Les dépenses fiscales rattachées au compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI) - les revenus fiscaux non perçus par les gouvernements en raison de cette mesure fiscale - sont importantes. Le gouvernement fédéral estime ses dépenses fiscales de 2012 pour le CÉLI à 305 millions $. En se limitant aux dépenses fiscales attribuables aux seuls actifs québécois, le manque à gagner pour 2012 serait d’environ 73,2 millions $ pour le gouvernement canadien et de 61 millions $ pour le gouvernement québécois. Pire, dans son budget de 2008, le ministère des Finances estimait que le CÉLI entraînerait pour le gouvernement fédéral seulement des dépenses fiscales annuelles de 3 milliards $ lorsque cet outil sera pleinement utilisé par la population canadienne, soit vers 2029. Pour le Québec, il s’agirait d’une dépense fiscale estimée à 600 millions $ par année. « Afin de désamorcer cette “bombe à retardement fiscale”, nous proposons que le gouvernement du Québec adapte sa participation au CÉLI canadien. En s’inspirant de l’expérience française dite du Livret A, nous proposons que ce CÉLI québécois soit consacré à une politique nationale de l’habitation durable (CÉLI HD). En outre, en imposant aux détenteurs de compte du CÉLI HD un maximum de 20 000 $ à vie libre d’impôt, nous estimons qu’il pourrait atteindre une charge fiscale totale à l’État de 34 milliards $ lorsqu’il atteindrait sa maturité. C’est donc quatre fois moins important que l’estimation de l’encours du CÉLI actuel », expliquent Gilles L. Bourque, Gabriel Ste-Marie et Pierre Gouin, auteurs de l’étude de l’IRÉC. Le CÉLI HD donnerait accès à une épargne populaire à bas coût pour le financement d’une ambitieuse politique nationale de l’habitation. « Le domaine de l’habitation peut jouer un rôle névralgique pour une reconfiguration soutenable du modèle québécois de développement », poursuivent les chercheurs de l’IRÉC. « Ce nouvel outil public permettrait de canaliser cette épargne à bas coût vers du financement hypothécaire de long terme. L’aide publique au développement du logement social prendrait alors deux principales formes : d’une part, par des prêts hypothécaires d’Investissement Québec (IQ) à la Société d’habitation du Québec (SHQ) à des taux d’intérêt privilégiés; d’autre part, comme c’est déjà le cas à l’heure actuelle, par la transformation de ces prêts en subventions de la SHQ lorsque les projets soumis par les partenaires du milieu respectent les programmes gouvernementaux », précisent-ils. Pour illustrer le potentiel de cet outil financier collectif, ils proposent deux programmes d’investissements qui permettraient au Québec de construire 120 000 logements sur un horizon de 20 ans et d’encourager la rénovation écoénergétique d’un million de logements. « La réalisation de ces deux programmes permettrait, à la fois, de répondre à des besoins urgents en matière de logements abordables et d’améliorer l’efficacité énergétique du secteur de l’habitation; ils permettraient également la création de près de 8 000 nouveaux emplois permanents et entraîneraient des retombées fiscales annuelles de 210 millions $ », soutiennent-ils. Une approche collective qui ne pénalise pas l’épargnant « Le CÉLI peut servir à résoudre des problèmes urgents dans notre société. Le CÉLI HD tout en ne pénalisant pas l’épargnant permet au Québec d’aller de l’avant pour résoudre ses problèmes de logement, d’efficacité énergétique et de création d’emplois. N’oublions pas que la liste des ménages en attente d’un logement social gravite, bon an mal an, autour de 40 000. Par ailleurs, le secteur de l’habitation (résidentiel, commercial et institutionnel) est responsable de 10,8 % des émissions de GES au Québec, se situant comme le troisième émetteur en importance », concluent les chercheurs. Pour télécharger le rapport de recherche Habitation durable et rénovation énergétique : agir sans s’endetter et connaître les résultats des autres travaux de l’IRÉC, voir www.irec.net CÉLI habitation durable – Questions et réponses Est-ce que le gouvernement du Québec aurait le droit de procéder à la mise en place du CÉLI habitation durable?
R : Il s’agit d’un programme harmonisé. Le gouvernement du Québec peut choisir de définir des règles différentes. C’est certain qu’il faudrait négocier; mais c’est une chose faisable, il y a des précédents. L’un des plus récents est l’annonce par le gouvernement fédéral de son retrait unilatéral du programme des fonds de travailleurs tandis que le Québec maintenait sa participation.
