Ce peuple qui ne fut jamais souverain, par Roger Payette et Jean-François Payette, Fides, 2013.
Dialogue d’outre-tombe
Ce récit autobiographique, le romancier et comédien Robert Lalonde aura mis 40 ans pour en venir à bout. En cours de route, le règlement de compte annoncé s’est métamorphosé en cri de douleur et de tendresse. Un fils, qui en a gros sur le cœur, s’adresse à sa mère disparue. Ils ne sont pas du même monde. Lui est écrivain, elle ne sait pas lire, mais elle est « mieux embouchée » que lui. Impossible d’avoir le dernier mot avec elle. Frustrée, capable de cruauté, elle méprise son flanc mou de fils à qui elle prédit qu’il « crèvera sus la paille ». Pourtant, ce dernier l’aime, son imprévisible mère aux longues jambes à la Ginger Rogers, qui danse le Charleston en faisant le ménage, mais lui interdit de la toucher. Petit à petit, sa rancune volcanique s’estompe. Reste un terrible non-dit : l’inceste paternel qu’enfant, le fils a subi et que la mère n’a pas empêché. Secret inavouable dont elle se confessera sur son lit d’hôpital. Et le fils de lâcher : « Tu avais donc toujours su, pour papa et moi. »
C’est le cœur qui meurt en dernier, par Robert Lalonde, Boréal, 2013.
De Stockholm à… Stockholm
En fouillant dans l’Encyclopaedia Britannica, l’écrivaine ontarienne Alice Munro a découvert Sofia Kovalesvskaïa. Le destin de cette scientifique russe du 19e siècle, première femme à enseigner les mathématiques dans une université européenne, celle de Stockholm, lui a inspiré la nouvelle éponyme Trop de bonheur. Munro a planté son décor dans la capitale suédoise, sans savoir que, dans cette ville, elle recevrait bientôt le prix Nobel de la littérature 2013. À ceux qui boudent les short stories comme autant de romans inachevés, ce recueil vous réconciliera avec le genre. Les héroïnes, des femmes peu douées pour le bonheur frôlent l’abîme, mais finissent par trouver la force de fuir pour repartir à zéro… Enfin, presque toujours.
Trop de bonheur, par Alice Munro, Éditions de l’Olivier.
Héros ou ordure?
Dur dur d’être le rejeton d’un monstre sacré. « Ah, oui, j’ai bien connu votre père, c’était un superflic! » C’est le lot de Frank Parish, lui-même dans la police de New York, la célèbre NYPD. Comment se montrer digne d’un père plus grand que nature? Avec sa brigade des Anges de New York, John Parish père n’a-t-il pas nettoyé la ville de la pègre, des escrocs et des flics véreux? Une filiation si difficile à vivre que Frank Parish fils, le héros du romancier britannique R.J. Ellory, se réfugie tantôt dans l’alcool, tantôt chez sa psy qui l’aide à tuer le fantôme de son géniteur. Alors qu’il s’applique à débusquer un tueur en série, le policier livre enfin à sa psy la vérité sur son père entré vivant dans la légende. En réalité, John Parish était une ordure et ses Anges de New York, une bande de policiers corrompus vivant comme lui de la rapine, du chantage, de meurtres ciblés et des pots de vin de la mafia new-yorkaise. Son assassinat en pleine rue, au sommet de sa gloire? Un vil règlement de comptes entre crapules.
Les Anges de New York, par R. J. Ellory, Le livre de poche, 2013.
Les invincibles
Vous dire comme j’ai ri! Cette anthologie rassemble les meilleurs sketchs du quatuor d’humoristes le plus populaire de la Révolution tranquille. Si certains monologues sont démodés, la plupart ont résisté à l’usure du temps. Même la parodie de Camil Sansom à qui André Dubois fait dire : « Le Québec est au bord du gouffre : le Crédit social va lui faire faire un pas en avant. » Racisme, police, chômage, langue… rien n’est tabou. Les Cyniques, expliquent les chercheurs qui analysent leur humour irrévérencieux, traduisent bien leur époque en ébullition. Ils écorchent les politiciens, notamment Pierre Trudeau, alors célibataire, parce qu’il « ne veut partager avec personne l’organe du pouvoir ». Le clergé n’est pas davantage épargné. Pour dénoncer le mercantilisme qui prévaut à l’Oratoire Saint-Joseph, Marc Laurendeau nous convie à une visite bilingue des lieux (« Voici maintenant le hall des miracles, the Miracle Mart ») qui se termine devant un « hot dog relique-moutarde ». Quand Serge Grenier fait son examen de conscience, on croit l’entendre confesser ses péchés d’impureté: « Est-ce que j’ai fait des mauvaises choses? Seul ou avec d’autres? Et si c’est avec d’autres, de quel sexe? » Marcel Saint-Germain, lui, recommande le film J’irai cracher sur vos tombes : « c’est la vengeance d’Urgel Bourgie pour les comptes non payés ». Aux dires des chercheurs, les Cyniques ont façonné les humoristes actuels. Il faudrait préciser que pas un ne les a surpassés.
Les Cyniques, Le rire de la Révolution tranquille, sous la direction de Robert Aird et Lucie Joubert, Triptyque, 2013.