L’élection présidentielle brésilienne du 5 octobre prochain est d’une importance capitale pour toute l’Amérique latine et, compte tenu de l’appartenance active du Brésil au groupe dit des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), elle aura également des conséquences mondiales.
Réunis à Fortaleza (Brésil), du 14 au 16 juillet dernier, les BRICS frappaient un grand coup. Déçu de la lenteur des réformes qu’ils exigent des institutions financières internationales, le groupe annonçait la création d’une banque de développement, située à Shanghai, qui sera dotée de capitaux allant jusqu’à 100 milliards de dollars. Un fond de réserve de change d’un autre 100 milliards $ sera aussi réparti dans les banques centrales des cinq pays.
Pour l’économiste péruvien, Oscar Ugarteche, cela confirme que le centre de gravité de l’économie mondiale s’incline lentement mais sûrement vers l’Asie/Pacifique et l’hémisphère sud de la planète. Ces initiatives sans précédent frappent directement l’instrument hégémonique de la politique étrangère états-unienne que sont le FMI et la Banque mondiale de même qu’éventuellement la domination du dollar.
Pour l’instant, les nouvelles institutions financières fonctionneront en dollars et seront soumises aux lois et aux cours états-uniennes. Mais, prévient Ugarteche, le jugement du 26 juin dernier, par une cour de New York, contre l’Argentine et en faveur des fonds vautour pourrait bien inciter les BRICS à d’autres changements.
Au milieu de ce coup de tonnerre, l’été latino-américain a été marqué par de nombreux sommets et rencontres : Alliance du Pacifique (1er juillet), Mercosur (29 juillet), UNASUR (21-22 août) et Forum de Sao Paolo des partis politiques progressistes et de gauche de la région (25-29 août). À cela s’ajoute la tournée du président chinois, Xi Jinping (17-23 juillet), en Argentine, au Brésil, à Cuba et au Venezuela, quatre pays confrontés à Washington.
La grande surprise est venue de l’Alliance du Pacifique (AP) dont les quatre pays membres qu’on dit alignés sur Washington (Mexique, Chili, Colombie, Pérou) ont annoncé leur désir de se rapprocher économiquement et commercialement du Brésil et des pays du Mercosur.
La présidente chilienne, Michelle Bachelet, que certains voient à l’origine de cette ouverture de l’Alliance, offre aux pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Venezuela) un accès direct à l’océan Pacifique et à l’Asie en échange d’un plus grand accès aux marchés de ces derniers pour les pays membres de l’AP.
À première vue, cela peut certes être perçu comme un piège tendu au Brésil et au Mercosur pour les amener vers le libre-échange et la sphère d’influence états-unienne et européenne. Mais, nuance Christophe Ventura, du portail internet français Mémoire des luttes, il n’en demeure pas moins qu’un rapprochement AP-Mercosur va dans le sens d’une intégration latino-américaine.
Cela semble, en tout cas, avoir réveillé le Mercosur qui, lors de sa rencontre, un mois après la proposition de l’AP, prenait à son tour deux décisions importantes.
D’abord la création d’une zone économique complémentaire avec l’ALBA (Alliance bolivarienne, incluant Cuba, le Nicaragua, la Bolivie et l’Équateur), le CARICOM (Communauté des Caraïbes) et l’entente pétrolière, PetroCaribe, entre le Venezuela et plusieurs pays des Caraïbes).
Puis, après des années de tergiversations, la création de la Banque du Sud, autre alternative de financement au FMI et à la Banque mondiale, avec un capital de départ de 20 milliards de dollars. Aussitôt la création de la nouvelle banque annoncée, le président vénézuélien, Nicolas Maduro, proposait une alliance entre celle-ci et celle des BRICS.
