Visage avenant, regard vif, presque souriante, Émilie n’a pas la raideur figée des photos d’autrefois. |
La généalogie est une activité très prisée par beaucoup de Québécois, grâce aux sites qui foisonnent sur le Net. La recherche des ancêtres donne une touche personnelle aux quatre cents ans d’histoire qui nous unissent. La petite histoire de chacun constitue les éléments narratifs de la grande Histoire, la base même de la fierté d’être ce que nous sommes. Voici l’histoire d’Émilie, une battante, moderne pour son temps.
Au tournant d’une recherche de mes ancêtres paternels est apparue, sur une branche de l’arbre généalogique d’une famille américaine, une photographie de mon arrière-grand-père Frédéric Leroux. À ses côtés, m’attendait sa fille Émilie. L’histoire de son mari, racontée par ses descendants, allait m’apprendre les grandes lignes de l’aventure américaine de cette femme que je n’ai pas connue.
Émilie Leroux est née le 21 juillet 1880 à Saint-Césaire de Rouville, comté qui a cessé d’exister en 1980 et qui fait maintenant partie de la Montérégie. Elle était la sœur d’Horace, mon grand-père mort, en 1918, de la grippe espagnole à l’aube de ses 41 ans.
Émilie, elle, a défié le 20e siècle. Décédée le 13 juillet 1977, à l’âge de 97 ans moins 4 jours, ma grand-tante a joui d’une vie longue, semée d’embûches, que seule son indéfectible courage et son authentique détermination ont sauvée d’une vie malheureuse et désordonnée.
Son aventure américaine commence en 1903 alors qu’elle épouse George Joseph Billings, un garçon de quatre ans son aîné. Selon le recensement canadien de 1901, George J. habitait chez son père Henry Billings au moment de leur mariage. Les Billings possédaient une boulangerie qui avait pignon sur rue dans le village de Granby. L’entreprise familiale florissante employait le père et ses fils.
Henry Billings avait vu le jour à Henryville, localité située à proximité de la frontière américaine de Lacolle. Il avait, à maintes reprises, traversé les « lignes » à la recherche de travail comme journalier. Un illettré comme le père Billings ne pouvait compter que sur ses bras pour apporter de quoi nourrir sa famille. Commença pour lui et sa femme, une vie de nomade, faite d’allers retours entre les États et le Québec. Deux de ses fils y naîtront : George J. vit le jour à Lewiston dans le Maine et Antoine, au Massachusetts.
Rappelons que l’exil des Canadiens français a commencé dès 1840, se poursuivant jusqu’à 1930. Comme Henry Billings, ils ont été nombreux à se tourner vers les « factries » de coton de la Côte-Est, en quête de travail.
Le beau jeune homme, à l’allure typique d’un « all american boy » selon une photographie de l’époque, représentait certainement pour la jeune fille aux traits fins un parti séduisant. Malheureusement, en 1904, le vieux Billings, prématurément usé, dû vendre son commerce. Il fallait pour les nouveaux parents trouver une autre avenue.
À l’époque, peu de Canadiens français étaient attirés vers les mines de cuivre du Montana. Pourtant, le mari d’Émilie y a vu l’espoir d’un avenir meilleur. En 1906, le couple quitte le Québec avec leurs deux enfants : Germaine est âgée de 2 ans, le petit Oza n’a que quelques mois. Arrivé à destination, l’homme de 29 ans trouve un emploi à la St. Lawrence Mine, dans la ville minière de Butte, troquant son métier de boulanger pour celui de mineur.
The World’s greatest mining camp, Butte, Montana, circa 1910
La vie n’était pas facile dans ce qu’on appelait alors « The World’s greatest mining camp ». Ses camps de fortune, ses cheminées industrielles, son paysage lunaire sans arbres barbouillé de poussière grise, ses baraquements sommaires, construits de planches grisonnantes et froides, sans compter le danger que représentait le travail sous terre, n’étaient pas pour alléger les peines d’Émilie. Selon les documents de l’époque, entre 1906 et 1925, 685 mineurs y ont perdu la vie et des centaines d’autres ont été blessés ou handicapés.
On peut imaginer l’inquiétude qui rongea l’épouse et la mère. Isolée dans cette Amérique du bout du monde, elle déclara forfait. Émilie revint à Saint-Césaire avec ses enfants après quatre ans d’exil. Elle y laissa son fils de 4 ans chez son frère et mit Germaine pensionnaire au couvent où elle fera ses études. Quant à la mère, elle se tournera une fois de plus vers les États-Unis. Installée à Holyoke au Massachusetts, elle sera employée dans les usines de coton.
Jamais plus, Émilie ne reverra son mari. Les enfants auront peu de souvenirs de leur père. Après avoir roulé sa bosse dans différents États, George J. Billings s’est éteint dans l’Utah en 1940. Le couple n’a jamais officialisé sa situation. On raconte que, pour sauver les apparences, la jeune femme portait son alliance. Elle prit l’habitude de se déclarer veuve lors des nombreux recensements auxquels elle dut répondre.
Ma grand-tante Émilie était une femme animée par le sens du devoir et d’un amour sans fin pour ses enfants qu’elle chérissait plus que tout au monde. Après dix ans de dur labeur, elle est revenue chercher ses enfants pour les amener vivre auprès d’elle à Holyoke.
Émilie n’a jamais oublié son pays d’origine. Ses voyages vers son village natal ne se comptent plus. Accompagnée de sa fille, elle venait en visite presque à chaque année et cela, jusqu’à 10 ans avant sa mort. Fière de ses racines canadiennes-françaises, elle s’exprimait dans un français remarquable, malgré un exil de plus de 70 ans. Si bien que ses descendants, toujours résidants de Holyoke, ont gardé vivante la langue de Vigneault.
L’émigration canadienne-française est révolue. L’assimilation a fait son chemin. Les Franco-Américains de la nouvelle génération ne parlent plus le français de leurs arrière-grands-parents ou de leurs grands-parents. L’époque des pionnières qui ont tenu à bout de bras la famille et ses valeurs québécoises n’est plus. Mais force est de constater que le souvenir de leur amour passionné pour leurs origines québécoises et françaises est toujours vivant.
Bon 8 mars!
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