Il ne fait aucun doute que les réformes et les coupures annoncées par le Gouvernement dans les réseaux de la santé, des services sociaux, de l'éducation, des garderies, des CLD, des Centre-Jeunesse, des CRÉ, des municipalités dévitalisées, de Solidarité rurale portent un coup dur aux régions périphériques.
Ces réformes et ces coupures, en plus de désorganiser la concertation et le soutien indispensables dans des régions éloignées des centres, vastes et peu peuplées, affecteront considérablement le nombre et la répartition des emplois dans les capitales régionales et les municipalités périphériques.
Dans les territoires les plus affectés par le déclin économique, compte-tenu du peu de retombées qu'ils retirent désormais des ressources naturelles, les emplois reliés à l'éducation, à la santé et aux services sociaux, aux organismes communautaires, aux instances politiques et économiques locales et régionales occupent une place considérable, et ce sont ces emplois qui sont touchés. Les régions ont donc toutes les raisons de protester.
Un système et une culture de dépendance
Toutefois, les politiques de développement paternalistes appliquées par les gouvernements successifs, limitées à des programmes ponctuels sans prise sur l'exploitation des ressources naturelles concédées aux grandes compagnies, ont développé une culture de dépendance, de fatalité et de méfiance qui risque de freiner l'ardeur de beaucoup de dirigeants et de citoyens.
Les régions ne disposent d'aucun levier de pouvoir ni ressources financières propres pour forcer le gouvernement à reculer ou à modifier le tir. Les instances régionales et locales actuelles ne sont pas des instances politiques autonomes mais de simples entités administratives qui dépendent toutes des fonds et des décisions du Gouvernement.
Les municipalités elles-mêmes, malgré le titre flatteur de partenaires dont les gratifie le gouvernement, sont plus asservies que jamais aux règles et au financement de l'État. Quant aux Unions municipales, elles ne sont que des groupes de pression parmi d'autres. Il y a donc tout lieu de croire que le Gouvernement ne reculera pas: rien ne les y oblige.
Une occasion pour les régions de bâtir leur autonomie politique et financière
Puisque le Gouvernement les abandonne et refuse de les écouter, les régions et les communautés locales ne peuvent compter que sur leurs propres moyens. Plutôt que de s'épuiser en manifestations, elles devraient peut-être saisir l'occasion pour commencer à construire entre elles leur autonomie politique, financière et économique. Et elles ont une base solide pour le faire: la souveraineté municipale.
En construisant ensemble sur cette base, selon un plan progressif, elles peuvent élargir considérablement leur espace d'autonomie et commencer à s'extirper du carcan de dépendance qui les tue lentement depuis 60 ans. Voici les grandes lignes de la démarche suggérée:
1) Réaffirmer la souveraineté municipale.
Les communautés territoriales de base sont le premier niveau où s'exprime la souveraineté du peuple, fondement de toute autorité en démocratie. Selon le principe de subsidiarité, la communauté de base a toutes les compétences et ne délègue à des instances supérieures que celles qu'elle ne peut assumer adéquatement.
Tout pouvoir, y compris en matière fiscale, qui n'est pas explicitement attribué à l'État, est attribué aux gouvernements territoriaux (pouvoirs résiduels). Rien ne les empêche d'intervenir là où n'existe aucune obligation ou interdiction dans la loi actuelle.
2) Élargir la légitimité des dirigeants locaux et régionaux.
Pour augmenter la légitimité et l'imputabilité des dirigeants locaux et régionaux, rien n'empêche ceux-ci de s'entendre entre eux pour augmenter les postes électifs: le maire et les conseillers municipaux sont déjà élus, mais à tout le moins le préfet de la municipalité régionale (qui réunit les maires) et le président d'un éventuel conseil régional (qui réunirait les préfets et maires de villes importantes) devraient et pourraient être élus au suffrage universel lors des élections municipales.
Rien ne les empêche non plus d'instaurer des mécanismes de participation directe de la population aux décisions: assemblées publiques de consultation, budget participatif, référendums, comités de participation et de vigilance, initiatives populaires, etc. Chaque village, MRC ou Région pourrait même se doter de sa propre constitution. Tenant désormais leur mandat de la population, les élus locaux et régionaux seraient forcés de lui rendre des comptes avant d'en rendre au gouvernement, et leur rapport de force en serait d'autant accru.
3) Accroître leurs pouvoirs et leurs ressources financières autonomes.
Le pouvoir de taxation, foncière et spéciales, et de tarification pourrait servir de base au financement partagé de l'ensemble des instances locales et régionales. À cela s'ajouteront le partage des taxes de vente, des taxes sur l'essence et autres transferts, programmes et redevances à négocier, ainsi que les investissements lucratifs désormais possibles, comme les parcs éoliens communautaires.
Des revenus supplémentaires pourraient aussi être obtenus en négociant des retombées directement avec les compagnies qui veulent exploiter des ressources naturelles locales, comme le font déjà avec succès les communautés autochtones.
Pour ce qui est des champs d'intervention, rien n'empêche les instances locales et régionales d'occuper le terrain dans de multiples domaines qui ne sont pas réservés au paliers supérieurs: souveraineté alimentaire, éducation, santé, environnement, échanges extérieurs, commerce, aménagement, gestion de l'eau, etc. Les règlements sont valides tant qu'ils ne sont pas déclarés non conformes.
4) Restructurer leur territoire.
Enfin, tout le monde est conscient que le découpage territorial actuel a besoin d'une sérieuse mise à jour. Beaucoup de municipalités sont trop petites. Certaines frontières de MRC sont à réviser. Les villes de centralité sont mal intégrées. Déjà, les Caisses populaires et les paroisses ont réorganisé, elles, leurs territoires pour les rendre plus fonctionnels.
Mais les politiciens ont peur d'agir en raison des conséquences électorales. Rien n'empêche les municipalités d'une MRC et les MRC d'une région de convenir ensemble et de façon consensuelle des restructurations nécessaires pour créer des espaces démocratiques plus fonctionnels, qui respectent les territoires d'activité et d'appartenance actuels.
En somme, les régions n'ont pas besoin qu'on les développe : elles ont besoin qu'on cesse de les piller et qu'on leur permette de se développer elles-mêmes avec leurs propres ressources.
Quand les instances locales et régionales seront des entités politiques autonomes dans leur domaine, on pourra parler de partenariat avec le gouvernement, exiger d'être partie prenante à l'élaboration des politiques nationales et d'inscrire cette autonomie dans les lois. Il sera temps alors d'exiger la création d'une Chambre des régions à représentation paritaire pour veiller aux intérêts des gouvernements territoriaux auprès de l'Assemblée des députés.
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