Est-ce que votre proposition augmente le coût fiscal du CELI?
R : Au contraire. La proposition conserve la même structure fiscale que celle qui prévaut actuellement. Mais en plafonnant le maximum de cotisation (voir question suivante), la dépense fiscale anticipée lorsque le CÉLI HD atteindra sa maturité devrait être de 150 millions $ par année plutôt que 600 millions $ comme cela est prévu avec le CÉLI actuel.
Qu’est-ce que la formule change pour le cotisant?
R : a) Tout d’abord le plafond de cotisation : il a droit à un maximum de 20 000 $ à vie au lieu de 5 500 $ annuellement et cumulables.
b) Puisqu’il a été créé en 2009, le maximum de droits de cotisation du CÉLI actuel est de 31 000 $ (en 2014) et continue d’augmenter de 5 500 $ par année. Par exemple, d’ici 2020, le maximum s’élèvera autour de 65 500 $. Et si Harper est réélu en 2015, il devrait augmenter les droits de cotisation à 10 000 $ par année, ce qui ferait augmenter le maximum à au moins 87 000 $. En 2030, il s’approcherait probablement de 200 000 $. Etc.
c) Il sait que son épargne aura un usage précis et qu’elle servira l’intérêt général.
Qu’est-ce que la proposition change pour les institutions financières?
R : a) L’épargne du CÉLI Habitation durable doit être obligatoirement déposée dans les banques et dans les caisses populaires et non plus chez n’importe quel vendeur de produits financiers.
b) Les institutions financières ne peuvent plus utiliser la totalité de l’épargne qui leur est confiée : elles en conservent le 1/3, la Caisse de dépôt et Investissement Québec reçoivent le reste.
Est-ce que la proposition implique l’exclusivité d’adhésion au CÉLI Habitation durable?
R : La proposition est que le CÉLI Habitation durable n’occupe que le quart de l’espace fiscal requis pour le programme CÉLI dans son ensemble. Pour le reste, il appartiendra au gouvernement d’en décider.
N’y a-t-il pas déjà un nouveau programme de rénovation RénoClimat?
R : Le nouveau programme RénoClimat visé par la politique gouvernementale Priorité emploi dévoilée le 7 octobre dernier ne touche que 31 500 ménages sur 4 ans, alors que grâce au CÉLI HD nous pouvons accorder des avantages à 50 000 ménages par année pendant 20 ans.
Pourquoi exigez-vous une contribution fédérale de 400 millions $?
R : D’une part, de ce 400 millions, ce n’est que 192 millions qui va à notre proposition de 6000 logements sociaux par année, le reste servant à compenser la fin des conventions.
Le doublement du nombre de logements sociaux par année va-t-il alourdir l’endettement du gouvernement?
R : a) En tenant compte des bas taux d’intérêt des actifs provenant du CÉLI HD, d’une contribution fédérale statutaire (192 millions $) et de l’allongement de la période d’amortissement, notre proposition permet de diminuer de plus de moitié le coût de la SHQ pour chacun des projets. Résultat : 6 000 logements en 2015 pour un coût annuel de 16,3 millions $ comparativement à la formule actuelle de 3 000 logements pour un coût de 23,3 millions $. Sur le long terme, le coût global de notre proposition est supérieur, puisque l’amortissement se ferait sur 30 ans au lieu de 15 ans
b) Finalement, c’est sans compter le fait qu’en sortant du CÉLI canadien le Québec sauvera à terme 450 millions annuellement en dépenses fiscales!
Plutôt que développer à coût élevé le logement public, est-ce qu’il ne serait pas mieux que le gouvernement laisse faire le secteur locatif privé en subventionnant directement les ménages en besoin?
R : Le programme AccèsLogis Québec ne finance pas du logement public, mais des initiatives de logements communautaires (issues des municipalités, de coop ou d’OBNL). La vraie question à se poser est : est-ce que le gouvernement doit subventionner (pour un coût équivalent peut importe la formule choisie) le privé ou les communautés. Pour nous il est clair qu’il faut aider les projets communautaires puisque ces projets, une fois complètement amortis, deviennent un patrimoine aux mains des communautés plutôt qu’un capital aux mains de quelques grandes corporations privées.