Le Parti Québécois ne doit pas seulement clarifier sa position vis-à-vis de l’indépendance. Il doit en faire autant en ce qui concerne sa politique linguistique.
Le Québec a mis 20 années de débat, de recherche et de réflexion avant de décider, en 1974 et 1977, de rejeter le bilinguisme assimilateur à la canadienne et de faire du français sa seule langue officielle et commune. Le PQ doit rigoureusement réexaminer ce choix dans le contexte linguistique d’aujourd’hui et soit confirmer le français comme langue publique commune, partagée par tous les Québécois, soit opter pour le bilinguisme trompeur que propose Jean-François Lisée : un bilinguisme à prédominance française, gage de tensions sans fin sur un terrain miné d’avance en faveur de l’anglais.
Il importe que ce débat se fasse au PQ à visage découvert et dans le respect des militants. J’avais demandé par exemple à Daniel Turp, responsable de la Proposition principale au dernier congrès du PQ, qui donc l’avait rédigée de façon à écarter le français, langue commune au profit du bilinguisme façon Lisée. « Je ne m’en souviens plus » m’a répondu Turp. Désagréable de se faire prendre pour une valise.
Cette trahison du français, langue commune dans la Proposition principale, de même que l’empressement qui s’y trouvait à « donner à l’anglais toute sa place », sentaient en effet le Lisée à plein nez. Ajoutons que Lisée s’est constamment esquivé devant les réalisateurs du film La langue à terre qui voulaient l’interviewer dans le but de mieux faire ressortir comment une politique visant à faire du français notre langue commune a pu mener à son état d’affaiblissement actuel.
Dans mon recueil Le français, langue commune. Projet inachevé (2013) et ma chronique subséquente « Le sapin à Lisée », j’ai décrit comment quelques naufrageurs ont cherché à faire dévier le PQ de l’objectif du français, langue commune, entre autres dans son programme et ses récents projets de loi. Il reste à commenter les performances de certains ténors au cours des dernières campagnes électorales.
Durant celle de l’été 2012, Pauline Marois a donné le 12 août une conférence de presse pour résumer les engagements linguistiques adoptés au congrès de 2011. Le lendemain, à l’émission Pas de midi sans info, Lisée, planant loin au-dessus du commun des militants, décrète que la francisation de la langue de travail, que celle de la langue des études collégiales, bref, que tout ce que les congressistes avaient décidé était d’importance secondaire. Il annonce en grande pompe « une inflexion importante de la volonté politique du PQ », soit de maintenir la prédominance démographique des francophones sur l’île de Montréal.
Première mesure, le Québec ouvre un « grand chantier » pour stopper l’étalement urbain autour de Montréal et retenir les familles francophones sur l’île. Chantier qui accouchera d’un plan que Lisée, une fois devenu ministre, qualifiera de « politique la plus significative depuis les réformes de Camille Laurin ».
Dans à peu près toutes les métropoles du monde, ceux qui ambitionnaient de renverser l’étalement urbain se sont cassé les dents. Lisée prétendait en prime réussir à retenir les francophones sur l’île sans retenir en même temps les anglophones et allophones. Sa politique à la hauteur de Camille Laurin a fait peu de bruit depuis.
Seconde mesure, le Québec favorise les candidats à l’immigration « qui ont le français comme langue d’usage, comme langue principalement parlée ». Écoutons là-dessus les explications de Lisée.
« Sachez, s’exclame-t-il, c’est incroyable, qu’en ce moment, si vous êtes un candidat à l’immigration de Shanghai et que vous déclarez avoir une connaissance du français, vous êtes sur le même pied qu’un candidat à l’immigration de Bordeaux qui déclare une connaissance du français. On ne leur a jamais posé la question de savoir s’ils vivaient en français. À partir de maintenant, on va leur poser cette question et, à compétence égale, ils auront des points pour avoir le fait [sic] de parler déjà en français. De vivre en français. »
Mis à part le fait qu’un résident de Shanghai qui connaît le français et veut immigrer au Québec pourrait fort bien nous apporter autant, sinon plus, qu’un Bordelais qui a les mêmes dispositions, et que son jumelage avec Shanghai a justement valu à Montréal de s’enrichir du jardin chinois le plus somptueux du monde à l’extérieur de la Chine – ce qui engendre d’enviables retombées économiques annuelles –, ces propos ethnocentriques de Lisée suscitent un malaise. Étonnant que le Parti libéral du Québec et les médias fédéralistes n’aient pas immédiatement monté la chose en épingle.
Plusieurs États exigent d’un candidat à l’immigration qu’il connaisse la langue du pays, mais jamais qu’il vive au préalable dans cette langue. Envisager de pousser jusque-là les exigences relève du nationalisme ethnique. La doctrine de prédominance, démographique ou autre, à la Lisée peut facilement conduire de la sorte à des dérapages qui répugnent.
Un collectif d’enseignants en francisation des immigrants a justement osé souligner par après dans Le Devoir que de se limiter à choisir des candidats qui maîtrisent le français « privera le Québec de la diversité de provenance des immigrants potentiels ». Diane De Courcy a aussitôt accusé les signataires d’être contre l’immigration « d’un trop grand nombre de personnes africaines » !
La ministre sortante responsable de la Charte de la langue française n’a, d’ailleurs, pas brillé davantage durant la campagne électorale de 2014 que Lisée durant celle de 2012. Lors du débat d’une heure sur la langue organisé par MAtv, seul « moment fort » sur le sujet de toute la campagne, Marc Tanguay, critique libéral en matière de langue, l’a sommée de dire si elle appuyait l’idée que pour être citoyen il faut « une connaissance appropriée du français », comme le proposait le projet de loi 195 sur la citoyenneté québécoise déposé par Marois en 2007.
De Courcy est demeurée évasive. Attitude qui cloche avec l’objectif de faire du français la langue publique commune de la société québécoise.
Son tour venu de passer à l’attaque, De Courcy n’a rien trouvé de mieux que de presser Tanguay de se positionner par rapport au bilinguisme gouvernemental : « Est-ce que vous voulez que les services gouvernementaux soient bilingues ? C’est-à-dire plus que ce que nous faisons présentement, à savoir donner des services [en anglais] aux anglophones quand ils en ont besoin ? Croyez-vous que le Québec doit être bilingue ? » Tanguay s’est efforcé de ne pas rigoler.
Comme pour Lisée en 2012, pour De Courcy en 2014 il est de moindre importance de promouvoir les résolutions du congrès de 2011 et, encore moins, de défendre le statut du français comme langue commune. Pour elle, la grande question, c’est simplement de savoir si le Québec doit s’en tenir à son actuel bilinguisme institutionnel de facto – qui impose une « connaissance appropriée » de l’anglais à une proportion démesurée de ses fonctionnaires – ou rendre totalement les armes et se déclarer officiellement bilingue.
Voilà où la traîtresse notion de prédominance du français a conduit le Québec en matière de services gouvernementaux : assurer tout service en anglais à tout « anglophone » qui en a « besoin ». Soyons francs : aussi bien dire à toute personne qui préfère l’anglais au français. La seule différence entre cette façon de faire et le bilinguisme à la canadienne c’est que le fonctionnaire québécois n’accueille pas encore son concitoyen avec un « Bonjour/Hi » !
Il faut espérer que le PQ choisira une politique apte à mettre fin au rapetissement de ce genre, qui affaiblit le français. Une politique du français, langue commune et non un trompeur bilinguisme à prédominance française.
Autrement, à quoi bon l’indépendance ?
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