On marchande en secret le droit à la santé

2015/02/17 | Par RQIC

Aujourd’hui se termine, à Genève, la dixième ronde de négociations d’un Accord sur le commerce des services (ACS), mieux connu par son acronyme anglais de TISA -Trade in Services Agreement. Par voie de communiqué, le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) dénonce le secret qui enveloppe les pourparlers et lance une sérieuse alerte sur le danger de l’ouverture des services de santé à la marchandisation internationale, telle que le propose l’ACS, d’autant plus si elle se conjuguait aux actuelles mesures d’austérité du gouvernement Couillard.

Un document coulé la semaine dernière par l’Associated Whistle-Blowing Press, intitulé « Document de réflexion sur les services de soins de santé dans le cadre des négociations sur l’ACS », révèle que les négociateurs des 50 pays impliqués dans l’ACS, dont le Canada, envisagent des réformes de grande ampleur pour les systèmes de santé publics nationaux et qu’ils font la promotion de la délocalisation, dont le tourisme médical, et favorisent la privatisation des services de soins de santé.

« Il est tout à fait scandaleux que le démantèlement des réseaux publics de la santé se discute au niveau international, derrière des portes closes, et que ce soit toujours par des fuites que l’on apprenne ce que les gouvernements négocient en notre nom », s’indigne Pierre-Yves Serinet, coordonnateur du RQIC. « C’est là où l’on voit combien l’imbrication des traités internationaux constitue une véritable architecture anti-démocratique qui menace des pans entiers de nos sociétés et la souveraineté de nos décisions collectives », ajoute-t-il.

On peut lire dans le document en discussion qu’il existe « un incroyable potentiel inexploité en matière de mondialisation des services de soins de santé [du fait que] les services de soins de santé sont financés et fournis par l’État ou par des associations d’aide sociale, et qu’ils ne présentent, pour ainsi dire, aucun intérêt pour les concurrents étrangers, étant donné le manque d’opportunités pour développer des activités axées sur le marché ». Le document explique ensuite que le commerce des services de santé peut créer de nouvelles occasions d’affaires et présenter de nombreux avantages pour les partenaires commerciaux et générer des bénéfices pour les entreprises qui y investiraient.

Selon les analyses de l’Internationale des Services publics (ISP) des données tirées de l’Organisation mondiale de la santé, les profits potentiels, pour les grandes entreprises, d’une privatisation des services de santé sont effectivement énormes, évalués à plus de 6 billions de dollars US dans les 50 pays actuellement impliqués, soit 6 000 milliards $.

Mais ce qui pourrait profiter aux multinationales de la santé et aux grandes compagnies d’assurance, plusieurs regroupées au sein degrands groupes de pression, conduirait en fait à une augmentation des dépenses pour les États. Dans sonanalyse, l’experte australienne en commerce des services, Jane Kelsey, avance que les ressources seront aspirées hors du système de santé national, alors que « le désinvestissement sert d’argument pour justifier le traitement médical outre-mer, poussant les problèmes de système dans un cercle vicieux ». Elle ajoute que les réformes proposées accroîtraient les pressions vers un système de santé à plusieurs vitesses et la possible mise sur pied de « comptes de santé individuels ou de voucher de santé » qui « placeraient les patients et les gouvernements dans l’incertitude et, de retour au pays, face à des coûts additionnels pour les suivis médicaux ».

« La santé est un droit humain, qui n’est pas à vendre ni ne peut être soumis aux règles du marché. Le système de santé a pour mission de garder les familles en sécurité et en santé, et ne doit pas viser à générer des profits pour les grandes entreprises », a affirmé Rosa Pavanelli, secrétaire générale de l’Internationale des Services publics (ISP).

Le RQIC abonde dans le même sens. « Ce qui est le plus alarmant, dans ce tissage et métissage des mesures d’austérité et des accords de libre-échange, c’est que des traités comme l’ACS ou celui entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG) ne permettent pas de ramener un service privatisé dans le domaine public si celle-ci s’est avérée inefficace et ne sert pas l’intérêt public », s’inquiète M. Serinet. « Ces accords comportent aussi des clauses qui restreignent la capacité des États de légiférer en matière de protection des travailleuses et travailleurs, des consommateurs, des petites entreprises et de l’environnement, sous prétexte de ne pas entraver la logique du libre marché. Il est plus que temps que se tienne un débat public large et informé sur ces enjeux », conclut le porte-parole du RQIC.