L’auteur est directeur québécois des TCA
Ce matin, j’apprends que des fonctionnaires de l’assurance-emploi ont maintenant pour mandat de se présenter à l’improviste chez les chômeurs pour leur remettre une lettre de convocation à un rendez-vous! Comme si la poste et le téléphone n’existaient pas!
Est-ce qu’on est à la veille d’envoyer l’Unité permanente anticorruption (UPAC) chez les chômeurs? Va-t-on bientôt perquisitionner chez les familles de chômeurs? Va-t-on revenir à l’époque où les agents d’aide sociale se rendaient chez les mères monoparentales et fouillaient dans les tiroirs à la recherche de vêtements d’hommes?
Je sais qu’il y en a qui vont dire que j’exagère. C’est vrai ! Mais combien pensaient hier que Harper se rendrait jusque-là avec sa réforme de l’assurance-emploi?
Plus que des emplois saisonniers
Quand je regarde les effets de la réforme de l’assurance-emploi du gouvernement Harper, je constate qu’elle agit comme un révélateur de notre société, qu’elle fait apparaître des phénomènes qui restaient dans l’ombre.
Par exemple, on connaissait le phénomène des emplois saisonniers traditionnels dans des secteurs comme les pêches, le tourisme, mais la réforme de l’assurance-emploi nous révèle un portrait d’ensemble beaucoup plus vaste d’emplois à statut précaire ou à temps partiel de toutes ces travailleuses et de tous ces travailleurs qui comptent sur l’assurance-emploi pour s'acquitter de leurs obligations familiales à la fin du mois.
Au cours des dernières semaines, on a vu intervenir sur la place publique pour protester contre la réforme, bien évidemment les travailleurs de la construction, mais également les techniciens de la télévision et du cinéma; dans le monde de l’enseignement, les enseignants à forfait, les brigadiers et les conducteurs d’autobus scolaires; et plein d’autres travailleurs de métiers aussi méconnus que les pilotes de brousse chargés d’éteindre les feux de forêt!
Et je suis sûr que ma liste de groupes de travailleurs touchés va s’allonger en voyant les pancartes de celles et ceux qui vont manifester samedi prochain sur la colline parlementaire à Ottawa et dans d’autres villes du Québec et du Canada.
Condamnés à mentir ou à crever !
La réforme est aussi révélatrice du mépris du gouvernement Harper pour le monde ouvrier. Mardi soir, je regardais à Radio-Canada le reportage de l’émission La Facture sur ces travailleurs de l’amiante qui avaient été encouragés à prendre leur retraite plus tôt pour faire de la place aux jeunes, avec la promesse de toucher de l’assurance-emploi pendant la courte période entre leur emploi et la retraite.
Maintenant, une telle pratique n’est plus possible. Les agents de l’assurance-emploi les harcèlent. Un d’entre eux s’est fait couper ses prestations parce qu’il refusait un emploi de nuit d’aide-gérant, au salaire minimum, dans un Poulet frit Kentucky!
Un autre s’est fait conseiller par un fonctionnaire de l’assurance-emploi de tout simplement « faire semblant » de respecter les consignes de recherche d’emplois.
En fait, les nouvelles directives invitent carrément à mentir. Il est dit clairement qu’on peut couper vos prestations simplement par « négligence de profiter d’une occasion d’emploi ».
Dans le Guide de la détermination de l’admissibilité sur le site Internet de Service Canada, il est clairement indiqué que « même si c’est par souci d’honnêteté qu’une personne décide de révéler ses futures intentions, il n’en demeure pas moins qu’il y a refus d’emploi. »
Dans les directives adressées à ses employés, Service Canada précise qu’il y a refus d’emploi si un prestataire informe l’employeur « du fait qu’il n’est disponible que pour une courte période, soit à cause d’un départ éventuel de la région, d’une grossesse, d’un rappel éventuel à l’emploi précédent ou à une occupation qu’il préfère, soit en attendant de trouver mieux. »
Autrement dit, si on ne veut pas crever, mieux vaut mentir!
Une réforme sur fond de calculs électoraux
Harper est non seulement méprisant, il est également extrêmement cynique et machiavélique. Dans un article publié dans Le Devoir du 11 février dernier, la chroniqueuse Chantal Hébert a fait l’exercice de superposer une carte électorale du Canada sur celle des points chauds du travail saisonnier.
Le résultat est stupéfiant. À quelques rares exceptions près, les circonscriptions touchées par la réforme de l’assurance-emploi sont représentées par des députés libéraux ou du NPD!
Au Québec, les cinq sièges détenus par les conservateurs sont situés dans des circonscriptions comme la Beauce et dans la région de Québec où le taux de chômage est moins élevé que la moyenne provinciale.
C’est également vrai dans les Maritimes où les circonscriptions les moins prospères sont représentées par des néo-démocrates ou des libéraux. On fait le même constat en Ontario où le chômage saisonnier touche surtout le nord de la province, dominé par le NPD, ou encore les deux circonscriptions de Windsor où se concentre l’industrie automobile.
La superposition des cartes révèle le même phénomène au Manitoba et en Colombie-Britannique où les comtés plus nordiques, touchés par le travail saisonnier, sont encore une fois représentés par le NPD.
Chantal Hébert souligne qu’aux élections fédérales de 2015, le Parti conservateur fait le pari que la partie va se jouer surtout dans la trentaine de nouvelles circonscriptions urbaines ajoutées à la faveur de la réforme de la carte électorale.
La plupart d’entre elles résultent d’un redécoupage des circonscriptions actuellement détenues par les conservateurs. « Aucune d’entre elles, souligne la journaliste, n’est située dans une région où le chômage saisonnier est chose courante. »
Mobilisons-nous contre la réforme!
À première vue, le constat de Chantal Hébert est déprimant. La mobilisation dans les régions principalement touchées par le travail saisonnier ne risque pas de changer le paysage politique au cours des prochaines élections, pourrait-on croire.
Mais nous avons vu précédemment que les effets de cette réforme ne se limitaient pas aux travailleurs saisonniers traditionnels et donc aux régions identifiées par Chantal Hébert.
Mais, au-delà de ces considérations géographiques, il y a des considérations politiques plus larges.
La réforme de l’assurance-emploi n’est pas la seule attaque contre le mouvement syndical. Harper nous a récemment imposé la loi sur la « transparence syndicale » et, selon des rumeurs de plus en plus persistantes, il s’apprêterait à supprimer la formule Rand pour les fonctionnaires fédéraux.
Par la suite, dépendant de la réaction syndicale, l’abolition de la formule Rand pourrait être élargie à tous les travailleurs dont l’emploi relève du Code du travail fédéral.
Harper est habile. Plutôt que de chercher à nous faire avaler le saucisson d’un seul coup, il le découpe en petites tranches.
Nous en avons déjà avalé beaucoup trop!
Mobilisons-nous ! Manifestons dans la rue !
Cette réforme ne concerne pas que les sans-emploi ou les travailleurs saisonniers. Elle touche l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Elle interpelle tout le mouvement syndical, seule force organisée capable de tenir tête au gouvernement.
La lutte contre la réforme de l’assurance-emploi est l’occasion d’exprimer notre ras-le-bol de ce gouvernement, de faire comprendre à l’ensemble de la population que l’assurance-emploi est une pièce maîtresse de notre filet de sécurité sociale, et que l’heure est venue de se mobiliser contre ce gouvernement.
On ne peut pas attendre les prochaines élections pour le renverser. C’est tout de suite qu’il faut lui faire entendre raison! Et le moyen de le faire, c’est de prendre la rue!
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