Réflexions à partir d’un livre de Joseph E. Stiglitz

2013/05/15 | Par Réjean Porlier

L’auteur est président du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec (Local 957 SCFP-FTQ)

Je viens de terminer la lecture d’un livre de Joseph E. Stiglitz, Nobel en économie, intitulé « Le prix de l’inégalité », dans lequel il met en lumière ce mal qui ronge les États-Unis au point de l’amener au bord du gouffre. Une inégalité qui s’accompagne, cette fois-ci, d’une indifférence peu commune.

L’économiste a beau faire la démonstration qu’il est encore possible de renverser la vapeur et proposer un éventail de solutions, il est de toute évidence très inquiet quant à l’issue de la crise qui secoue le pays de toutes les libertés.

Pour Stiglitz, le rêve américain, qui promettait à chaque citoyen, prêt à y mettre les efforts, de pouvoir aspirer à un meilleur sort, n’est plus qu’un mythe. La richesse n’est désormais accessible qu’aux riches ou aux très chanceux.

Le système est structuré de telle sorte que la classe moyenne ne fait que s’éroder pendant que les plus pauvres sont plus que jamais enfermés dans le cycle de la pauvreté.

La bulle immobilière de 2008, une des pires escroqueries de tous les temps, qui normalement aurait dû mener les escrocs (les banques) à la faillite et à la prison, a plutôt conduit le peuple au bord de l’abime.

Entendons-nous, si le président Obama avait fait sa campagne en promettant de soutenir les banques plutôt que le peuple, il n’aurait jamais été élu. L’homme n’a fait que compléter le travail de ses prédécesseurs.

Tout cela parce que le 1% le plus riche, qui possède la très grosse part du gâteau de la richesse nationale, s’emploie depuis une trentaine d’années à placer, un à un, les dispositifs réglementaires pour s’approprier cette richesse et couper court à toute tentative de renverser la vapeur, au risque de détruire l’économie du pays.

Comment cela est-il possible dans une société moderne, instruite et démocratique? Nos amis banquiers, financiers et riches entrepreneurs, avec l’aide de riches et brillants avocats, ont tout simplement pris le contrôle des institutions et modifié discrètement toutes les règles et les lois en plaçant leurs hommes de main aux endroits stratégiques dans l’appareil gouvernemental.

Et, surtout, ils ont déployé un arsenal de lobbying des plus impressionnants. Plusieurs compagnies investissent d’ailleurs davantage dans le lobby que dans la recherche et le développement.

Mais ce n’est pas tout. Leur réseau de collusion et de corruption (ça vous rappelle quelque chose) est bien appuyé par un appareil médiatique qui se porte à la défense des nouvelles valeurs américaines, dont l’austérité pour le milieu et le bas de l’échelle sociale.

C’est ce qui a permis les dérives les plus invraisemblables comme le maintien d’indécentes primes aux dirigeants des banques, à même les deniers publics consentis pour les sauver de la faillite.

C’est aussi ce qui a mené à la réaction populaire avec Occupons Wall Street, mais les primes sont restées là où elles étaient, dans les poches des banquiers.

Les riches, de plus en plus riches, croient tellement dans cette nouvelle norme qu’ils tentent d’imposer l’idée que ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts sont des paresseux, que la crise est principalement due aux services publics trop généreux.

Ils ont complètement perdu toute objectivité et contact avec le bas de l’échelle. Peu leur importe. Dans un monde qu’ils ont souhaité dérèglementé et mondialisé, leur appartenance est d’abord et avant tout tournée vers le profit.

Le patriotisme, c’est pour ceux et celles qu’ils envoient à la guerre, souvent sous de faux prétextes, mais toujours pour voir à leurs propres intérêts $$$.

Ma conjointe me disait : « Arrête de lire ce livre, tu vas te pomper, alors que nous sommes en vacances! » Elle a parfaitement raison, ces choses-là viennent me chercher, parce qu’elles sont vraies et parce que je sais très bien qu’au Québec, la donne n’est guère différente, mais à plus petite échelle.

Un ami s’est fait offrir une enveloppe, du genre plutôt brune, pour l’encourager à se présenter à la mairie de notre ville, en pleine Commission Charbonneau. Ça prend du toupet, mais surtout de gros intérêts à protéger.

Stiglitz a mis le doigt sur plusieurs problèmes dont le fait que nos jeunes et bonnes têtes délaissent la recherche pour aller vers les institutions financières, attirés par cet argent facile et luxuriant, trop facile pour être toujours honnête.

On va leur apprendre rapidement les trucs du métier : où placer les billes, qui manipuler. Rapidement, ils réclameront l’austérité et la diminution du rôle de l’État, parce que trop contraignant pour leurs ambitions.

Lorsqu’un Nobel en économie se questionne à savoir s’il sera possible de renverser la vapeur ou si l’Amérique sombrera dans une dynamique totalitaire où la classe moyenne aura disparue, je ne peux que m’inquiéter et sacrifier un peu de mes vacances à tenter de comprendre tout ça.

Il y a très certainement un 99% qui ne souhaite pas cette dérive et qui se demande par où commencer. Au Québec, présentement, il y a des signes qui ne trompent pas : le dernier sondage donne une avance importante au parti Libéral du Québec.

Ce parti qui a amorcé la privatisation de nos services de santé, le même qui, au début des années 90, a ouvert la porte au privé dans la production d’énergie, reniant du même coup l’élection référendaire qui a conduit à la nationalisation de l’électricité en 1963. Comment expliquer que ce parti, identifié au patronage, à la corruption et à la collusion soit arrivé à reprendre du poil de la bête en pleine tourmente?

Je ne vois rien d’autre que l’explication suivante : le PQ ne cesse de décevoir. Il gouverne comme les caquistes promettaient de le faire et, de ce fait, ne cesse de perdre en crédibilité face à sa base militante. Les jeunes ont déchanté, les travailleurs ont déchanté, les groupes sociaux ont déchanté et les Chambres de Commerce sont enchantées (pas au point de quitter le bateau Libéral, s’entend!).

Quand à la CAQ, plusieurs auront compris qu’elle représentait un bond de quelques années en arrière, ajoutez à cela le charisme très limité de François Legault et la descente amorcée ne surprend guère.

Fait curieux, dans l’entourage péquiste on ne semble pas s’énerver avec les sondages. On maintient le cap sur l’austérité et le déficit zéro, en reniant au passage quelques engagements électoraux : les promesses de redevances minières substantielles ont fondues comme neige au soleil et, malgré les coûteux surplus d’électricité et une promesse de nationaliser l’énergie éolienne, l’équipe Marois continue d’encourager à grand frais pour le Québec, l’octroi de contrats pour la construction de parcs éoliens privés s.v.p.

Qu’est-ce que le Parti Québécois a mis en place au Québec pour récupérer la richesse du côté des plus riches et stimuler la classe moyenne, principal moteur de notre économie? Où sont les grands chantiers?

Si Stiglitz s’inquiète à raison pour l’avenir de son pays, à la lumière de  cette consécration de la finance aux dépens d’une démocratie passablement amochée, je m’inquiète de notre manque de stratégie collective pour renverser la vapeur et de la menace d’effondrement qui plane sur notre classe moyenne.

Les grands perdants de cette arnaque collective ce seront bien sûr les travailleurs dont le pouvoir d’achat n’aura cessé de diminuer, miné par la nécessité de compenser la réduction de nos services publics.