L’auteur est enseignant et écrivain, président d’ATTAC-Québec, auteur de L’empire du libre-échange (M Éditeur)
On reproche souvent aux accords de libre-échange de se préoccuper peu de démocratie. Le gouvernement du Québec vient alimenter cette critique en soumettant pour approbation à l’Assemblée nationale pas moins de sept ententes commerciales à la suite d’un débat d’à peine deux heures pour chacun.
Les députés doivent donc évaluer à la chaine les conséquences d’accords complexes, composés de milliers de pages écrites dans un langage juridique alambiqué, signés avec l’Association européenne de libre-échange (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse), le Honduras, le Panama, la Jordanie, la Colombie, le Pérou et la Corée du Sud.
Le parlement du Québec est le seul au Canada qui se soit donné un mécanisme d’approbation des accords de libre-échange. Il a agi dans la foulée du Sommet des Amériques en 2001, en conséquence de l’importante mobilisation qu’avait suscitée la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), accord qui a été bloqué par la suite.
Cette procédure répondait aux inquiétudes de nombreuses organisations qui dénonçaient le manque de transparence des négociations et les effets négatifs du libre-échange sur les populations, dont on semblait très peu tenir compte.
En voulant approuver sept accords d’un seul coup, le gouvernement libéral réduit la procédure originale initiée à l’époque à un triste simulacre. Comment peut-on discuter l’un à la suite de l’autre et à brûle-pourpoint d’accords aux larges ramifications? Combien, parmi nos élus, ont une connaissance du contenu de ces accords et des enjeux politiques, économiques et sociaux qui leur sont reliés?
Est-il possible dans cet exercice de questionner un enjeu fondamental relié à ces accords : le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui soulève de vives controverses partout dans le monde?
Rappelons que ce mécanisme permet aux entreprises de poursuivre les États si elles jugent que ces derniers les privent de profits anticipés.
De plus, certains partenaires avec lesquels le Canada a conclu des ententes ont eux-mêmes des pratiques très critiquables en ce qui concerne la démocratie. La Colombie s’est fait remarquer pour son non-respect des droits de la personne, pour des déplacements forcés de certaines communautés et pour l’assassinat de plusieurs syndicalistes. Le Panama est un important paradis fiscal lié au narcotrafic. Le Honduras a été victime d’un coup d’État qui a remplacé un gouvernement démocratiquement élu.
Plutôt que de permettre davantage de démocratie, ces accords de libre-échange montrent surtout que notre pays n’hésite pas à négocier avec des pays aux comportements douteux.
Les échanges économiques entre le Québec et ces trois pays se réduisent à presque rien. Ces ententes servent en grande partie à renforcer des alliances discutables. Ils donnent aussi plus de latitude aux compagnies minières canadiennes, en grande partie inscrites à la Bourse de Toronto, pour exploiter les ressources naturelles, bien souvent aux dépens des populations locales, qui se trouvent dépossédées et subissent de dures atteintes causées à leur environnement.
Le geste courageux de dire non à ces accords enverrait un message important qui exprimerait à quel point nous sommes concernés ici par le respect de l’État de droit, des droits humains et des droits des travailleurs, avec tout ce que cela implique. Mais comment peut-on mener un réel débat sur cette question fondamentale de façon si précipitée?
C’est avec une réelle désinvolture que les libéraux ont décidé de demander l’approbation de ces ententes commerciales. Le fait d’avoir retardé le processus — certains de ces accords ont été conclus par le Canada il y a quelques années — et de forcer le parlement à les aborder en bloc est une façon d’évacuer à la fois une réflexion nécessaire à leur sujet et de miner un procédé conçu à l’origine pour injecter un peu de démocratie dans le processus d’adoption des accords de libre-échange.
Cette attitude du gouvernement libéral inquiète donc au plus haut point. Sans débat public à ce sujet, donc sans préparation attentive, nos parlementaires sont ainsi entrainés à adopter passivement ce qui a été décidé par Ottawa. La stratégie des libéraux confirme une fois de plus un grand mépris pour la démocratie et une désolante vassalité devant le gouvernement fédéral.
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