Une nouveauté syndicale : des chapitres communautaires

2013/05/03 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur des TCA-Québec

C’est un geste auquel Stephen Harper ne nous avait pas habitués : reculer! Son gouvernement vient en effet de faire marche arrière à propos du programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Il élimine la possibilité de payer les travailleurs étrangers 15 % moins cher que la main-d’œuvre locale et suspend, jusqu’à nouvel ordre, l’analyse accélérée d’un besoin en main-d’œuvre. Il interdit d’exiger une autre langue que l’anglais et le français, et oblige les employeurs à présenter un plan pour pourvoir les postes localement.


Un emploi créé sur cinq

Depuis quelques années, on entendait bien parler, ici et là, de l’embauche de travailleurs étrangers pour combler de supposées pénuries de main-d’œuvre, mais on n’en avait pas mesuré l’étendue.

Selon les statistiques du gouvernement, le nombre de travailleurs étrangers temporaires a doublé au cours des six dernières années et on en compterait actuellement plus de 446 000! C’est énorme! Notre économiste aux TCA, Jim Stanford, évalue qu’un emploi sur cinq créé entre 2007 et 2012 au Canada a été occupé par un travailleur étranger temporaire!

Pendant ce temps, le taux de chômage augmentait. Si bien qu’au sein d’une des classes ouvrières les plus compétentes et les mieux formées au monde, il y a aujourd’hui 1,4 million de travailleurs en chômage, sans compter ceux qui n’ont pu trouver mieux qu’un emploi à temps partiel ou qui, découragés, ont abandonné la recherche d’un emploi.



Un tollé d’indignation

Mais si vous pensez que c’est l’augmentation récente du taux de chômage qui a fait reculer Harper, détrompez-vous! Une première lumière rouge s’est allumée lorsqu’est parvenue à la connaissance du public que la société minière HD Mining exigeait la connaissance du mandarin pour être embauché à sa mine en Colombie-Britannique.

Mais, c’est surtout le scandale des employés de la Banque Royale qui a mis le feu aux poudres dans l’opinion publique. Les travailleurs de la BRC étaient forcés de former les travailleurs en provenance de l’Inde qui devaient, par la suite, les remplacer. On s’est alors rendu compte que le PTET ne se limitait pas aux travailleurs agricoles, mais couvrait à peu près tous les champs de l’activité économique.

Le tollé provoqué au sein de la population a été tel que des députés conservateurs ont confié aux médias du Canada anglais qu’ils avaient reçu plus d’appels indignés de leurs électeurs que d’appels inquiets lors de la grippe HINI.



Deux poids, deux mesures

Quand ce sont les électeurs du Québec ou du Nouveau-Brunswick qui descendent dans la rue – comme les 50 000 manifestants du 27 avril dernier à Montréal – pour protester contre la réforme de l’assurance-emploi, Harper fait la sourde oreille. Les conservateurs ne sont pas affectés. La plupart des circonscriptions touchées par cette réforme ont déjà des députés libéraux ou du NPD.

Mais, quand ce sont les électeurs des circonscriptions détenues par des députés conservateurs en Ontario et en Colombie-Britannique qui font entendre leur mécontentement, comme dans le cas de la Banque Royale ou de HD Mining, ce n’est pas la même chose. C’est la base électorale du Parti conservateur qui est en jeu.

Et dire que le soir des élections, Harper nous a assurés qu’il serait le premier ministre de TOUS les Canadiens!


Revendiquer le statut d’immigrant reçu

Je lis, ce matin, l’éditorial dans La Presse du 1er mai sur les travailleurs étrangers temporaires. L’éditorialiste évite de prendre clairement position.

D’une part, elle fait part de la colère des employeurs de l’Alberta qui déchirent leurs chemises sur la place publique depuis l’annonce du recul du gouvernement Harper.

D’autre part, l’éditorial qualifie de « simpliste » la position des organisations syndicales qui « opposent le nombre de chômeurs canadiens au nombre de travailleurs étrangers temporaires et exigent le statut d’immigrant reçu pour tous les travailleurs étrangers temporaires ».

En fait, à ma connaissance, la seule organisation syndicale qui a mis de l’avant la position à laquelle l’éditorialiste de La Presse fait référence, ce sont les TCA par le texte de Jim Stanford dont j’ai parlé précédemment, et qui a été publié dans le Globe and Mail du 30 avril.

Stanford jette un autre éclairage sur la supposée pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Soulignant, comme je l’ai mentionné précédemment, que de nombreux travailleurs qualifiés sont en chômage ou occupent des emplois qui ne correspondent pas à la qualification, il ne croit pas à l’argument de la pénurie de main-d’œuvre pour justifier un tel recours aux travailleurs étrangers.

Deuxièmement, il rappelle la responsabilité des employeurs avec leur sous-investissement dans la formation, le recrutement et la rétention de la main-d’œuvre.

Pas besoin d’être un génie pour comprendre que les employeurs, s’ils peuvent compter sur une main-d’œuvre importée rémunérée 15 % moins chère, n’auront aucun incitatif à former la main-d’œuvre au Canada ou encore à augmenter les salaires pour attirer et retenir les travailleurs qualifiés.



Une seule classe ouvrière

Bien que le gouvernement Harper ait reculé, nous savons que ce recul est temporaire. Le temps que se calme la tempête médiatique. Monsieur Harper n’a pas les moyens ni l’intention de se mettre à dos les milieux d’affaires de l’Alberta.

On continuera de faire venir des travailleurs étrangers temporaires et je pense que la seule solution pour empêcher qu’ils soient utilisés pour couper les salaires est d’exiger qu’on leur octroie le statut d’immigrant reçu.

Cela ne s’obtiendra pas du jour au lendemain. Mais le revendiquer aujourd’hui, c’est affirmer qu’au-delà des distinctions de nationalité et de religion, il n’y a qu’une seule classe ouvrière. Et la semaine du 1er mai, Fête internationale des travailleuses et des travailleurs, est une bonne occasion de le rappeler.


Les chapitres communautaires

La fin de semaine dernière, lors de notre Conseil québécois, nous avons reçu des représentants du Comité des travailleuses et des travailleurs immigrants qui nous ont décrit l’action de leur organisme auprès justement de travailleurs étrangers temporaires.

À les écouter, expliquer comment ils informaient les travailleurs et les aidaient à s’organiser et à se mobiliser, je trouvais que c’était exactement ce que nous faisons comme organisation syndicale. La différence, c’est que les conditions d’emploi auxquelles les travailleurs immigrants sont soumis : contrat de travail avec un employeur unique et travail via des agences de placement de main-d’œuvre qui ferment leurs portes dès qu’elles entendent parler de syndicalisation rendent très difficile l’adhésion de ces travailleurs à un syndicat.

C’est dans cette perspective que le nouveau syndicat, qui sera créé au mois d’août prochain par les TCA et le Syndicat des communications, de l’énergie et du papier, a inscrit dans ses statuts une nouveauté : les chapitres communautaires.

Ces chapitres communautaires, rattachés aux différentes sections locales, créeront une nouvelle catégorie de membres, en regroupant des travailleuses et des travailleurs qui sont à la marge, qui sont difficiles à syndiquer. Avec les chapitres communautaires, nous voulons les sortir de la marge et les ramener dans la grande famille syndicale.

C’est la meilleure des ripostes que nous pourrons apporter aux politiques de division de la classe ouvrière du gouvernement Harper.