la reine Victoria.
Les Amérindiens, qui prenaient alors l’une des décisions les plus importantes de leur histoire, celle de la coexistence permanente et du partage de leur territoire millénaire, accordaient une importance prééminente à leur protocole diplomatique auquel Champlain et les gouverneurs de la Nouvelle-France s’étaient pliés. Pour eux, un traité était l’adoption mutuelle de deux peuples.
C’était aussi une reconnaissance de leur souveraineté, de leur identité et de leurs droits sur leur territoire traditionnel. En fait, ces traités ont souvent donné lieu à un immense malentendu : ce qui était pour les non-autochtones une cession définitive de ces droits était un aménagement respectueux d’une coexistence équilibrée pour les Autochtones.
Ce n’est que graduellement que ceux-ci ont compris qu’avec leur perte d’influence s’affaiblissait leur vision des traités. Plusieurs entretiennent malgré tout toujours l’idée que leur consentement, tel qu’exprimé dans ces traités, a donné naissance au Canada.
Comme ils ne savaient ni lire ni écrire à l’époque, et qu’ils ne disposaient pas de conseillers juridiques contrairement à ceux avec lesquels ils négociaient, ils ont attaché une grande importance symbolique à leur relation avec la Couronne, qu’ils ont maintenu vivante au moyen de la tradition orale.
Celle-ci rappelle à chaque nouvelle génération jusqu’à nos jours que leurs peuples sont les gardiens immémoriaux du territoire canadien, que les non-autochtones sont de nouveaux arrivants et que chaque partie aux traités doit en respecter l’esprit et l’intention davantage que la lettre.
Certains peuples qui n’ont pas conclu de traités expriment la même idée autrement par des symboles tels que le wampum à deux voies pour les Mohawks.
Pour les Autochtones, la Couronne est toujours le niveau le plus élevé de l’État canadien, en fait et en droit. Plusieurs de leurs sympathisants non-autochtones partagent cette conviction. Ils croient que la Reine et ses représentants gouvernent, ou du moins peuvent s’imposer à leurs ministres dans les grandes circonstances.
Il est vrai qu’au Canada anglais les juristes font toujours référence plus souvent qu’au Québec à la Couronne, particulièrement en ce qui a trait aux interventions les plus solennelles ou lourdes de conséquences de l’État.
Au Québec même, on appelait dans un passé récent les terres publiques où vivent les Autochtones les terres de la Couronne.
La Couronne englobe aussi l’ensemble de l’État canadien, au-delà du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Dans leur rencontre du 11 janvier 2013 avec le premier ministre Harper, les chefs amérindiens ont demandé la mise en place d’une formule pancanadienne de partage des revenus découlant de l’exploitation des ressources naturelles. Le premier ministre les a renvoyés aux provinces, qui sont propriétaires des terres publiques.
Au fond, ce que les chefs visent, c’est la mise à jour des termes de leur relation avec le Canada. Il est tout naturel pour eux que cette nouvelle entente, qui pourrait prendre un jour la forme d’un traité global, soit conclue avec la puissance symbolique qui a, selon leur vision, conclu une alliance avec eux qui a permis la création du Canada. C’est une illustration du pluralisme politique et juridique qui caractérise ce pays depuis les premiers contacts entre les Amérindiens et les Européens.
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