Rencontre avec des syndicalistes belges, « acteurs des temps présents »

2013/06/07 | Par Sylvain Martin



L’auteur est directeur québécois des TCA


Au début de la semaine, j’ai eu le privilège de recevoir, au nom des TCA, une délégation de nos camarades métallos wallons de la Belgique (MWB). J’étais très heureux de revoir ces camarades syndicalistes et amis. À cause de la distance, nos rencontres sont espacées, mais toujours appréciées.

Pour utiliser une de leurs expressions, nous avons discuté à « bâtons rompus » de plusieurs sujets qui animent notre quotidien respectif. De notre côté, nous leur avons fait part de nos grands dossiers syndicaux, sociaux, économiques et politiques.

Nous leur avons parlé, entre autres, de l’affrontement qui se dessine à propos des régimes de retraite, des attaques des gouvernements de droite, plus particulièrement du projet de loi C-377 sur la « transparence » syndicale du gouvernement Harper et d’un projet de loi appréhendé qui attaquerait la formule Rand.

Bien entendu, nous leur avons fait part de notre projet de création d’un nouveau syndicat. Nous leur avons expliqué la démarche qui a conduit au nom du nouveau syndicat, Unifor, et ils étaient bien curieux de voir le logo.


La mondialisation du discours de droite

Il est toujours intéressant de réaliser que la mondialisation n’est pas seulement celle des marchés, mais également celle du discours.

Nico Cué, le secrétaire général de la MWB, me racontait qu’en 1983, quand son fils est né, la droite belge soutenait que l’austérité était nécessaire pour ne pas laisser en héritage à la génération future une dette insurmontable.

À l’époque, la dette représentait 137 % du P.I.B. de la Belgique. Autrement dit, c’est comme si je gagnais 100 000 $ par année et que le total de mes dettes s’élevait à 137 000 $. (Dans ce calcul, je ne tiens pas compte de mes actifs.)
 
En 2007, la droite continuait à leur servir le même discours sur l’austérité nécessaire, même si le ratio de la dette sur le P.I.B. était descendu à 84 % ! (À cause de la crise de 2008, il est aujourd’hui de 99,7 %.)

Toute cette gymnastique verbale autour de la dette me rappelle les propos récents de Jacques Parizeau sur la « comptabilité créative », de ceux qui nous prédisent l’apocalypse si nous n’adoptons pas rapidement les mesures d’austérité nécessaires pour s’attaquer à la dette.

Finalement, Nico nous disait qu’aujourd’hui son fils a 30 ans et que toutes les mesures d’austérité qui devaient lui garantir un avenir radieux ont donné un résultat inverse.


Les syndicats, derniers remparts

Nos camarades belges nous ont dressé un tableau de la situation générale en Europe. Partout, en Belgique, en France et ailleurs, les gouvernements socialistes adoptent les mêmes politiques que la droite.

Leur conclusion est claire : si la droite réussit à écraser les syndicats, elle aura le champ libre. Les lois du marché s’appliqueront partout, sans entraves, sans garde-fou, avec des conséquences désastreuses pour les travailleurs.

Dans un tel contexte, les syndicats constituent l’ultime rempart. La droite le sait. Aussi, les gouvernements adoptent des législations pour affaiblir ou détruire les syndicats, souvent en agissant de façon détournée. Par exemple, le projet de loi C-377 était camouflé dans un projet de loi mammouth sur les modifications aux législations concernant l’impôt.

En Belgique, le gouvernement a adopté une loi qui balise le droit aux manifestations, soi-disant pour contrer les actes terroristes. Si un syndicat organise une manifestation pour dénoncer les mesures antisociales du gouvernement, celle-ci peut être assimilée à un acte terroriste et les manifestants arrêtés.


Acteurs des temps présents

Ce qui m’a le plus intéressé dans nos échanges avec les syndicalistes belges, c’est leur campagne « Acteurs des temps présents ». D’abord, le nom choisi m’inspire au plus haut point. Être « acteur » pour moi, signifie être actif, ne pas subir le changement, mais l’imaginer, le provoquer, le réaliser.

