Lors de sa réunion du 21 février dernier, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), qui représente la majorité des enseignantes et des enseignants du primaire et du secondaire, a mandaté ses représentants pour qu’ils « exigent l’arrêt du développement de tout projet d’anglais intensif, tant et aussi longtemps que l’évaluation de l’ensemble de la situation de l’anglais au primaire ne sera pas faite ».
La FSE-CSQ reproche au gouvernement du Parti Québécois d’avoir « renoncé à ses engagements électoraux, à l’effet de freiner l’implantation de l’anglais intensif au primaire ».
De plus, les représentants des enseignantes et des enseignants exigent que « soit retiré tout projet d’annonces de cibles nationales ou locales de maîtrise de l’anglais avant la fin de la 5e secondaire ».
Une directive du Ministère
Cette prise de position vient en réaction à une récente lettre du ministère de l’Éducation qui annonçait le maintien du programme d’anglais intensif.
Dans cette directive, le Ministère établit un « objectif nouveau » fort ambitieux et tout autant contestable, soit « l’apprentissage de l’anglais, langue seconde, de manière à ce que les élèves, à leur sortie du secondaire, aient atteint un niveau fonctionnel pour l’utilisation de cette langue dans des situations de la vie courante, c’est-à-dire s’exprimer avec assurance, spontanéité et aisance, et se faire comprendre, et comprendre sans difficulté, par un locuteur anglophone ».
Le Ministère annonce le retrait de la cible 2015-2016 pour l’implantation « mur à mur » du projet, mais laisse aux conseils d’établissement de chaque école le soin de déterminer la forme des projets, les moyens à mettre en œuvre et les objectifs à atteindre à compter de 2014-2015.
La FSE-CSQ souligne que la proposition ministérielle va à l’encontre des encadrements légaux qui reconnaissent aux conseils d’établissement le droit d’APPROUVER la grille-matière et non de l’ÉLABORER.
La note ministérielle annonce aussi la réalisation à court terme d’un bilan des apprentissages atteints en anglais, langue seconde, dans les écoles. La FSE-CSQ se réjouit de cette décision, mais demande de ne pas mettre la charrue avant les bœufs et de produire le bilan avant d’aller de l’avant.
La responsabilité de la Commission Larose
La FSE-CSQ rappelle que, dès 1993, tout en souscrivant à l’amélioration de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, elle avait émis des mises en garde contre le danger que l’apprentissage de l’anglais se fasse au détriment de la formation générale de base et de l’enseignement des spécialités.
Elle était revenue à la charge lors des États généraux sur la situation de l’avenir de la langue française au Québec (Commission Larose).
La FSE-CSQ rappelle qu’en 2001 le ministre de l’Éducation, François Legault, annonçait la mise en place de programmes intensifs d’enseignement de l’anglais pour les élèves de 5e et de 6e années du primaire et que cette annonce était l’élément le plus important retenu par le gouvernement péquiste, avec l’augmentation des heures d’enseignement du français, des recommandations de la Commission Larose!
La Commission Larose avait jugé insuffisant le nombre d’heures consacrées à l’anglais au primaire à compter de la 3e année et proposait, au lieu d’un saupoudrage sur quatre ans, un enseignement plus concentré à la fin du primaire.
En septembre de la même année, rappelle la FSE-CSQ, circulait dans les écoles un « Guide d’implantation des programmes d’anglais intensif langue seconde dans les écoles primaires du Québec », préparé conjointement par le ministère de l’Éducation du Québec et la Société pour la promotion de l’anglais, langue seconde, au Québec (SPEAQ).
Pour avoir un portrait objectif de la situation, la FSE-CSQ a alors mené enquête auprès de ses membres. Le constat est affligeant!
L’enquête révèle que la Commission Larose n’avait pas su mesurer, avant de faire ses recommandations, les avancées de l’anglais au Québec.
L’implantation de programmes d’anglais intensifs allaient bon train et s’additionnaient à d’autres mesures comme l’apprentissage de l’anglais à partir de la 3e année du primaire, l’obligation de réussite du cours d’anglais en 5e secondaire pour l’obtention du diplôme d’études secondaires et l’introduction de cours obligatoires d’anglais, langue seconde, au collégial.
Avec Charest, la bilinguisation à la vitesse grand V
En 2005, le gouvernement Charest en rajoute en modifiant le régime pédagogique pour mettre en place l’enseignement de l’anglais, langue seconde, dès la 1re année.
La FSE-CSQ se prononçait alors contre cette mesure en s’appuyant, entre autres, sur les arguments pédagogiques suivants :
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L’éparpillement sur les années du primaire et du secondaire est le régime le moins efficace pour l’apprentissage d’une langue étrangère. L’apprentissage de l’anglais serait plus économique et plus rapide à un âge plus avancé, si celui-ci est donné de façon intensive plus près du moment où cet apprentissage sera utilisé.
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Plusieurs recherches montrent que la langue maternelle est le référent linguistique majeur dans l’apprentissage d’une langue seconde et que la maîtrise de celle-ci doit être acquise avant d’entreprendre l’apprentissage d’une deuxième langue.
En 2009-2010, la FSE-CSQ a procédé à un inventaire des projets particuliers dans les écoles. Elle a inventorié 948 projets particuliers, dont 217 concentrations en langues, soit 23% du total. Sur ces 217 projets, 145 étaient des programmes d’anglais intensif, dédiés aux élèves du 3e cycle ou uniquement à ceux de 6e année. Ils étaient offerts dans 60% des commissions scolaires.
Une consultation auprès des enseignants impliqués dans cet enseignement arrivait à la conclusion qu’il était utopique d’étendre l’anglais intensif à l’ensemble des élèves de 6e année, à moins de dégager d’importants budgets supplémentaires, notamment pour venir en aide aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage.
De plus, de l’avis des enseignants, le modèle 5 mois/5 mois n’était pas le plus efficace et d’autres modèles devraient être explorés.
Le 23 février 2011, Jean Charest annonce « que les élèves de 6e année du primaire consacreront la moitié de leur année à l’apprentissage intensif de l’anglais » et que cette mesure serait étendue à tout le Québec sur cinq ans.
À l’époque, la FSE-CSQ a questionné la faisabilité de cette initiative gouvernementale, malgré son appui au caractère universel du programme et à l’idée d’un enseignement intensif des langues.
Aujourd’hui, elle insiste sur la responsabilité du Ministère de procéder à une évaluation complète des avantages et des inconvénients des diverses décisions pédagogiques et des modes d’organisation liés à l’implantation des projets d’anglais intensif.
Elle dit craindre que « la multiplication des projets d’enseignement intensif, fruit de la concurrence entre les écoles publique – tout comme entre celles-ci et les écoles privées – et de l’ambition légitime, mais irréaliste des parents dans le contexte actuel se fasse au détriment de la réussite des élèves ».
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