PKP est-il l’homme providentiel du PQ?

2015/02/16 | Par Louis Cornellier

Cet article est paru dans l’édition du 14-15 février du journal Le Devoir

La candidature de Pierre Karl Péladeau (PKP) à la chefferie du Parti québécois (PQ) suscite un engouement certain dans les rangs péquistes. Des personnalités identifiées à la droite — Mathieu Bock-Côté et Richard Le Hir — comme à la gauche — Andrée Ferretti et Jacques Lanctôt — se sont ouvertement réjouies de son entrée dans cette course. PKP, il est vrai, depuis l’élection d’avril 2014, a martelé son projet de faire du Québec un pays. C’est d’ailleurs, à ce jour, le seul élément précis de son programme. On peut donc comprendre l’enthousiasme de nombreux péquistes à l’égard de l’homme d’affaires indépendantiste, une rareté. Il n’empêche que cet emballement ne laisse pas non plus d’étonner.

PKP, après tout, traîne une réputation d’antisyndicaliste déterminé — il a multiplié, depuis vingt ans, les lockout dans sa gestion des relations de travail et, en 2010, il remettait en question la formule Rand —, une attitude traditionnellement peu prisée au PQ. Bien des péquistes, par exemple, gardent un mauvais souvenir de Lucien Bouchard, accusé d’être trop à droite. L’arrivée de PKP dans l’élection de 2014, de plus, a plombé la campagne du PQ. Peut-il, aujourd’hui, être le chef dont le PQ a besoin pour mener à bien le projet souverainiste ?


Des intérêts en jeu

Pierre Dubuc, qui pose cette question dans PKP dans tous ses états, croit que non, pour une foule de raisons. Directeur et rédacteur en chef du mensuel progressiste et indépendantiste L’aut’journal, tête d’affiche du groupe Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ libre), Dubuc, dans cet essai politique rédigé dans l’urgence, rappelle l’historique antisyndical du candidat-vedette et conclut que, comme homme d’affaires, « PKP a mis ses intérêts personnels au-dessus, voire à l’encontre, des intérêts québécois ».

Dubuc ne nie pas que Québecor « joue un rôle important dans la promotion de la culture québécoise », mais il explique que cet apport positif n’existe que parce qu’il sert les intérêts de Québecor. À titre de propriétaire de la chaîne canadienne-anglaise Sun News, PKP, par exemple, n’a rien fait pour faire cesser la propagande anti-Québec diffusée par ce canal.

Pour se justifier de cette apparente contradiction, PKP invoque l’indépendance des salles de rédaction. Or, d’après Dubuc, le magnat de la presse, malgré ses dénégations, a souvent fait fi de ce principe, notamment en faisant, en 2010-2011, dans Le Journal de Montréal, la promotion de François Legault, parce que cela le servait.

Dubuc mentionne aussi que PKP — d’abord prénommé Pierre Carl, il serait devenu Pierre Karl, à la fin des années 1970, en hommage à Karl Marx ! — aurait, dans les années 2000, fait des contributions financières, légales, au Parti conservateur du Canada, au Parti libéral du Québec et à l’Action démocratique du Québec. L’homme, suggère Dubuc, travaille d’abord pour lui.

Ce n’est pas un crime, dira-t-on. En effet. Toutefois, ajoute Dubuc, cela pourrait avoir des implications politiques et économiques si PKP devenait chef du PQ. Passons sur les passages moins convaincants du livre, dans lesquels Dubuc conteste les qualités d’homme d’affaires de PKP, pour nous concentrer sur l’essentiel de la thèse.


L’ami Mulroney

L’empire Québecor repose principalement sur les télécommunications, un domaine dans lequel Bell lui livre une concurrence féroce. Pour se développer, au Canada anglais et au Québec, il a besoin de compter sur des décisions favorables du CRTC et du gouvernement fédéral. Cette situation, affirme Dubuc, explique l’existence d’un axe Péladeau-Mulroney-Harper. Brian Mulroney, en effet, est le parrain d’un des enfants du couple Snyder-Péladeau et est à la tête du conseil d’administration de Québecor. Il aurait, rapporte Dubuc, joué les entremetteurs entre PKP et le premier ministre Harper. Nous ne sommes pas vraiment, ici, dans un cercle des amis de la souveraineté.

Cette situation fait conclure à Dubuc, friand d’analyses stratégiques parfois hasardeuses, que les péquistes sont en droit d’être inquiets quant à la détermination indépendantiste de PKP. « Ses intérêts économiques le rendent vulnérable aux pressions politiques et économiques », écrit Dubuc, qui craint, advenant l’élection de PKP à la tête du PQ, la répétition du scénario d’une alliance entre les conservateurs canadiens-anglais et les nationalistes québécois, comme aux époques Diefenbaker-Duplessis et Mulroney-Lévesque.

« Avec l’attaque de PKP contre le Bloc, écrit Dubuc, le chat est à moitié sorti du sac. Mais nous pourrions avoir l’occasion d’admirer le chat dans toute sa splendeur, le jour où PKP annoncera qu’il reporte le référendum jusqu’à ce que “le Québec dans le rouge” soit chose du passé et qu’il soit développé économiquement. »L’hypothèse d’un PQ prenant le virage caquiste, convenons-en, devrait soulever des inquiétudes dans les rangs péquistes. Pour le moment, le silence de PKP sur toutes ces questions ne contribue pas à les lever.

Partisan, dans la course au PQ, de Martine Ouellet, convaincu de la nécessité d’une alliance PQ-syndicats-groupes sociaux pour réaliser l’indépendance, Pierre Dubuc ne surprend pas en mettant les péquistes en garde contre PKP. Ses analyses ne sont pas toujours bétonnées (« selon une rumeur », « plusieurs spéculent », peut-on lire sous sa plume) et ses jugements manquent parfois de nuance (même s’ils ne condamnent pas Duplessis, Bock-Côté et Éric Bédard n’en font pas « leur héros providentiel historique »), mais les inquiétudes qu’il exprime, dans une perspective indépendantiste de gauche, contribuent sainement au débat.


PKP dans tous ses états
Pierre Dubuc
Éditions du Renouveau québécois
Montréal, 2015, 160 pages


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