L’acharnement médiatique contre le droit de grève étudiant

2015/04/21 | Par Martin Lachapelle

Le grand défoulement collectif contre la grève se poursuit un mois après le début du conflit. Plus hargneux que jamais depuis les actes de vandalisme à l’UQAM ayant entraîné l’intervention des policiers.

Un festival du bashing médiatique à sens unique, attaquant autant le droit de grève étudiant que la crédibilité des manifestants, auquel a curieusement contribué l’humoriste Guy Nantel avec un vox-pop récupéré par la droite pro-austérité.

Rien ne pourrait justifier des actes stupides de vandalisme ou d’intimidation contre des profs, des étudiants ou des journalistes. À moins de penser stupidement que donner des munitions à ses adversaires est une bonne idée.

Cela dit, précisons que le journalisme sérieux ne saurait se limiter à la médiatisation du qui, quand, où, quoi, comment, sans aussi parler du pourquoi de n’importe quel événement.

Or, la ligne dure adoptée par le gouvernement et l’UQAM, via la judiciarisation encouragée du conflit depuis 2012, avec des injonctions ou des expulsions politiques massives programmées, n’est peut-être pas étrangère aux débordements des manifestants…

On s’étonne ensuite quand certaines personnes masquées procèdent à des levées de cours pour faire valoir un droit de grève étudiant respecté au Québec pendant plus de 50 ans.

Mais on semble trouver normal que le degré d’indignation médiatique, face à une innocente victime d’un dommage collatéral, soit plus élevé pour « l’attaque brutale » d’une machine à chips… que pour une manifestante pacifique et désarmée de 18 ans tirée à bout portant avec un fusil lance-gaz par un policier.

Quoi de plus normal lorsque certains médias contre la grève, comme le Journal de Québec, vouent un culte aux sacro-saintes croustilles au point d’avoir une rubrique intitulée « Le sac de chips » sur leur site Web !

On peut toutefois se consoler à l’idée qu’aucune page Facebook d’intimidation contre la machine à chips brutalisée n’ait encore été créée par des vilains manifestants masqués affamés, même si des gentils carrés verts songent peut-être à lancer la page « Je suis machine à chips ».

Après les allusions aux nazis et à la tuerie de Polytechnique, comment faire pire en termes de délire. Des comparaisons de manifestants masqués avec les terroristes meurtriers de l’État islamique ?

Ben quoi ? On parle de deux gangs qui s’habillent en noir et n’aiment pas les journalistes, non ?

Alors l’État islamique ou l’État « uqamique », d’après une caricature d’Ygreck de Québecor, c’est pas mal pareil, non ?

C’est ce que semble penser Mario Dumont et surtout le très respectueux Dominic Maurais de Radio X, pour qui les manifestants « terroristes » sont, au mieux, de vulgaires « hooligans » ou des « bâtard de crottés » :

« J’ai été lâchement critiqué par un semainier paroissial d’extrême gauche pour avoir qualifié ces bâtards de ‘‘crottés’’ en ondes. Denise Bombardier m’a dit préférer le terme ‘‘voyous’’. Jean Lapierre a, quant à lui, choisi ‘‘trous de cul’’ à LCN jeudi. Mais trêve de débat lexical, nous avons affaire à des criminels. La droite et la gauche s’entendent ici. Point final. »

« La droite, et la gauche s’entendent ici » ? Denis Bombardier, Jean Lapierre, Dominic Maurais, mais où est la gauche dans tout ça ?

Un commentaire de Maurais qui démontre bien que le déficit démocratique des grands médias est encore plus prononcé que lors de la grève étudiante de 2012. Puisque la droite populiste de Lapierre, ou celle plus grandiloquente de Bombardier, est maintenant confondue avec la gauche par la droite la plus extrême et la plus mal engueulée sur l’échiquier…

Rappelons que seulement 2 ou 3 commentateurs politiques parmi les 34 plus influents ont appuyé les carrés rouges en 2012, selon une étude d’Influence Communications. Or, en 2015, l’appui aux grévistes se résume essentiellement à une seule personne, Josée Legault, qui se voit même critiquée par l’Inquisition de droite de son journal !