Le panorama est volatile et, en ce moment, fort complexe, de telle sorte qu’au bout du compte, les pays de l’AP pourraient bien être victimes de leur propre jeu. Croyant amener le Brésil vers les États-Unis, ces pays pourraient bien eux-mêmes être entraînés dans le camp d’un Mercosur étiré plus que jamais des Caraïbes à la Patagonie et des puissants alliés du Brésil que sont les BRICS.
Après tout, précise le mexicain, Ariel Noyola Rodriguez, de l’Observatoire économique de l’Amérique latine, ceux-ci réunissent les 2e, 3e, 6e, 7e et 26e économies du monde, 40% de la population de la planète, 26% de sa superficie, 27% de sa production et 21% de son PIB. De plus, avec des réserves internationales évaluées à 5 billions de dollars et la détention du tiers de la dette états-unienne, ils sont en quelque sorte les créanciers du monde.
Conscients de la force de leur camp, les présidents Maduro et Dilma Rousseff (Brésil) ont tout de suite répondu favorablement à l’ouverture des pays de l’AP. Rousseff a proposé que la réduction des barrières tarifaires entre le Mercosur et la Colombie, le Pérou et le Chili, prévue en 2019, soit devancée à 2015.
Ce rôle très dynamique que joue le Parti des Travailleurs (PT) brésilien depuis plus de dix ans en faveur d’un rééquilibrage du monde pousse plus que jamais la droite brésilienne, fidèle au vieil ordre international dominé par les Etats-Unis, à vouloir se débarrasser de ce parti.
L’occasion vient peut-être de lui être fournie par la mort du candidat présidentiel du Parti socialiste du Brésil (PSB), Eduardo Campos, le 13 août dernier, dans un accident d’avion. Campos a été remplacé par la charismatique Marina Silva, issue du PT.
Trotskyste dans sa jeunesse, puis syndicaliste et compagne de lutte de Chico Mendez et, enfin, militante au PT pendant trente ans et ex-ministre de l’Environnement du gouvernement Lula, Marina Silva a un passé de gauche idéal pour devenir une opposante crédible auprès de la population brésilienne.
L’écologiste espagnol, Paco Puche, croit que la droite brésilienne préfère encore le 3e candidat, Aecio Neves, du Parti Social-Démocrate du Brésil (PSDB), mais, devant les possibilités réelles de victoire de l’évangéliste Silva révélées par les sondages, celle-ci se résigne à appuyer Silva contre Dilma Rousseff et le PT qu’il est devenu urgent de chasser du pouvoir.
Pendant la campagne électorale, Marina Silva, qui prône le dépassement des partis et du clivage gauche-droite, aura eu une grande couverture médiatique qui met l’accent sur son image et, hypocritement, sur son passé de gauche, exagérant sa popularité et cachant les fragilités et contradictions de son programme de gouvernement.
Celui-ci diffère de celui du PT sur, entre autres, trois points fondamentaux, nous dit le sociologue brésilien, Émir Sader : l’indépendance de la banque centrale, la réduction des investissements de l’État dans le secteur énergétique et l’abandon graduel du Mercosur pour le remplacer par des accords bilatéraux avec les pays membres.
L’autonomie de la banque centrale est l’un des dogmes les plus chers au néolibéralisme. Il implique que les gouvernements ne maîtrisent pas leur politique monétaire. Avec une banque centrale « indépendante », le Brésil n’aurait certes pas pu faire partie de la récente banque de développement des BRICS.
Réduire les investissements pétroliers revient à abandonner une grande quantité de revenus d’exportation, ce qui affecterait la politique distributive brésilienne. Silva qualifie l’exploitation pétrolière d’anti-écologique, mais propose de la remplacer par rien de plus écologique que l’agro-business (notamment, la production de biocombustibles) qu’elle présente comme du développement durable.
Enfin, laisser tomber le Mercosur serait revoir à la baisse la participation du pays dans toutes les autres instances d’intégration latino-américaines, une intégration saluée chaleureusement par les BRICS, en juillet dernier.
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