L’expression « Des temps présents » est aussi porteuse d’une forte signification : tous ces changements rêvés doivent se faire maintenant! C’est aujourd’hui qu’il faut agir; un sentiment d’urgence doit nous habiter.

« L’urgence d’agir » ne doit pas découler d’un sentiment de panique face aux événements. Il doit témoigner du besoin que les travailleurs et les travailleuses ont des leaders qui leur proposent des actions concrètes à mener, et ce, maintenant. Le changement passera par nos actions collectives.


Une démarche conjointe de changement social

« Acteurs des temps présents », ça se concrétise pour les dirigeants de la MWB par la mise en place de réseaux avec les acteurs de leur société, susceptibles de s’engager avec les syndicalistes dans une démarche de changement social.

Au mois d’octobre prochain, des colloques réuniront dans différentes villes de la Belgique des panélistes représentant, en plus des syndicalistes, les agriculteurs, les artistes, les universitaires, les jeunes et les étudiants. Ils vont présenter leurs points de vue sur l’environnement, les finances, les services publics, l’industrie et l’emploi.

L’objectif est que les représentants de ces différents groupes apprennent à se connaître, fassent consensus sur les actions à prendre et bâtissent des solidarités pour y arriver. Pour Nico Cué, les grandes luttes, les grands changements sociaux ont toujours été accomplis en Belgique par l’entremise de ces groupes. Les instigateurs n’ont pas toujours été les mêmes, mais la solidarité entre ces groupes a toujours été au rendez-vous, constate-t-il.


Préciser nos objectifs

Je pense que cette initiative de créer des solidarités avec les différents acteurs de la société est porteuse d’espoir. Au Québec, des activités de réseautage existent. Les consensus ne sont pas toujours faciles à atteindre mais, en général, on y parvient.

Cependant, là où, à mon avis, le bât blesse, c’est dans la détermination de la finalité de nos actions collectives.

Prenons, par exemple, toute la mobilisation autour de la réforme de l’assurance-emploi. Un crescendo d’actions et de mobilisations a été planifié. Une très large coalition, d’une ampleur peu commune, a été mise sur pied. Le tout a culminé avec la grande manifestation du 27 avril dernier. Mais, depuis, plus rien!

Quand je dis « plus rien », je ne veux pas dire qu’il n’y a plus rien qui se fait, mais ça se déroule dans l’anonymat le plus total. Résultat : la majorité des travailleurs croient que rien ne va changer, peu importe ce que nous faisons!

Je pense qu’il faut qu’il y ait une finalité, déterminée à l’avance, à nos actions. Si le but de notre action est de tenir une manifestation monstre à une date donnée, qu’on le dise. On pourra prendre la mesure du résultat obtenu à la hauteur de la participation à la manifestation. Cette grande manifestation sera alors synonyme d’une victoire et nous pourrons la célébrer.

Elle ne restera pas dans la mémoire des participants comme étant la dernière fois où j’ai entendu parler de la mobilisation pour dénoncer la réforme de l’assurance-emploi!


Pour un discours commun

Cette trop courte rencontre avec nos camarades de la Belgique m’a encore convaincu qu’il est plus que nécessaire de tisser des liens et d’apprendre les uns des autres. Nous allons peut-être nous rendre compte que les beaux discours de la droite sont partout les mêmes dans les pays industrialisés et que leur objectif commun est d’abattre le dernier rempart au néolibéralisme : les syndicats.

L’expression de nos solidarités avec les syndicalistes européens doit aller au-delà des invitations à nos congrès respectifs. Je crois que nous aurions tout intérêt à développer un discours commun en réponse à la mondialisation de la droite, tout comme nous l’avons déjà fait avec les travailleurs du Sud concernant la mondialisation des marchés.