Une nouvelle dynamique des langues s’est manifestée au Québec. J’ai montré dans ma chronique précédente comment l’estompement graduel du poids tant de l’anglais que du français durant les années 1990 a fait place, au cours des années 2000, à une stabilisation du poids de l’anglais et à l’effondrement de celui du français.
Il faut stopper au plus vite ce dérapage.
L’urgence d’agir va de soi pour qui tient au caractère français du Québec. Le statut du français ne peut que pâtir sur tous les plans de la détérioration rapide de son poids démographique par rapport à celui de l’anglais, aussi bien comme langue maternelle que comme langue d’usage.
Stopper la chute spectaculaire du français presse encore davantage pour qui souhaite préserver la possibilité que le Québec devienne un jour un pays. Dans « Quelques défis démographiques pour les indépendantistes », paru dans le numéro courant de L’Action nationale (avril-mai 2014), Patrick Sabourin confirme que le fait de ne pas avoir le français comme langue maternelle reste toujours un excellent indice de l’appui au Non.
Comme à l’époque du référendum de 1995, l’appui au Oui demeure aujourd’hui inférieur à 10 % parmi les non-francophones, tant chez les jeunes que les plus vieux. Ce constat de Sabourin se fonde sur un sondage commandé par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) et réalisé en octobre 2013, avant le débat venimeux autour du projet de loi Drainville sur les « valeurs québécoises ».
Si l’appui au Oui parmi les non-francophones continue ainsi à stagner à environ un non-francophone sur dix, tandis que le poids des francophones, langue maternelle, poursuit sa chute libre et que celui des anglophones se maintient, voire augmente, la proportion de francophones qui devront voter Oui pour que cette option atteigne 50 % + 1 de l’ensemble des votants s’éloigne rapidement du réalisable.
En 1995, le Québec était à quelque 80 % francophone et 20 % non francophone. L’appui d’un non-francophone sur dix a alors contribué deux points de pourcentage au vote total pour le Oui. Celui-ci ayant presque atteint 50 %, 48 points sont donc provenus du vote francophone. Ce qui veut dire qu’environ 60 % de francophones (48/80) ont voté Oui.
Dans un Québec à 70 % francophone et 30 % non francophone, où le Oui continue à n’attirer qu’un non-francophone sur dix, un calcul semblable indique que pour atteindre un Oui global de 50 % + 1, plus des deux tiers des francophones devront voter Oui. Grosse commande.
Dans un Québec à 60 % de francophones, le Oui devra en rallier plus des trois quarts. Mission pratiquement impossible.
Dans les moments difficiles, certains aiment à se rappeler l’envolée de Robert Bourassa après l’échec de l’Accord du lac Meech en 1990 : « Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement ».
Si par « libre et capable d’assumer son destin » on entend maintenir ouverte, entre autres, la voie de l’indépendance, ce « pour toujours » lancé à la fin du siècle dernier sonne, aujourd’hui, désespérément creux. À moins de juguler le présent recul phénoménal du poids de la majorité francophone.
Maintenir la possibilité pour un parti indépendantiste d’accéder au pouvoir comporte la même exigence. Les sympathisants du Parti Québécois, en particulier, pourront s’en pénétrer dans le détail en parcourant l’analyse du résultat des élections de 2014 en fonction de seuils linguistiques régionaux que présente Pierre Serré dans le même numéro de L’Action nationale.
Toujours dans ce numéro, Frédéric Lacroix, dans « Les effets dévastateurs du plan B », identifie la hausse de l’immigration à un niveau record durant le règne de Jean Charest comme cause première – et intentionnelle – de la nouvelle dynamique funeste au français et à l’éventualité de l’indépendance. Il attribue le silence étourdissant des experts devant la débâcle du français à un autre volet du plan B, pratiqué par le fédéral et ses alliés dans la foulée du référendum de 1995, soit la « réingénierie intellectuelle » des universitaires québécois par le biais, entre autres, des lucratives chaires de recherche du Canada.
