Elisabeth Badinter: « Voyons ce qui nous unit avant ce qui nous distingue »

2013/10/17 | Par Jean Birnbaum


Extrait d’une entrevue réalisée par Jean Birnbaum, du journal Le Monde, 16 octobre 2013

Certains considèrent que cet universalisme des Lumières est situé historiquement et géographiquement. Ils font par exemple remarquer que la charge universaliste contre le voile islamique relève d'une exception bien française.

Non. La question se pose aujourd'hui en Grande-Bretagne et au Québec. Autrement dit, les pays qui ont été les plus ouverts aux pratiques communautaires se disent qu'il faut poser des limites. Je vais peut-être vous étonner, mais sans être cocorico, je pense que oui, c'est nous qui défendons l'universel. Parce que le fait de cacher son visage aux autres est, à plus ou moins long terme, une impasse. L'universel postule que les ressemblances entre nous sont plus importantes que les différences. Or que fait la porteuse d'une burqa ? Elle instaure le séparatisme entre le pur et l'impur, elle se délecte de vous voir, mais ne vous permet pas de la voir, c'est une rupture d'égalité et de fraternité.

Vous-mêmes, vous n'avez pas toujours été aussi critique à l'égard du droit à la différence. Dans les années 1970, vous avez publié un article intitulé Pour le droit à la différence. Que s'est-il passé entre-temps ?

Je me suis aperçue de ma terrible erreur. J'étais jeune. Dans l'esprit soixante-huitard, le droit à la différence semblait un enrichissement, une liberté supplémentaire. Mais, peu à peu, j'ai vu à quoi menait ce droit, réclamé quasiment comme le premier des droits, je me suis aperçue que c'était la porte ouverte aux communautarismes. Ceux qui appartenaient à une religion ou à une communauté (les Black Panthers, ou les homosexuels...) finissaient par dire : on veut les droits de tous, mais on veut en plus des droits spécifiques. Là, ça ne va plus du tout. Si je prends l'exemple de la laïcité, la loi est là pour faire en sorte que toutes les religions puissent s'exprimer, mais en échange celles-ci ne peuvent demander à la République des choses qui sont contraires à ses principes. La République protège toutes les religions, mais en échange on ne fait pas pression sur ses lois. L'idée que l'on a les droits de tous plus des droits spécifiques, cela ne marche pas.