Oui, on parle bien de Dominic Maurais, le chroniqueur et animateur de radio-poubelle qui s’est dit « lâchement critiqué ». Un multirécidiviste en matière de dérapages médiatiques que le Conseil de presse a sûrement « lâchement critiqué » à plusieurs reprises pour propos discriminatoires et méprisants, informations inexactes et incomplètes, ou encore acharnement…

On n’a plus les victimes qu’on avait.

Pascale Breton, de La Presse, a au moins le mérite de respecter le droit de grève en proposant de l’encadrer, à défaut d’appuyer la grève.

Même si personne n’a jamais entendu parler de « boycott de la faim », le mot « grève » serait apparemment réservé à des travailleurs syndiqués, selon la droite antisyndicale…

C’est l’avis de Lysiane Gagnon qui, dans « La fiction du droit de grève étudiant », parle de « boycott » de services en traçant le même parallèle fallacieux que Richard Martineau a fait dans « Et si ça se passait dans les hôpitaux ».

Comme si les étudiants, au même titre que les usagers du système de santé, n’étaient vraisemblablement que de simples bénéficiaires de services dépourvus de droits collectifs.

Vous voyez le topo ? On ne laisserait jamais une association de patients déclencher une grève (euh, un boycott) de traitements et bloquer l’accès à un hôpital, pendant qu’un autre patient tenterait d’y accéder pour se faire soigner.

Ce que la droite ne semble pas réaliser avec cette comparaison maladroite, lorsqu’on pousse son illogisme jusque dans ses derniers retranchements, c’est qu’il faudrait apparemment tout faire pour sauver un seul « bon » patient soumis ? Quitte à laisser tous les autres « mauvais » patients mécontents de l’administration du système de santé crever des suites de leur grève (euh, boycott) de traitements ?

Car la droite médiatique appuyant la Fondation 1625 des carrés verts prétend défendre l’accès à l’éducation ou à la santé, mais seulement en temps de grève (euh, de boycott) de cours ou de traitements. Le restant du temps, cette droite individualiste travaille à le limiter en nous parlant des prétendus bienfaits de l’austérité (profitable aux riches).

« Si les étudiants veulent vraiment être assimilés à de vrais travailleurs, le gouvernement (assimilé à un employeur!) devrait les priver de leurs prêts-bourses durant la période de grève et se garder le droit (équivalant au lock-out) de fermer d'autorité les établissements menacés par des troubles. »

Oui, cette citation provient bien de Lysiane Gagnon et non de Johanne Marcotte. Même si ces deux commentatrices politiques de droite, opposées à la grève étudiante et au « gouvernemaman », n’oseraient jamais proposer de couper le BS corporatif des grandes entreprises privées (ou les allègements fiscaux de leurs riches patrons) lors d’un lock-out.

Un mot en terminant sur le vox-pop non-scientifique de Guy Nantel que la droite antigrève étudiante a récupéré pour discréditer l’ensemble des manifestants et se foutre de leur gueule.

Une vidéo devenu virale sur les réseaux sociaux dans laquelle l’humoriste a interrogé à peine une quinzaine de manifestants sur leurs connaissances en politique, en français ou en histoire. Le problème est que Nantel a uniquement présenté les mauvaises réponses de 13 personnes sondées.

Or, la droite réalise-t-elle que Nantel aurait très bien pu faire l’inverse, c’est-à-dire un vox-pop comportant uniquement les mauvaises réponses des partisans de l’austérité les moins cultivés ?

Sûrement pas.

Mais difficile d’en vouloir à la droite si Nantel, un humoriste étiqueté de gauche, n’y a lui-même pas pensé, après avoir fait son vox-pop avec un micro affichant le titre de son spectacle ironiquement intitulé : Corrompu.

Un oubli toutefois pratique quand vous voulez de la publicité gratuite pour votre show dans les médias pro-austérité.