S’impose par-dessus tout comme lecture postélectorale Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec (Éditions du Boréal), traité indispensable que je n’ai pu qu’effleurer dans ma dernière chronique. Selon le critique Louis Cornellier du Devoir, au palmarès des meilleurs essais de l’année 2011 figure en tête de peloton ce joyeux pavé que Benoît Dubreuil et Guillaume Marois ont jeté dans l’immense mare des préjugés concernant l’immigration.
Dubreuil et Marois notent bien l’effet ravigotant d’une immigration démesurée sur l’appui électoral au Parti Libéral du Québec. Mais l’essentiel de leur apport au débat sur le seuil d’immigration optimal pour le Québec est d’un autre ordre. Au fil d’un survol exhaustif de la recherche scientifique sur les effets économiques et démographiques de l’immigration, ils déboulonnent pour de bon des mythes à ce sujet que chambres de commerce, organismes patronaux, élites politiques et médias de masse ne cessent de nous seriner à cœur de jour.
L’immigration est-elle nécessaire pour contrer le vieillissement de la population? Non. Une abondante littérature en démographie démontre qu’elle n’exerce qu’un effet marginal sur la structure par âge de la population d’accueil. Peu importe le nombre d’immigrants admis, donc, le vieillissement de la population québécoise aura lieu. Pour se reprendre sur ce plan, du moins à terme, mieux vaut s’empresser d’encourager les jeunes familles.
L’immigration apporte-t-elle nécessairement richesse et prospérité? Non plus. Une copieuse littérature économique démontre qu’elle a un impact négligeable sur des indices cruciaux comme les salaires ou le PIB par habitant. Bref, « économiquement, le Québec n’a pas besoin d’immigrants ». Constat fondamental qui devrait retenir l’attention des nationalistes autant que des indépendantistes, de gauche comme de droite, c’est-à-dire des François Legault, Françoise David et Pierre-Karl Péladeau réunis.
Dubreuil et Marois observent tout particulièrement ceci : « L’immigration ne permet pas de mitiger les effets négatifs du vieillissement de la population sur les finances publiques. Il n’est même pas certain qu’elle n’y ajoute pas en réalité un fardeau supplémentaire. » À preuve, ils détaillent les difficultés d’intégration économique des immigrants constatées dans tous les pays occidentaux, dont la détérioration continue de leurs performances économiques au cours des trente dernières années que démontre une imposante littérature canadienne.
« Il est donc irresponsable de continuer de naviguer à vue, obnubilés par des bénéfices imaginaires », concluent-ils. Autrement dit, le discours dominant en matière d’immigration nous mène royalement en bateau.
L’année même de l’échec du lac Meech, le gouvernement Bourassa, dans son Énoncé de politique en matière d’immigration, justifiait une hausse de l’immigration dans le but de « contribuer au redressement démographique, à la pérennité du fait français, à la prospérité économique et à l’ouverture du Québec sur le monde ». Après la démonstration magistrale de Dubreuil et Marois, il en subsiste tout au plus comme justification l’ouverture sur le monde. En définitive, il convient de repenser désormais l’immigration sur la base de finalités autres qu’économiques ou démographiques.
Dès lors, à moins de vouloir noyer le vote des francophones et boucler leur avenir à double tour, il ne reste aucune bonne raison pour accepter qu’on impose au Québec un objectif aussi mal fondé que 55 000 immigrants par année. Il incombe à ceux qui ne partagent pas les visées du PLQ de réclamer tambour battant de réduire de façon importante le niveau d’immigration, afin de stopper la défrancisation débridée du Québec au profit de l’anglais et de garder son avenir grand ouvert.
Qu’on me comprenne bien. Je suis pour l’immigration. Mais brisons enfin le tabou. De grâce, usons de considérations rationnelles et fixons de manière responsable son ampleur.
Bonnes lectures estivales, donc ! Et bonne réflexion.
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